Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 11 avril 2018

Madame Marguerite interprétée par Stéphanie Bataille

Madame Marguerite est devenue un monument de la création théâtrale contemporaine depuis qu'Annie Girardot l'a immortalisée en 1974, dans une adaptation faite par par Jean-Loup Dabadie, dans une mise en scène de Jorge Lavelli.

Il a fallu du culot à Stéphanie Bataille pour relever le défi de la succession. Elle a eu l'excellente idée pour cela de revenir au texte en proposant quarante après, une nouvelle incarnation, plus proche de l’originale, plus drôle qu’amusante, plus tragique que militante... bref sauvage, telle qu’elle est sortie de ma tête lorsque j’écrivis ce texte en 1970, en a dit l'auteur brésilien.

C'est en connaissant le point de vue de Roberto Athayde que je me suis décidée à aller la voir. C'est un choc dont il ne faut surtout pas se priver.

La comédienne arrive dans la salle avec la démarche classique de l'enseignante qui a ses élèves à l'oeil, à l'affut du moindre chuchotement. La salle est encore totalement éclairée. Le plus infime mouvement parmi le public ne pourrait pas lui échapper. Elle fronce les sourcil à la première alerte, se retourne, fait trois pas en avant, lâche son cabas sur le bureau, se retourne encore et fustige du regard le premier rang d'où s'échappent des rires mal contenus.
Elle aligne les livres dans un ordre maniaque. Je suis votre nouvelle maitresse, articule-t-elle et pour que vous vous rappeliez de son nom madame Marguerite va l'écrire au tableau. Elle parlera souvent ainsi d'elle à la troisième personne. La craie grince, la graphie est mal lisible. Ce ne sera pas notre seul motif de surprise.
L'école est votre second foyer. L'obéissance est la reine de toutes les vertus. Soudain un spasme de douleur lui vrille la nuque. On devine qu'elle souffre d'une grave maladie. Elle parle fort, roule des yeux, exige le silence. Puis elle se relâche, les pieds sur le bureau, pour énoncer les trois grands principes de la biologie.

Prise isolément, chacune de ses affirmations est exacte. Bout à bout cela donne un monologue surréaliste et décalé par rapport à la situation de départ (une classe de fin d'école primaire). Si elle insiste sur la mortalité de chacun c'est sans doute qu'elle a été confrontée à des morts brutales. N'oublions pas que le texte a été écrit alors que le Brésil était sous occupation militaire. Dans un tel contexte la mise en garde de madame Marguerite : tout le monde veut commander tout le monde, prend une couleur particulière. On comprend qu'elle ajoute : le pire est toujours à venir.

Le spectacle est ponctué de moments d'humour dont sa manière d'expliquer la division est un moment d'anthologie. La définition de la division est hélas souvent vérifiable : diviser veut dire chacun veut avoir plus que l'autre.

Elle frappe dans ses mains, tape sur ses cuisses, fustige la grammaire, malmène le squelette. Madame Marguerite s'emporte, sous le coup d'une attaque de théorie. A nous public de ne pas oublier que l'auteur a écrit ce texte à 18 ans pour dénoncer la dictature militaire.

S'il y a quelques leçons à retenir ce serait l'injonction de toujours chercher à faire le bien et ce proverbe africain avec lequel Stéphanie Bataille nous renvoie dans le monde réel : si t’avances tu meurs, si tu recules tu meurs, alors pourquoi t’avance pas ?

J'ai retrouvé l'extravagance que j'avais remarqué dans le rôle de Peggy Guggenheim, déjà un seule en scène il y a six ans. Stéphanie Bataille, alias Madame Marguerite, nous distrait de tout sauf de la folie du pouvoir et de l’importance de l’éducation.
Stéphanie Bataille et son metteur en scène Anne Bouvier ont eu raison de revenir à la version originale du texte, traduit en français par l’auteur lui-même. Roberto Athayde a participé à leur travail avec la joie de redonner une nouvelle vie à son œuvre, en résonance avec chaque époque.

Anne Bouvier avait en 2013 mis en scène au Ciné XIII Théâtre le succès adapté du roman de Grégoire Delacourt La Liste de mes Envies nominé aux Molières 2014 dans la catégorie Seul en Scène. Et Darius avec Clémentine Célarié qui fut une création Avignon 2016 puis repris à Paris au Théâtre des Mathurins.

Stéphanie Bataille avait écrit en 2003 un one-woman show intitulé Les Hommes mis en scène par Roger Louret qu’elle jouera à Paris et en province pendant trois ans. Après avoir interprété Les Monologues du Vagin en France ou encore aux États-Unis aux côtés de Jane Fonda, elle incarne la collectionneuse d’art et mécène Peggy Guggenheim dans la mise en scène de Christophe Lidon. Cette pièce crée en 2011 au Théâtre de la Huchette sera reprise au Théâtre Montparnasse et au Théâtre Michel. Sous la direction de Michel Fau, elle incarne Madame Durand-Bénéchol dans le succès Fleur de Cactus puis dans Peau de Vache au Théâtre Antoine ; scène qu’elle codirigera avec Laurent Ruquier et Jean-Marc Dumontet de 2011 à 2017. Soucieuse de la place et de la condition de la femme dans le monde, elle est devenue une des premières marraines de l’association Ni Putes Ni Soumises.

Madame Marguerite de Roberto Athayde
Mise en scène Anne Bouvier
Avec Stéphanie Bataille
Lumières Denis Koransky
Costumes Elisabeth Tavernier
Décors Emmanuel Charles
Production jean-Marc Dumontet
En coréalisation avec le Théâtre du Lucernaire
Actuellement au Poche Montparnasse
Du 39 mars au 30 mai 2018
du mardi au samedi à 19 heures
le dimanche à 17 h 30
75 boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)