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mercredi 11 février 2009

Deux heures avec Claudie Gallay

Invitée par la Médiathèque d’Antony (92), l’écrivain a rencontré les lecteurs de l’Office des vivants (2001), Mon amour, ma vie (2002), Les années Cerises (2003), Seule Venise (2004), Dans l’or du temps (2006), les Déferlantes (2008) …

Elle a répondu à toutes les questions avec l’honnêteté et le courage dont les timides peuvent être capables. Sans précipitation, avec franchise et pudeur.

Un auteur enraciné
Claudie Gallay a grandi en Isère, dans la campagne dauphinoise, au contact des bêtes, au rythme des labours. Quand d’autres se nourrissent de descriptions littéraires la petite fille est en prise directe avec la nature, enregistre les odeurs, les bruits et les couleurs. Mille et une petites choses devenues presque invisibles aujourd’hui aux yeux des citadins.

Son écriture se nourrit directement de ce terreau. Des images surgissent, belles et brèves, un peu à l’instar de ces fichiers Power Point que les internautes transfèrent en boucle à leur carnet d’adresses. Sauf que ses phrases à elle ne parlent jamais pour ne rien dire. Si elle s’attarde sur le ventre d’une grenouille où palpitent encore quelques lucioles, c’est pour mieux nous faire toucher l’or du temps.

Chaque livre surgit d’un territoire
C'est une exposition de poupées Kachina au Pavillon des Arts en 1996 qui fut à l’origine de L’or du temps. Il y avait un camp de gitans en bordure de la route qu’elle prenait pour aller travailler. Un soir elle s’est arrêtée et a passé 2-3 heures avec eux, le temps de s’imprégner d’une atmosphère, même si alors elle n’avait pas directement projeté d’écrire Mon amour, ma vie.

Elle a séjourné plusieurs fois à Venise, dans cette même maison d’hôte où elle situe l’action. Le patron ne s’appelait pas Luigi. C’est un autre vénitien qui en a été le modèle. Et pendant plus d’un an elle est allée à la Hague : Je peux situer le début du travail au jour où j’ai commencé à regarder le phare autrement. A partir de cet instant je n’étais plus en promenade sur les sentiers. J’ai marché sur la terre où mes personnages allaient avancer. Théo est né d’une silhouette entre aperçue un soir de brume.

Elle a forcément vu quelque part les gestes de Lily, le blouson de Lambert. Mais elle prétend que ses personnages sont complètement imaginaires. Ce qui sous-entend que ses romans ne doivent pas être compris comme autobiographiques. Pourtant le réel se glisse subrepticement dans ses ouvrages. C’est André Breton et une kyrielle de surréalistes dans l’Or du temps. C’est Jacques Prévert dans les Déferlantes.

Claudie Gallay n’a pas eu de livres dans son enfance. Elle s’est rattrapée plus tard. Elle dit avoir été bouleversée par Un barrage contre le pacifique de Marguerite Duras, un tout petit livre d’Albert Cossery (chaque phrase va à l’essentiel, comment écrire après …), l’Enfant méduse de Sylvie Germain, Isabelle Bruges de Christian Bobin, le Journal de Charles Juliet, un auteur terriblement marqué par la solitude ,qui va gratter très loin dans les silences, touchant l’universel de nos douleurs, le fabuleux poème de Prévert, le Gardien de phare aime trop les oiseaux.

La mer, partout la mer
C’est un fait. L’eau est presque un des personnages principaux de tous ses livres. Avec les tourbillons qui alimentent le gouffre (l’Office des vivants). Les vagues marines qui dévorent une falaise (Etretat dans l’Or du temps, la Hague dans les Déferlantes). Un père ou un animal peut s’y noyer, une maison s’y effondrer (les Années cerises). C’est aussi un élément du décor de Seule Venise.
Claudie adolescente a tant rêvé d’aller passer une journée au bord d’un océan qu’elle y emmène tous ses héros (Dan, le jeune rom, Pierre-Jean, dit l’Anéanti, Marc le fils aîné …) et même leur progéniture (les jumelles du narrateur de l’Or du temps). Elle qualifie le lien avec la mer d’apaisant. C’est le bruit et le silence. Alors forcément ses personnages y vont et reviennent, ramassent des galets. Si j’étais psy … je trouverais cela tout à fait normal.

