E.O. Chirovici est un écrivain roumain, auteur de nombreux best-sellers dans son pays. Jeux de miroirs est son premier roman rédigé en anglais et traduit en français (par Isabelle Maillet). Il était cette semaine à Paris où Isabelle l'a rencontré à l'occasion de la sortie du livre en librairie. Expatrié en Angleterre pour les études de son fils, il vit désormais en Belgique.
Ce roman est publié en France par les éditions Les Escales. C'est un thriller psychologique dans le style de ceux de Joël Dicker et il est bien parti pour obtenir un grand succès, puisque les droits ont déjà été cédés dans 38 pays et qu'Hollywood travaille à une adaptation cinématographique.
Il faut dire que Chirovici embarque son lecteur dans un suspense savamment construit :
Peter Katz, un agent littéraire, reçoit un manuscrit intitulé "Jeux de miroirs" signé par un certain Richard Flynn, qui relate des faits qui ont défrayé la chronique trente ans plus tôt. Richard était étudiant à Princeton à la fin des années 80 et avait alors comme colocataire une jeune étudiante en psychologie, Laura qui se trouve avoir été "la protégée" d’un très grand ponte en psychologie cognitive : le professeur Wieder dont Richard classera la bibliothèque.
Quelques mois plus tard, le professeur Wieder avait été brutalement assassiné chez lui. Plusieurs suspects avaient été interrogés mais l’assassin n’a jamais été identifié. Richard Flynn semble avoir découvert qui est le meurtrier mais il meurt lui-même avant de délivrer la suite de son manuscrit à Peter Katz.
Intrigué, l'éditeur va embaucher un journaliste d'investigation pour découvrir la véritable identité du meurtrier et la relation qui s'était établie entre Richard, Laura et le professeur. La suite de l’enquête menée par plusieurs hommes nous mène dans un labyrinthe où chaque protagoniste interrogé présente une version différente des faits.
Vérité, mensonge, souvenirs peu fiables, le fonctionnement de la mémoire apparait finalement comme un élément essentiel de l’intrigue. La vérité n’a pas qu’un seul visage. On peut se mentir à soi-même, et avec le temps gommer des éléments et en imaginer d’autres…
Peter Katz, un agent littéraire, reçoit un manuscrit intitulé "Jeux de miroirs" signé par un certain Richard Flynn, qui relate des faits qui ont défrayé la chronique trente ans plus tôt. Richard était étudiant à Princeton à la fin des années 80 et avait alors comme colocataire une jeune étudiante en psychologie, Laura qui se trouve avoir été "la protégée" d’un très grand ponte en psychologie cognitive : le professeur Wieder dont Richard classera la bibliothèque.
Quelques mois plus tard, le professeur Wieder avait été brutalement assassiné chez lui. Plusieurs suspects avaient été interrogés mais l’assassin n’a jamais été identifié. Richard Flynn semble avoir découvert qui est le meurtrier mais il meurt lui-même avant de délivrer la suite de son manuscrit à Peter Katz.
Intrigué, l'éditeur va embaucher un journaliste d'investigation pour découvrir la véritable identité du meurtrier et la relation qui s'était établie entre Richard, Laura et le professeur. La suite de l’enquête menée par plusieurs hommes nous mène dans un labyrinthe où chaque protagoniste interrogé présente une version différente des faits.
Vérité, mensonge, souvenirs peu fiables, le fonctionnement de la mémoire apparait finalement comme un élément essentiel de l’intrigue. La vérité n’a pas qu’un seul visage. On peut se mentir à soi-même, et avec le temps gommer des éléments et en imaginer d’autres…
Le roman est construit sur une subtile mise en abîme entre l’intrigue policière qui s’appuie sur les souvenirs et le fait que les personnages (le professeur et Laura en particulier) étudient eux-mêmes le refoulement de la mémoire.
Laura donne la clef dont se sert E.O. Chirovici dans l’analyse qui suit : … L’exemple typique, c’est la difficulté que rencontre la police avec les témoins oculaires. La plupart du temps, ils donnent des informations qui se contredisent… Notre mémoire n’est pas une caméra vidéo qui enregistre tout ce qui se trouve devant l’objectif, Richard, elle agit plutôt comme un scénariste et un metteur en scène associés, faisant leur propre film à partir de fragments de réalité.
