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vendredi 12 mars 2021

L'Enfant céleste de Maud Simonnot

Si vous avez entendu parler de l’Enfant céleste ce fut sans doute en bien. Je n’imagine pas qu’on puisse écrire une critique négative sur ce livre au charme léger et délicat.

On devine combien Maud Simonnet a mené des recherches pour nourrir l’intrigue, habilement nouée avec les recherches que Tycho Brahe entrepris sur l'île de Ven où il imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel.

Et combien il fallut de travail à l'auteure pour que tous ses effort ne se sentent pas. Il en résulte un récit empreint de délicatesse et de légèreté qui coule de source.

A la dérive, l’île, un dernier rivage, ces trois parties aux intitulés marins racontent l'histoire de plusieurs voyages, autant réels qu'intérieurs, qui mèneront la mère, Mary, et l'enfant, Célian, à envisager des horizons plus sereins.

Il me plaît de croire, même si je sais que c’est une illusion, que la couverture est une aquarelle tirée de l'herbier que Mary peint pour illustrer les plantes que lui rapporte son fils (p. 16). Ce choix obéit en tout cas à une grande logique puisque la nature et les plantes sont très présentes dans le livre. On pourra croire aussi à une toile du vieux pêcheur qui (p. 98) peint la flore de l'île lorsque la météo l’éloigne de l'océan.

J'ignorais cet endroit, d'à peine la moitié de la superficie d’Ouessant, si loin de Paris et de nos soucis. Maud Simonnet la décrit si finement que, si nous n'étions pas interdits de lointains voyages, je bouclerais illico une valise pour l'arpenter moi aussi et me laver de ces jours en creux qui accompagnent les chagrins (p. 113) que Mary n'est pas unique à devoir traverser.

Je ne suis pourtant pas à plaindre, ayant la chance de me rendre régulièrement sur Oléron, une île certes moins exotique, mais qui possède un immense potentiel de variétés de paysages sur quelques kilomètres de distance, et de ciels aussi.
L'adjectif figurant dans le titre étonne. Il sera associé à la voûte autour de Mary et Bjorn (p. 154). Il qualifie avant tout Célian, qui signifie "lune" en grec et "querelleur" en celte est en quelque sorte tombé du ciel pour la mère comme pour le lecteur qui ignore qui est son père (information sans importance au demeurant pour le roman). Il est victime -ou chanceux- de surdouance, selon le point de vue qu'on adopte. Maud Simonnot pointe ce que cette spécificité à de joli, cette aptitude si particulière à être en connexion sensuelle avec les éléments. Et bien sûr l’incompréhension de la part des personnes dites normales. On devrait exiger une proportion d'enseignants surdoués dans les établissements scolaires. Cela changerait beaucoup les choses mais c'est bien entendu inenvisageable : aucun ne passerait le cap des sélections.

L'auteure explique ce qui marque la surdouance (p. 35) en particulier une hypersensibilité. Elle nous donne plus loin un indice qu'elle qualifie de caractéristique déroutante pour repérer un surdoué (p. 119) : une pensée arborescente qui ne cesse de faire des liens entre les choses les plus improbables. J'ajouterai que ce qui est vrai d'un enfant l'est tout autant d'un adulte parce que la surdouance est une spécificité qui ne disparait pas. Elle reste dérangeante à tous les âges.

Les allers-retours entre le ciel et la terre sont constants. La dimension écologique est récurrente, parfois à travers quelques mots, mais qui sont essentiels. Par exemple en pointant (p. 84) combien la sauvegarde des semences est un combat . Et je recommande fortement de regarder le documentaire Les Liberterres qui en fait la démonstration. 

Je ne soupçonnais pas que Shakespeare se soit inspiré de la vie de Tycho Brahe alors que je ne cesse, en ce moment, d'aller voir des spectacles autour d'Hamlet ou de l'astronomie. Quel hasard ! Guy-Pierre Couleau,  qui a mis en scène plusieurs pièces de Shakespeare, dont la dernière est La tragédie d'Hamlet, au Théâtre 13, m’a appris que le théâtre du Globe, construit à Londres pendant la nuit de Noël 1598 par Shakespeare et ses comédiens, n'a pas seulement été nommé ainsi parce que "le monde entier est un théâtre" mais aussi en référence à ce bouillonnement des idées qui allait se répandre alors que Galilée, n'a pas encore l'idée de tourner une lunette vers le ciel. Il le fera en 1609, inventant alors la lunette astronomique.

L'analyse argumentée (p. 79) autour de ce que Maud Simonnot appelle des convergences troublantes est absolument passionnante, surtout pour quelqu'un qui a travaillé dans l'univers du théâtre.

On peut songer à diverses figures spectrales, comme celle du résident dit invisible (p. 75). De nombreux personnages célèbres traversent cet ouvrage et il faut remercier l'auteure de nous en donner les principales références p. 165. Elle y avoue un travestissement, celui du titre du poème de Tennyson, sans doute par humilité puisqu'il porte son propre prénom, Maud.

Ce premier roman (après avoir signé une biographie remarquée) nous parle de résilience avec élégance. Mary voudrait "oublier" Pierre en se débarrassant de l'imprégnation qui subsiste dans sa mémoire. Elle s'appuie sur ce qu'elle a lu de Proust (p. 137), un spécialiste en la matière pourrait-on dire. Elle a aussi recours à une forme de dénigrement en lâchant (p. 81) l'étrangeté de cet homme qui se tenait au bord de l’amour comme un échassier au bord de l’eau. Comme s'il existait un risque à être ou ne pas être emporté par des sentiments.

Curieusement et alors qu'elle avait placé en lui un fol espoir d'éternité, Mary ira mieux quand elle réussira (p. 101) cet exercice périlleux : J'essaie de refouler cette pensée que le bonheur présent est un moment volé. A la fin, elle sera sans doute parvenue à traverser à l'envers tous les sentiments. Elle pourra revenir sur les lieux de son défunt amour, y déposer des fleurs (p.160) et se sentir enfin prête à rejoindre ce rivage où l’on guérit du mal d’aimer.

On observera qu'elle n'était pas seule sur ce chemin de la désensibilisation (comme on pourrait le dire d'une allergie soudaine). Elle aura été accompagnée par sa mère, par les habitants de l'île et surtout par Björn, un homme réparateur agissant comme un onguent, précisément parce qu’il ne lui promet rien. Elle aura compris que les promesses ne servent à rien, ou peut-être à faire du mal quand elles ne sont pas tenues.

Quand Mary reprend l'escalade, ce sport lui fait l'effet d'une remontée d'un abysse. Le livre s'achève sur cette citation célèbre de Shakespeare, figurant dans La Tempête : Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves (p. 162). Il m’aura manqué de la musique pour qu’il soit parfait. Qu’importe, j’ai entendu le bruit des vagues.

L'Enfant céleste de Maud Simonnot, éditions de l'Observatoire, en librairie depuis le 19 août 2020
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