Un écrivain de la rencontre
Les nouvelles technologies sont peu prégnantes même si on entend çà et là la sonnerie d’un portable. L’amour du couple décline au quotidien. La nature sauvage est exaltée. Claudie Gallay ne décrit pas les mondanités mais offre de belles rencontres. Cette façon de schématiser son œuvre surprend l’écrivain qui ne l’avait jamais analysée comme cela mais qui ne s’en défend pas : je n’ai pas de message à transmettre contre la société. Juste le besoin d’écrire sur ces gens qui dans la vie ordinaire n’ont pas cette capacité à échanger par la parole. Sur ceux qui privilégient les gestes et les regards.

On entend beaucoup de silence dans ses livres. Ce qui permet d’écouter les non-dits. Claudie Gallay compare avec la vie courante où il faut vraiment être bien avec quelqu’un pour pouvoir se taire avec lui. Je cherche à montrer l’envers d’un tissu, ce qui s’est perdu mais que l’on porte encore en nous. Nous sommes faits de rencontres, avec des personnes, des musiques, des peintures, qui font dévier légèrement nos vies. J’aime toucher à cela. A ce que dans la vraie vie on rate parfois faute de temps ou par excès de soucis.

A qui invoque positivement la spontanéité du langage elle répond d’un souffle qu’elle l’épuise. Que la parole orale est bien compliquée. Que malgré sa très grande vitesse il faut qu’elle soit vraie, au plus juste. Alors que l’écriture, à l’inverse, autorise toutes les corrections. Que ce soir, dans sa chambre d’hôtel, elle va regretter de ne pas avoir dit plus.

La belle place aux personnes âgées
Elles sont dépositaires d’un secret de leur histoire qu’elles offrent en provoquant chez le confident la révélation de son moi profond. Le dialogue est réel et non à sens unique. Souvent entre une personne âgée et un quarantenaire (la narratrice et le prince russe Vladimir Pofkovitchine dans Seule Venise, Alice et le narrateur de l’Or du temps …). Claudie Gallay rend hommage à sa façon à son grand-père menuisier, toujours curieux d’apprendre, qui lui a transmis l’amour des livres sans avoir été lui-même à l’école. Décédé deux ans avant la parution de son premier livre tout en sachant qu’il était en cours.

Des romans durs et pourtant paisibles
La cruauté des hommes est plus dure que toutes les autres. La nature et les animaux peuvent apporter cette force qui permet de survivre. Le petit gitan de Mon amour, ma vie parviendra à sortir de l’enfance grâce à l’amour de Tamya, sa guenon, sans doute plus humaine que bien des hommes. Claudie Gallay en profite pour rassurer les lecteurs : non l’enfant ne meurt pas à la fin de l’histoire (soulagement de l’auditoire). Il accompagne l’animal, c’est tout. Zaza, sa petite amie difforme à cause de la poliomyélite, est elle aussi un beau personnage, inspiré sans doute par un des enfants dont elle a été proche dans sa vie professionnelle.

On sent l’attachement de Claudie Gallay à ses personnages, même à ceux qu’on penserait secondaires. Elle confie avoir été très inquiète pour Max (les Déferlantes) et même pour le rat. Derrière l’encre il y a comme de vraies personnes. Et nous la croyons quand elle dit que si le prince russe rentrait dans la salle elle le reconnaîtrait.

On note aussi la tentation de prendre du recul. La solitude n'est magnifique que si elle est choisie. Née à proximité du monastère de la Grande Chartreuse, Claudie Gallay peut placer un couvent dans Seule Venise, décrire l’art sacré dans l’or du temps.

Une travailleuse patiente et méthodique
A force d’avoir perdu des idées dont elle croyait pouvoir se souvenir sans aide, Claudie Gallay ne se sépare plus de plusieurs carnets où elle note tout, au fur et à mesure. Le temps, le lieu, les personnages, comme des acteurs. Qui vont avoir leur caractère, leurs habitudes. Certains seront éliminés. Seuls les plus forts resteront.
De chaque livre, elle écrit 7 ou 8 versions, reprenant sans cesse son travail comme un sculpteur modèle la terre, par ajouts et retraits successifs. Le chapitrage n’est pas échafaudé dès le début. C’est à la fin que Claudie entreprend le découpage, ce qui explique sans doute que les chapitres se succèdent avec densité et pertinence. L’écrivain coupe au-delà de ce qu’il est imaginable, jusqu’au moment où l’imprimeur déclenche la machine. Phrases courtes. Enchaînements simples. Claudie Gallay en révèle le secret : le manuscrit est lu à haute voix dans son bureau. Et comme elle-même ne sait pas bien respirer, la sentence tombe impitoyable au moindre alourdissement de la syntaxe. On comprend mieux pourquoi ses livres sont physiquement « faciles » à lire. (Il faudrait bien que j’en prenne de la graine)
Le titre est donné tout à la fin. Ce n’est pas la chose la plus simple, trop réductrice.

