Choisir une exposition ou une rencontre avec des artistes pendant la Paris Design Week n’est pas très facile tant les propositions abondent. Mais comme elles sont toutes qualtitatives l’exercice ne comporte par de risque. Néanmoins je vous recommande particulièrement celles que j’ai vues et qui pourraient bien devenir les incontournables de l’édition 2025. Elles se poursuivent jusqu'au 13 septembre 2025. Et je souhaite particulièrement que cet article vous incite à scruter le programme 2026 à sa sortie si vous avez manqué la présente édition.
J’ai choisi, pour illustrer cet article, une photo de l’installation d’Aude Franjou, les "Coraux de la Liberté" qui se déploie à l’intérieur de la célèbre colonne de Juillet, place de la Bastille (réservations auprès de Maison Parisienne). Y entrer fut un privilège et j’en reparlerai plus loin.
L’expérience de design immersif et inspirant planifié tout au long de cette journée d’avant-première dédiée à la presse française a commencé, dans un autre quartier, place de la Concorde, et célèbre l'imaginaire créatif de Jeremy Pradier-Jeauneau qui avait installé son Labyrinthe à l'Hotel de la Marine.
On remarque les Figures chimériques 1,2,3,4 qui sont des sculptures lumineuses en faïence blanche et nacrée réalisées cette année par Johanna de Clisson, représentée bien entendu par la galerie Pradier-Jeauneau. Le mannequin est habillé par la marque Dilara Findikoglu, avec un top Vénus Armour composé de soie, coquillages, perles et épingles. Le pantalon est en cuir de python, percé d’œillets. Les chaussures sont de Manolo Blahnik Vintage /FW25.
J’ai été bouleversée par l’installation monumentale des 577 chaises de l’hémicycle citoyen disposées en arc de cercle à l'Hôtel de Soubise qui abrite les Archives nationales par le Studio 5.5 et “Le Festival du Monde”, en corrélation avec la conservation dans cet endroit de la Déclaration des Droits de l'homme et bien entendu le nombre de sièges de députés à l’Assemblée nationale. Chaque chaise, monocoque en bois, récupérée en partenariat avec Le Boncoin, a été customisée par Claire Renard et Jean-Sébastien Blanc, pour défendre les valeurs de démocratie et de liberté d'expression. Ces pionniers de l'upcycling ont procédé par découpe et peinture aérosol. Chacune est unique, humanisée et signée à la main.
Les 577 mots n’ont pas été choisis au hasard mais pour questionner notre démocratie et la disposition prend tout son sens. Par exemple Omerta (sur la chaise noire) est entre Coalition et Satire. On repèrera d’autres contrastes comme Pacs à côté de Mariage, ou encore Amour, Gloire et Beauté. Gilet figure à la peinture noire sur un dossier … jaune, avec humour. Espérons qu’un tel dispositif soit susceptible de restaurer un intérêt pour la politique.
Pour que cet hémicycle citoyen n’ait rien d’éphémère, et que les visiteurs puissent en ramener un morceau chez eux, chacune des chaises qui le compose est vendue aux enchères par Drouot Estimations sur le site Drouot.com jusqu’au 21 septembre avec une mise à prix de 100€. Les bénéfices seront partagés entre Le festival du monde et l’association La Chance.
Quand on scrute les adjudications sur le site de Drouot, on dénombre 246 vendues, et donc 331 encore dans l’attente d’un acquéreur. Le classement décroissant fait apparaître que la vente la plus élevée s’est faite à 380 € (hors frais) pour Amour, puis 260 pour Avocat, 210 Jouir, 200 Bizarre, 195 France, 190 Clown, Communiste et Marseillaise, 175 Liberté, 160 Bleu, Créateur, Omerta et Scandale … Je ne sais pas si les résultats ont comblé les créateurs car seulement 91 sont parties à plus de 100 euros.
