J'ai vu Tristesses au théâtre Firmin Gémier la Piscine (92) sans me douter qu'il était programmé quelque temps plus tard sur la scène de l'Odéon.
C'est bien la preuve que les scènes de la banlieue parisienne offrent à leur public des spectacles qui n'ont rien à envier à ce qu'on peut voir dans la capitale.
Le décor est très surprenant, occupant l'entièreté du plateau, lequel est lui-même très vaste. On reconnait des maisons, un petit port de pêche qui doit se trouver quelque part dans un pays scandinave.
Un bourdonnement monte dans le silence. On s'interroge sur ce qui va se produire. La réponse s’affiche sous forme d'un télex sur l’écran qui est tendu en fond de scène, prévenant que l’histoire qui va suivre est entièrement vraie. Elle a commencé les 17 et 18 novembre 2016 sur l’île de Jutland au Danemark. 811 habitants y vivaient de l’élevage en 2005. Deux éleveurs se donnent la mort en 2008 quand ferment les abattoirs.
Mon esprit s’évade aussitôt quelques secondes vers la silhouette de Stéphane Audran drapée sous la grande cape de Karl Lagerfeld traversant la lande avec son panier. J’imagine les rustres qui bientôt seront sur scène. Au fond cette vision n’est pas si fausse.
Tristesses, ce nom s'écrit au pluriel, car il est à la fois celui d’une île scandinave, d’un suspense policier, et d’un symptôme politique. Toute ressemblance avec des faits ayant réellement existé n'est donc pas fortuite.
Les dialogues commencent par une conversation animée dans la famille du maire, passionné par un Trivial Pursuit. Qu’est-ce qui est symbole de paix ? La couronne de laurier, la colombe ou le rameau d’Olivier ? Sa gamine bafouille, hésite. La colombe bien sur !
On n’en entendra pas gazouiller sur l’île où bientôt la guerre ... des nerfs fera rage.
Pour le moment Bob l’éponge est le héros et on ne cherche pas midi à quatorze heures. Le père de famille enchaîne les questions en exigeant de plus en plus sèchement une réponse. On suit ces échanges musclés sur grand écran (deux vidéastes filment en direct les déplacements des comédiens que la régie sélectionnent et projettent) quand soudain notre œil est attiré par un rideau qui se soulève à la fenêtre d’une des maisonnettes. Seraient-elles habitées ?
On croyait assister à un court métrage. Nous réalisons que l’action s’est déroulée en direct (d’où l’équipement des visages en micro ... qui ceci dit dérangent, d’autant qu’à ce moment là le son est trop fort). On se sent un peu voyeur ... poussant le paradoxe du quatrième mur, effondré.
La fumée s’échappe d'une toiture. On devine que la vieille dame s’est pendue. Chantera-t-on l’hymne national à son enterrement ?
L’île est à peine imaginaire. Anne-Cécile Vandalem y a situé une fable pour notre temps. Elle interprète Martha Heiger, dirigeante du Parti du Réveil Populaire et favorite des prochaines élections, qui revient à Tristesses pour rapatrier le corps de sa mère sur le continent. Mais pourquoi Ida s’est-elle suicidée en se pendant au drapeau danois ? Et que manigance réellement sa fille ? Tristesses étant aussi un polar nordique, je n’en dévoilerai pas plus, mais les maisons isolées sur la nuit du plateau sont le décor d’un drame où extérieurs en scène et intérieurs filmés alternent sur un rythme digne des meilleures séries.
Tristesses propose aussi une réflexion sur la montée des populismes. Selon Vandalem, "l’attristement des peuples" est aujourd’hui l’une des plus redoutables techniques de manipulation des esprits. Mais "les larmes", ajoute-t-elle, "ont une puissance esthétique infinie", indéterminable, et "les émotions peuvent être élan, moteur, énergie vive pour initier une prise de parole ou un acte".
Comme le dit un des personnages : Dans la vie si t’es pas devant t’es derrière.
Certaines scènes sont intentionnellement surréalistes, interrogeant sur la capacité des morts à s'adresser aux vivants. La metteuse en scène fait chanter la mère, morte, avec une sublime voix de soprano. Bien entendu tout est en son direct. Et la musique, que ce soit la tonalité lancinante du violoncelle ou le pas trainant des musiciens, tient une place prépondérante dans le spectacle qui fut un des gros succès du dernier festival d'Avignon.
Même si certains passages sont très drôles, Tristesses est une de ces oeuvres qui font réfléchir, et qui dégagent une force phénoménale. Les personnages devront tous, un a un, renoncer : On n’a rien pour se battre. La relation de la tristesse et du pouvoir est pour l'auteure évidente. La plus grande arme politique actuelle est l’attristement des peuples, dont la culpabilité, la honte, la frustration, l’impuissance, la haine et la désespérance sont des dérivés.
Il s'achève avec mélancolie quand Ida (Françoise Vanhecke) termine en chantant La belle vie (immortalisée par Sacha Distel) :
TristessesC'est bien la preuve que les scènes de la banlieue parisienne offrent à leur public des spectacles qui n'ont rien à envier à ce qu'on peut voir dans la capitale.
Le décor est très surprenant, occupant l'entièreté du plateau, lequel est lui-même très vaste. On reconnait des maisons, un petit port de pêche qui doit se trouver quelque part dans un pays scandinave.