Un succès qui fait du bien
Elle assume facilement la célébrité consécutive aux Déferlantes parce qu’elle vit loin de Paris. La pression des attentes des lecteurs est vite oubliée dès qu’elle retrouve la bergerie où elle écrit. Ne reste que l’apaisement de la reconnaissance après des années qui n’ont pas été faciles. Le soulagement aussi d’avoir pu régler les soucis financiers. Claudie Gallay demeure prudente, consciente que ce succès est d’abord un cadeau de la vie qui n’exonère pas l’avenir de l’effort. Elle apprécie. Et va pouvoir consacrer tout son temps à l’écriture. Jusque juin elle enseignera à mi-temps dans une classe de CE1 du Vaucluse. Pour des élèves qui lisent et écrivent beaucoup. Elle a ce don d’être la médiatrice qui facilite l’acquisition de leurs propres savoirs. Inversement, l’exercice de ce métier difficile la maintenait dans la réalité la plus à vif.

Ensuite, et au moins deux années durant, elle vivra sans regarder la montre, affranchie du calendrier scolaire, ce qui représente une merveilleuse liberté et l’autorisera à écrire et à vivre à sa propre vitesse. Nous attendons avec patience le prochain livre comme la promesse d’un rêve abouti. A moins que le projet d’écrire pour le théâtre ne se faufile entre temps.
Les Déferlantes vont être traduites à l’étranger. Le livre sera prochainement adapté pour le cinéma. François Dupeyron avait été annoncé mais on sait que la production recherche quelqu’un d’autre. (Personnellement je verrais bien Nicole Garcia ou Martin Provost). Claudie Gallay fait confiance. Elle a un droit de regard sur le scénario mais ne veut pas s’engager davantage. Le risque serait trop grand de se disperser et c’est un autre métier.

Claudie Gallay sera présente au Salon du Livre à Paris, Porte de Versailles, les 13, 14 et 15 mars, sur le stand des éditions du Rouergue.

Elle a publié l'Amour est une île en 2010, chez Actes sud.

jeudi 15 janvier 2015

Détails d'Opalka de Claudie Gallay chez Actes Sud


Claudie Gallay nous a habitués à des romans. Elle construit une oeuvre dense, exigeante, où les Déferlantes ont constitué en 2008 un cap décisif. Détails d'Opalka marque une rupture tout en ne créant pas tant que ça la surprise. Ce dernier livre est un récit qui s'apparente à l'essai et qui pourtant, parfois, se lit comme un roman.

Il faut être un tant soit peu amateur d'art contemporain pour connaitre le peintre Roman Opalka. Claudie Gallay a tellement fouillé son oeuvre qu'elle est capable d'en restituer une sorte de biographie, traduisant avec admiration et respect l'engagement si singulier d'un artiste qu'elle n'a pourtant jamais rencontré.

Roman Opalka peignait depuis très longtemps. Il avait les notions du trait et de la couleur. Il avait entrepris des séries de points sur des toiles mais cela ne le satisfaisait pas pour faire du temps la matière sensible de son oeuvre (p. 25).

Un jour de 1965, à Varsovie, attendant une femme qui n'arrivait pas, il ressent pleinement l'ampleur de ce temps qui passe. Il sort son carnet, fait des points comme à son habitude ..., Soudain s'opère le déclic de tracer le chiffre 1 puis 2, 3, 4 et ainsi de suite. On peut considérer qu'alors il ne s'est jamais arrêté même s'il fallut six mois de tentatives avant de formaliser son travail.