Le Festival du Monde existe depuis 11 ans. Le journal ouvrira ses portes cette année du 18 au 21 septembre pour donner la parole à des personnalités inspirantes susceptibles d’imaginer les mondes de demain. On pourra évidemment découvrir le travail de la rédaction, visiter le bâtiment mais aussi débattre sur des grands sujets d'actualité, assister sur le parvis, scénographié par Claire Renard et Jean-Sébastien Blanc, à des rencontres, des concerts, des performances et même se restaurer … Ce sont plus d’une centaine d’événements qui sont attendus.
Marianna Ladreyt venait juste d’achever son “Plastic Glamping” dans la cour de l’Hôtel d’Albret. Cette installation immersive nous invite à entrer sous une toile XXL conçue à partir de bouées de plage upcyclées de la marque INTEX qu’elle travaille comme s’il s’agissait de peaux d’animaux.
Son geste mêle couture, tissage, nouage et autres artisanats, dans un univers où tout semble à la fois familier et transformé, qui plus est en combinant joie de vivre et confort. Les fauteuils sont pour moi immédiatement reconnaissables puisque j’étais restée longtemps sur le stand de la marque Airborne au cours de la dernière édition de Maison & objet. Voici donc deux versions supplémentaires de l’iconique AA qui existait déjà avec 57 housses différentes.
Elle nous a encouragés à tester ses créations, y compris le lit (ci-dessus à gauche) qui est le seul élément gonflable et qui est réellement confortable. Quel ode à la relaxation que cette tente à la transparence d’un vitrail !
Cette designer a créé son studio de design en 2019 et navigue entre le design de mobilier, d’objets et de mode. Elle assemble des matériaux industriels abandonnés pour leur donner une nouvelle vie. Son travail, empreint d’humour et d’innovation, a notamment été exposé à la Design Parade de Toulon en 2024.
Nous poursuivons en traversant la place des Vosges pour nous rendre dans l’appartement occupé par Victor Hugo de 1832 à 1848 et où toute la vie de l’écrivain est retracée à travers les trois grandes périodes qu’il a lui-même caractérisées dans Actes et Paroles : avant l’exil, pendant l’exil, depuis l’exil.
Jacques Pépion, photographe y présente Intérieurs Jour composé d’une quarantaine de photographies qui dévoilent son travail intuitif, rigoureux et élégant, en témoignant de lieux d’exception (palaces, résidences privées) d’architectes de renom international, et de collections particulières de meubles et d’objets. La lumière y est audacieuse pour libérer le regard tout en sublimant le travail des architectes d’intérieur et des collectionneurs d’art.
Dans le jardin de la Maison Victor Hugo, Sandra Benhamou a installé ses pièces sous un voile de tissu. Une table incrustée d’un jeu d’échecs est spécialement faite pour être utilisée en extérieur. Avec Métaphores, elle signe un espace suspendu et poétique, où mobilier et littérature dialoguent en silence, à l’abri du monde, nous rappelant que le grand écrivain dessinait aussi des meubles.
Elle a relu récemment ce poème de La légende des siècles, mettant en contraste la folie guerrière des hommes avec la création paisible de la nature dont on doit à Dieu les étoiles et les fleurs, qu’elle a cherché à honorer dans ce jardin.
Quand un proche du parfumeur Alexandre Helwani a été interné les questions de l’odeur se sont posées dans le protocole de soins. Il a voulu alors imaginer une installation sur le thème de la santé mentale, du besoin de ralentir, de parler, de sentir et de se sentir bien. Il a créé avec son complice Lucas Lhuillet une installation qu’ils ont appelée Folie parce que ce terme dont on connait tous le sens provient d’un mot signifiant souffle, partant du principe qu’un fou aurait trop d’air dans la tête.
Ils ont imaginé ce qu’ils appellent un îlot de décélération au coeur de la ville. Le divan totem de la psychanalyse devient un divan causeur sur lequel on peut s’installer à deux pour discuter, partager … lutter contre la folie contemporaine qui est de se sentir seul. Autour se déploie une série de bannières parfumées, jamais agressivement, dont le vent transporte les effluves. Certaines molécules olfactives ont des vertus anti-dépressives et anxiolytiques à l’inhalation. J'ai respiré les quatre senteurs de la Fontaine olfactive, avec entre autres des effluves d’encens, de myrrhe ou de cèdre. Ce sera à chacun de se forger sa propre interprétation.