Ce passage du roman est extrêmement important car cette analyse va se vérifier ensuite tout au long de l’histoire. Il est difficile pour le lecteur d'échapper à la fausse piste entre comment échapper à la fausse piste entre ceux qui transforment leur souvenir, celui qui aurait perdu la mémoire suite à un choc, et l’ancien policier atteint d’Alzheimer qui se sent dans l’urgence de résoudre cette enquête.
Ce qu’elle me disait me faisait froid dans le dos. Ainsi, ce que j’avais toujours pris pour des éléments de réalité objective n’était peut-être que le résultat de ma perception subjective d’une personne ou d’une situation ? En même temps, Laura me l’avait déjà dit : nos souvenirs sont pareils à une bobine de film qu’on a la possibilité de couper au montage, ou à une sorte de gélatine que l’on pourrait modeler à l’envi.
La résolution de l’enquête n’est donc qu’un des éléments qui donne corps au roman qui cultive une ambiguïté que savourera le lecteur jusqu’à la dernière page, dans la plus pure tradition d'un page-turner. A cette occasion je signale l'excellent Année brouillard de Michelle Richmond dont je continue à recommander la lecture.
La rencontre avec Eugen Ovidiu Chirovici a permis de creuser comment les idées lui viennent pour ses romans.
Elles ne naissent pas d’une réflexion. Il est peintre et voit des images. Dans Jeux de miroirs tout commence par l’image d'un jeune homme qui rentre chez lui après ses cours et tombe sur sa nouvelle colocataire, une jeune femme en train d’essayer d’étaler de la moutarde sur du pain ! L’auteur a suivi cette image et tout s’est mis en place dans sa tête en l'espace de quatre jours. Deux mois ont suffi pour écrire l'essentiel du livre et il ne lui a fallu que six mois pour en peaufiner le style.
L’auteur est passionné par ce qui touche à la mémoire. Il s’est toujours intéressé à la psychologie. Il a énormément lu d'ouvrages dans ce domaine et a aimé le film Memento de Christopher Nolan sorti en 2000 qui raconte l’histoire d’un homme qui veut venger le meurtre de sa femme mais souffre d’amnésie antérograde, c’est-à-dire qu’il n’a plus de mémoire à court terme suite à un traumatisme crânien.
Chirovici aime essayer de comprendre les phénomènes psychologiques et remarque que nous enregistrons surtout les émotions, les sentiments, les avertissements. D’après lui nous utilisons davantage notre cerveau pour imaginer que pour collecter des informations. C’est pourquoi il n’y aurait pas de différence notoire entre le réel et l’imaginaire.
Interrogé sur ses livres préférés, il cite Le vieil homme et la mer de Ernest Hemingway, Des souris et des hommes de John Steinbeck et L’étranger d’Albert Camus qu'il a relus plusieurs fois. Aujourd’hui les écrivains qu’il admire sont essentiellement Cormac Mc Carthy, Philip Roth et Julian Barnes.
Il ne souhaite pas s’engager dans la rédaction du scénario de son livre pour Hollywood parce que ce type d'exercice qui diffère beaucoup de l'écriture d’un roman. Il sait que de nombreux écrivains ont été déçus par l’adaptation cinématographique de leur livre comme Umberto Eco pour Le nom de la Rose adapté par Jean-Jacques Annaud en 1986 ou Stephen King avec Shining par Stanley Kubrick. Pourtant, en tant que spectateur, il a apprécié ces films. Il faut donc croire que l’auteur a une vision très personnelle de l’histoire qu’il raconte et qu’il aurait du mal à accepter "les jeux de miroirs" !
Son prochain livre est déjà achevé. ll y sera question cette fois de la notion de changement d’identité … on reste dans la même veine.
Jeux de miroirs d'Eugen Ovidiu Chirovici, Traduit par Isabelle Maillet, Editions Les escales, en librairie depuis le 26 janvier 2017
Pour ceux qui voudraient en savoir plus, voici une note rédigée par Eugen Ovidiu Chirovici pour éclairer davantage le cadre de la genèse de son livre.
Je suis né dans une famille d’origine roumaine, hongroise et allemande, et j’ai grandi à Fagaras, une petite ville roumaine située dans le sud de la Transylvanie. J’écris des histoires depuis que j’ai dix ans, même si j’ai fait beaucoup de choses différentes avant de décider, il y a trois ans, de tout envoyer promener et de devenir écrivain à plein-temps.