Un bourdonnement monte dans le silence. On s'interroge sur ce qui va se produire. La réponse s’affiche sous forme d'un télex sur l’écran qui est tendu en fond de scène, prévenant que l’histoire qui va suivre est entièrement vraie. Elle a commencé les 17 et 18 novembre 2016 sur l’île de Jutland au Danemark. 811 habitants y vivaient de l’élevage en 2005. Deux éleveurs se donnent la mort en 2008 quand ferment les abattoirs.
Mon esprit s’évade aussitôt quelques secondes vers la silhouette de Stéphane Audran drapée sous la grande cape de Karl Lagerfeld traversant la lande avec son panier. J’imagine les rustres qui bientôt seront sur scène. Au fond cette vision n’est pas si fausse.
Tristesses, ce nom s'écrit au pluriel, car il est à la fois celui d’une île scandinave, d’un suspense policier, et d’un symptôme politique. Toute ressemblance avec des faits ayant réellement existé n'est donc pas fortuite.
Les dialogues commencent par une conversation animée dans la famille du maire, passionné par un Trivial Pursuit. Qu’est-ce qui est symbole de paix ? La couronne de laurier, la colombe ou le rameau d’Olivier ? Sa gamine bafouille, hésite. La colombe bien sur !
On n’en entendra pas gazouiller sur l’île où bientôt la guerre ... des nerfs fera rage.
Pour le moment Bob l’éponge est le héros et on ne cherche pas midi à quatorze heures. Le père de famille enchaîne les questions en exigeant de plus en plus sèchement une réponse. On suit ces échanges musclés sur grand écran (deux vidéastes filment en direct les déplacements des comédiens que la régie sélectionnent et projettent) quand soudain notre œil est attiré par un rideau qui se soulève à la fenêtre d’une des maisonnettes. Seraient-elles habitées ?
On croyait assister à un court métrage. Nous réalisons que l’action s’est déroulée en direct (d’où l’équipement des visages en micro ... qui ceci dit dérangent, d’autant qu’à ce moment là le son est trop fort). On se sent un peu voyeur ... poussant le paradoxe du quatrième mur, effondré.
La fumée s’échappe d'une toiture. On devine que la vieille dame s’est pendue. Chantera-t-on l’hymne national à son enterrement ?
L’île est à peine imaginaire. Anne-Cécile Vandalem y a situé une fable pour notre temps. Elle interprète Martha Heiger, dirigeante du Parti du Réveil Populaire et favorite des prochaines élections, qui revient à Tristesses pour rapatrier le corps de sa mère sur le continent. Mais pourquoi Ida s’est-elle suicidée en se pendant au drapeau danois ? Et que manigance réellement sa fille ? Tristesses étant aussi un polar nordique, je n’en dévoilerai pas plus, mais les maisons isolées sur la nuit du plateau sont le décor d’un drame où extérieurs en scène et intérieurs filmés alternent sur un rythme digne des meilleures séries.
Tristesses propose aussi une réflexion sur la montée des populismes. Selon Vandalem, "l’attristement des peuples" est aujourd’hui l’une des plus redoutables techniques de manipulation des esprits. Mais "les larmes", ajoute-t-elle, "ont une puissance esthétique infinie", indéterminable, et "les émotions peuvent être élan, moteur, énergie vive pour initier une prise de parole ou un acte".
Comme le dit un des personnages : Dans la vie si t’es pas devant t’es derrière.
Certaines scènes sont intentionnellement surréalistes, interrogeant sur la capacité des morts à s'adresser aux vivants. La metteuse en scène fait chanter la mère, morte, avec une sublime voix de soprano. Bien entendu tout est en son direct. Et la musique, que ce soit la tonalité lancinante du violoncelle ou le pas trainant des musiciens, tient une place prépondérante dans le spectacle qui fut un des gros succès du dernier festival d'Avignon.
Même si certains passages sont très drôles, Tristesses est une de ces oeuvres qui font réfléchir, et qui dégagent une force phénoménale. Les personnages devront tous, un a un, renoncer : On n’a rien pour se battre. La relation de la tristesse et du pouvoir est pour l'auteure évidente. La plus grande arme politique actuelle est l’attristement des peuples, dont la culpabilité, la honte, la frustration, l’impuissance, la haine et la désespérance sont des dérivés.
Il s'achève avec mélancolie quand Ida (Françoise Vanhecke) termine en chantant La belle vie (immortalisée par Sacha Distel) :
Alors pense que moi je t'aime
Et quand tu auras compris
Réveille-toi
Je serai là
Pour toi.
De et mis en scène par Anne-Cécile Vandalem
Avec Vincent Cahay, Anne-Pascale Clairembourg, Epona Guillaume, Séléné Guillaume en alternance avec Asia Amans, Pierre Kissling, Vincent Lécuyer, Catherine Mestoussis en alternance avec Zoé Kovacs, Jean-Benoit Ugeux, Anne-Cécile Vandalem en alternance avec Florence Janas, Françoise Vanhecke et Alexandre Von Sivers.
Composition musicale Vincent Cahay, Pierre Kissling
Scénographie Ruimtevaarders
Création sonore Jean-Pierre Urbano
Création lumière Enrico Bagnoli
Création costumes Laurence Hermant
Création vidéo Arié van Egmond, Federico D’Ambrosio
Production Das Fräulein (Kompanie)
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h relâche le lundi
Relâche exceptionnelle le dimanche 20 mai
Odéon-Théâtre de l’Europe
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon 75006 Paris
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