Dans l’Orangerie de cet Hôtel de Sully, le Studio Ymer&Malta fondé par Valérie Maltaverne, présente une sélection de mobilier d’art d’exception, fruit d’un dialogue raffiné entre innovation et artisanat d’art français où la nature inspire les formes et les matières. Un banc rappelle la ramure d’un chêne par ses branchages sculptés, avec, au-dessus, les lampes « Galet », réalisées avec une technique spécifique de sable, résine et fibre de verre, qui ont aussi été exposées au Noguchi Museum et à la Villa Savoye.
L’installation monumentale d’Aude Franjou, Coraux de la Liberté, présentée par Maison Parisienne, au sein de la Colonne de Juillet, place de la Bastille, est sans nul doute un évènement fort de cette Paris Design Week, ce qui justifie qu’elle soit prolongée jusqu’au 21 septembre pour les Journées du Patrimoine. Outre la beauté majestueuse de l’œuvre, elle donne d’occasion de pénétrer dans un monument qui n’est pas visitable en dehors de la programmation de visites-conférences les week-ends.
Florence Guillier Bernard, fondatrice de cette galerie nomade, multiplie depuis 2008 les choix audacieux en proposant aux collectionneurs une sélection unique d’objets d’art réalisés par des créateurs contemporains français, artistes de la matière comme Aude Franjou, auteure et sculpteure (comme elle se présente elle-même).
Hormis l’escalier tout est en marbre. Cette installation est prétexte (aussi) à nous rappeler le modernisme parisien qui avait voulu initialement une fontaine jaillissante portant un énorme éléphant et dont il ne subsiste que le socle.
L’eau est toujours présente et coule sous le monument (visible à travers la grille photographiée ci-dessus), s’accordant avec le thème retenu par l’artiste. Elle a exclusivement employé du lin dont le tissage déploie des centaines de branches de coraux qui s’élèvent du socle jusqu’au coeur du monument. Du blanc immaculé des coraux dévitalisés au rouge soutenu de leur régénération, un dégradé accompagne le regard dans une puissante métaphore évoquant la mort et la renaissance. Inspirée par la lente croissance du vivant, Aude Franjou sculpte la matière textile pour faire naître un récif vibrant, hommage à l’histoire du lieu et au savoir-faire textile, prouvant que la création contemporaine n’est pas antinomique du patrimoine.
C’est un travail énorme qui a mobilisé les mains de l’artiste pendant six mois. Il est inouï de penser que son seul outil fut une paire de ciseaux.
Nous avons fait une pause au Café français, juste de l’autre côté de la place de la Bastille où India Mahdavi bouscule les codes de la brasserie parisienne en composant un décor vibrant dans des tonalités de bleu, blanc et rouge avec une touche d’or.
Nous avons ensuite suivi au Confluence Institut le dialogue entre Patrizia Vincenzi de la société Luceplan et Odile Decq, impressionnante de simplicité, autour de l’installation spéciale Dix bougies dédiée à leur collaboration initiée en 2012, fructueuse puisqu’elle a conduit à la création de luminaires dont le nom évoque la forme : le javelot, le pétale, soleil noir … en appliquant la célèbre formule Less is More.
Voici une de ces bougies en gros plan. La matière est un papier dans lequel une voix lactée a été gravée.
Avec Guatemala crée avec ses mains, “Guatemala diseña con las manos”, ce pays invite les visiteurs à découvrir son riche patrimoine culturel tout en montrant son dynamisme et sa modernité. Berceau de la civilisation maya, le Guatemala offre des destinations touristiques reconnues mondialement pour ses trésors historiques et naturels. Nous avons appris qu’il a adopté le design contemporain et l’artisanat local comme formes d’expression reliant passé, présent et avenir.