J’ai publié ma première nouvelle en 1989, et mon premier roman, The Massacre, deux ans plus tard. Il a connu un énorme succès à l’époque : en moins d’un an, il s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires. Il a été suivi, deux mois plus tard, par un autre best-seller, Commando for the General, un thriller politique dont l’action se déroule en Italie. J’ai publié quinze livres en Roumanie avant de quitter le pays pour aller m’installer à l’étranger il y a quatre ans.
Jeux de miroirs est le premier que je rédige en anglais. J’ai terminé le premier jet entre février et mai 2014. J’ai ensuite revu le manuscrit quatre ou cinq fois avant de l’envoyer à une dizaine d’agents littéraires qui l’ont tous refusé sans me donner d’explications. Je l’ai révisé encore deux fois, puis j’ai décidé de le vendre à une petite maison d’édition.
Robert Peett, le fondateur et manager de Holland House Books, à Newbury, m’a répondu très vite en me disant qu’il adorait mon livre, mais que nous devrions nous rencontrer pour en parler. Nous nous sommes vus deux semaines plus tard, et il m’a dit devant un café que mon livre était peut-être trop bon pour sa maison d’édition ; il n’avait pas les moyens de me verser une avance, la distribution serait trop limitée, etc. Sur le moment, j’ai cru qu’il se moquait de moi. Il m’a ensuite demandé pourquoi je n’avais pas envoyé ce manuscrit à des agents littéraires. Je lui ai dit que je l’avais fait et que je n’avais essuyé que des refus. Il m’a néanmoins convaincu de réessayer.
C’était un jeudi. Le lendemain, j’ai envoyé le manuscrit à trois autres agents britannique, dont Marilia Savvides, de Peters, Fraser & Dunlop. Elle m’a demandé le manuscrit complet deux jours plus tard, et m’a appelé trois jours après pour me proposer de me représenter. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a affirmé que le projet allait faire un carton. Même si j’étais sur un petit nuage, je me sentais toujours un peu sceptique. Mais elle avait raison : en moins d’une semaine, nous avons reçu des offres extraordinaires émanant de plus de dix pays. Pour le coup, j’ai pris peur, parce que tout allait trop vite. Que Dieu vous bénisse, Robert Peett, pour votre honnêteté et votre gentillesse ! Aujourd’hui, le manuscrit a été vendu à plus de trente pays.
L’idée de ce livre m’est venue il y a trois ans, après une conversation avec ma mère et mon frère aîné, qui m’avaient rendu visite à Reading, où je vivais à l’époque. Je leur ai dit que je me souvenais de l’enterrement d’un joueur de foot local, mort très jeune dans un accident de voiture quand j’étais gosse. Ils ont répliqué que je commençais tout juste à marcher à l’époque et que je n’aurais pas pu être au cimetière avec eux. Je me suis obstiné, affirmant que je me rappelais le cercueil ouvert et le ballon placé sur la poitrine du mort. Ils m’ont dit que ce détail était vrai, mais que j’avais dû l’entendre lorsqu’ils en avaient parlé en rentrant de l’enterrement avec mon père. "Quoi qu’il en soit, tu n’étais pas avec nous", a affirmé ma mère.
Ce n’était qu’une banale anecdote à propos de l’incroyable capacité de l’esprit humain à maquiller ou même à falsifier les souvenirs, pourtant elle est à l’origine de mon roman. Est-il possible d’oublier complètement un événement et d’en créer un faux souvenir ? Et si notre imagination était capable de transformer une réalité prétendument objective en quelque chose d’autre, qui nous appartient en propre ? L’esprit est-il en mesure de réécrire un événement donné, d’agir à la fois comme un scénariste et un metteur en scène ? C’est le sujet abordé dans Jeux de miroirs, avec pour point de départ un meurtre commis à l’université de Princeton à la fin des années 1980.
Je dirais que mon livre s’attache moins au "qui" qu’au "pourquoi". J’ai toujours pensé qu’au bout de trois cents pages, les lecteurs méritaient d’en savoir plus que le seul nom de l’assassin, même obtenu après quantité de rebondissements inattendus. Et je suis convaincu qu’un auteur devrait aspirer à découvrir le lieu magique où résident les histoires caractérisées à la fois par un solide sens du mystère et par un vrai talent littéraire.
Je suis né dans une famille d’origine roumaine, hongroise et allemande, et j’ai grandi à Fagaras, une petite ville roumaine située dans le sud de la Transylvanie. J’écris des histoires depuis que j’ai dix ans, même si j’ai fait beaucoup de choses différentes avant de décider, il y a trois ans, de tout envoyer promener et de devenir écrivain à plein-temps.