Voici ci-dessus un Huipil de fête de Santiago de Sacatapéquez tissé au Guatemala par Oneida Ivette Curruchich sur lequel je retrouve des motifs que j’ai déjà vus lors d’un séjour dans ce pays. Je rappelle que le huipil est une blouse rectangulaire faisant partie de la tenue traditionnelle des femmes mayas. Le mot huipil vient du nahuatl (langue aztèque) et les blouses de ce style sont portées par les femmes indigènes mésoaméricaines depuis plus de mille ans et le sont encore de nos jours. Frida Kahlo, au Mexique, en fut l’une des ambassadrices les plus enthousiastes.
L’exposition réunit des designers et des artisans très en vus dans leur pays et démontrer que l’artisanat peut constituer un vecteur culturel. On remarque les serviettes très colorées de Casa Edel (ci-dessus).
Dans cette même galerie du 84 rue de Turenne on pouvait aussi découvrir l’univers de Aura, par , cofondé par Charlotte Tarbouriech qui explore le dialogue entre plâtre brut et verre dégradé. Les appliques, à l’instar de sculptures lumineuses, diffusent une douce lumière, colorée et pour ainsi dire vivante, jouant entre matière, transparence et vibration.
Enfin il aurait fallu passer du temps au sein de l’Espace Commines où se déroulait l’ouverture officielle de la Paris Design Week Factory mais le périple que nous avions fait dans les dernières heures excédait largement les 12000 pas et nos yeux étaient déjà éblouis. Il n’empêche que j’ai été très intéressée par les créations de Yoann Piccardi de EggwaveWorkset.
Ce designer, diplômé en Design textile à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre (Belgique) a créé une filière artisanale de réemploi de boîtes d’oeufs à but utopique : changer le monde en sensibilisant à une création esthétique, résiliente, écologique et sociale. Inspiré par le textile, le design, la sculpture, l’art et l’architecture, le designer développe un design transformant artisanalement des plateaux en cellulose moulée (boîtes à oeufs) en surfaces vibrantes, à travers des formes sensibles et fonctionnelles, réalisés en séries artisanales.
Aucun doute que la Paris Design Week est le lieu où émergent les nouveaux talents, les nouvelles tendances, les nouvelles esthétiques. Il y a aussi un cycle de conférences passionnantes et bien entendu une application pour ne rien manquer de ce qui peut vous intéresser. Rendez-vous est donc d’ores et déjà pris pour 2026.
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Rappel des sites :
Installation "Le Labyrinthe" de Jérémy Pradier-Jeauneau à l’Hôtel de La Marine - 2 place de la Concorde, 75008 Paris
Exposition Studio 5.5 - “Le Festival du Monde” à l’Hôtel de Soubise - 60 Rue des Francs Bourgeois, 75003 Paris
Marianna Ladreyt -“Plastic Glamping” à l’Hôtel d’Albret - Cour d’Albret 31 rue des Francs Bourgeois, 75003 Paris
Exposition des Photos d’intérieurs de Jacques Pépion + découverte de Victor Hugo décorateur dans la Maison Victor Hugo - 6 place des Vosges, 75004 Paris
Installation Folie, par Lucas Lhuillet et Alexandre Helwani + Studio Ymer&Malta (dans l’Orangerie) à Hôtel de Sully, 62 rue St-Antoine, 75004 Paris
"Coraux de la Liberté" une installation d’Aude Franjou, présentée par Maison Parisienne dans la Colonne de Juillet, Place de la Bastille, 75004 Paris
Le Café français, place de la Bastille
Dialogue entre Odile Decq et Patrizia Vincenzi, Luceplan: “Dix bougies” au Confluence Institut - 11 Rue des Arquebusiers, 75003 Paris
“Guatemala diseña con las manos”, Rencontre sur l’artisanat en tant que vecteur culturel à Espace 84 - 84 rue de Turenne 75003 Paris
VIP Opening de la Paris Design Week Factory à l’Espace Commines - 17 Rue Commines, 75003 Paris
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