J’ai publié ma première nouvelle en 1989, et mon premier roman, The Massacre, deux ans plus tard. Il a connu un énorme succès à l’époque : en moins d’un an, il s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires. Il a été suivi, deux mois plus tard, par un autre best-seller, Commando for the General, un thriller politique dont l’action se déroule en Italie. J’ai publié quinze livres en Roumanie avant de quitter le pays pour aller m’installer à l’étranger il y a quatre ans.
Jeux de miroirs est le premier que je rédige en anglais. J’ai terminé le premier jet entre février et mai 2014. J’ai ensuite revu le manuscrit quatre ou cinq fois avant de l’envoyer à une dizaine d’agents littéraires qui l’ont tous refusé sans me donner d’explications. Je l’ai révisé encore deux fois, puis j’ai décidé de le vendre à une petite maison d’édition.
Robert Peett, le fondateur et manager de Holland House Books, à Newbury, m’a répondu très vite en me disant qu’il adorait mon livre, mais que nous devrions nous rencontrer pour en parler. Nous nous sommes vus deux semaines plus tard, et il m’a dit devant un café que mon livre était peut-être trop bon pour sa maison d’édition ; il n’avait pas les moyens de me verser une avance, la distribution serait trop limitée, etc. Sur le moment, j’ai cru qu’il se moquait de moi. Il m’a ensuite demandé pourquoi je n’avais pas envoyé ce manuscrit à des agents littéraires. Je lui ai dit que je l’avais fait et que je n’avais essuyé que des refus. Il m’a néanmoins convaincu de réessayer.
C’était un jeudi. Le lendemain, j’ai envoyé le manuscrit à trois autres agents britannique, dont Marilia Savvides, de Peters, Fraser & Dunlop. Elle m’a demandé le manuscrit complet deux jours plus tard, et m’a appelé trois jours après pour me proposer de me représenter. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a affirmé que le projet allait faire un carton. Même si j’étais sur un petit nuage, je me sentais toujours un peu sceptique. Mais elle avait raison : en moins d’une semaine, nous avons reçu des offres extraordinaires émanant de plus de dix pays. Pour le coup, j’ai pris peur, parce que tout allait trop vite. Que Dieu vous bénisse, Robert Peett, pour votre honnêteté et votre gentillesse ! Aujourd’hui, le manuscrit a été vendu à plus de trente pays.
L’idée de ce livre m’est venue il y a trois ans, après une conversation avec ma mère et mon frère aîné, qui m’avaient rendu visite à Reading, où je vivais à l’époque. Je leur ai dit que je me souvenais de l’enterrement d’un joueur de foot local, mort très jeune dans un accident de voiture quand j’étais gosse. Ils ont répliqué que je commençais tout juste à marcher à l’époque et que je n’aurais pas pu être au cimetière avec eux. Je me suis obstiné, affirmant que je me rappelais le cercueil ouvert et le ballon placé sur la poitrine du mort. Ils m’ont dit que ce détail était vrai, mais que j’avais dû l’entendre lorsqu’ils en avaient parlé en rentrant de l’enterrement avec mon père. "Quoi qu’il en soit, tu n’étais pas avec nous", a affirmé ma mère.
Ce n’était qu’une banale anecdote à propos de l’incroyable capacité de l’esprit humain à maquiller ou même à falsifier les souvenirs, pourtant elle est à l’origine de mon roman. Est-il possible d’oublier complètement un événement et d’en créer un faux souvenir ? Et si notre imagination était capable de transformer une réalité prétendument objective en quelque chose d’autre, qui nous appartient en propre ? L’esprit est-il en mesure de réécrire un événement donné, d’agir à la fois comme un scénariste et un metteur en scène ? C’est le sujet abordé dans Jeux de miroirs, avec pour point de départ un meurtre commis à l’université de Princeton à la fin des années 1980.
Je dirais que mon livre s’attache moins au "qui" qu’au "pourquoi". J’ai toujours pensé qu’au bout de trois cents pages, les lecteurs méritaient d’en savoir plus que le seul nom de l’assassin, même obtenu après quantité de rebondissements inattendus. Et je suis convaincu qu’un auteur devrait aspirer à découvrir le lieu magique où résident les histoires caractérisées à la fois par un solide sens du mystère et par un vrai talent littéraire.
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