Opalka décide de peindre en blanc avec un pinceau n°0 sur des toiles noires de 196 x 135 cm la suite des nombres de un à l'infini. Il intitule chacune de ses toiles Détail. A partir de 1972, il ajoute 1% de blanc à chaque fond d'une nouvelle toile, si bien que les nombres se fondent progressivement dans le support sur lequel ils sont inscrits. Matérialisant également l'érosion du vivant par le temps, il enregistre quotidiennement le son de sa voix prononçant les nombres qu'il est en train de peindre. Une voix qui se transforme au fil des années...

Il saisit aussi la marque du temps sur son propre visage, se photographiant après chaque séance, en étant très attentif à cacher ses émotions, y compris le jour de la mort de son père alors qu'il se sentait submergé par un immense chagrin. Au bout de 40 ans de portraits on voit ... le temps qui a sculpté son visage. Son oeuvre est collée à la vie, la sienne, et par voie de conséquence à la nôtre. 

Il a conscience de prendre la mort, la sienne encore, comme outil pour achever une oeuvre, la sienne toujours. Et cela dans une sorte de bonheur absolu, jusqu'à la fin. Il a imposé sa pensée, comme une danseuse de ballet s'engage lorsqu'elle lâche la barre. Il a sacrifié toutes les autres formes picturales, s'astreignant à ne plus peindre, ni femmes, ni paysages, écartant les couleurs pour ne garder que le noir et le blanc.

Il aimait par dessus tout travailler, et Claudie Gallay se reconnait dans cette exigence.  Opalka était terrifié à l'idée de mourir après avoir terminé une toile et surtout avant d'en avoir commencé la suivante. Comme lui elle connait (p. 55) ce sentiment d'immense vulnérabilité, entre deux romans

Claudie Gallay tient un journal littéraire pour conserver la trace des journées. Si sa "rencontre" avec l'oeuvre d'Opalka a marqué sa vie son livre n'a rien d'intellectuel, contrairement à ce que l'on aurait pu craindre. L'essai qu'elle a écrit restitue la poésie et la simplicité de son oeuvre, pour la mettre au contact de chacun tout en reflétant les points de convergence avec la sienne. Sans doute une des coïncidences heureuses qu'elle a raison de souligner.

Détails d'Opalka de Claudie Gallay chez Actes Sud, avril 2014

dimanche 27 février 2011

L'amour est une île de Claudie Gallay chez Actes Sud

Claudie Gallay excelle dans l’installation d’une atmosphère propre à chacun de ses livres. Elle m’a emmenée dans un camp de gitans avec Mon amour, ma vie (2002), en territoire Hopi Dans l’or du temps (2006), à Venise dans Seule Venise (2004), au cap de la Hague, avec les Déferlantes (2008). Avec l’Amour est une île c’est en Avignon qu’elle a choisi de m’embarquer.

Il y a quelque chose qui n’a pas très bien fonctionné cette fois entre le livre et moi. A qui la faute ? Probablement à l’interférence avec mes propres souvenirs qui ont fait écran aux images projetées par l’auteur.

Hésiter n’est pas fréquent pour moi. Quand j’aime je le dis, quand je n’aime pas je me tais ou je m’explique franchement. La critique doit être constructive et honnête. L’exercice est difficile quand on connait et apprécie l’auteur d’autant que Claudie Gallay reste un de mes écrivains préférés et que l’entretien que j’ai relaté sur le blog est un des articles les plus lus depuis deux ans.

D’un coté je ne veux pas me défiler en masquant mon opinion. D’un autre je ne veux pas blesser. J’ai choisi d’attendre plusieurs mois après la sortie du livre (que j’avais reçu en avant-première l’été dernier) et de présenter mon billet sous la forme d’un pour/contre, un peu à l’image des critiques de la rubrique cinéma de Télérama quand la rédaction est divisée.

J’ai aimé :
Lire de jolies citations mais je ne suis pas certaine qu’elles étaient utiles :
Le trac vient avec le talent (Sarah Bernhardt) p. 63
Se taire est la seule attitude valable (Mime Marceau) p. 176
Le seul moyen de se délivrer d’une tentation c’est d’y céder (Oscar Wilde) p. 285

Saliver avec les descriptions de scènes de repas ou de leur préparation. Il y a beaucoup à manger et à boire au fil des pages. Par exemple (p. 160) : çà sent l’huile et le poivre. Les poivrons ont mariné dans un petit saladier bleu. Ils sont verts et rouges, servis avec des tomates que l’on dirait confites.

Suivre les déambulations des personnages qui circulent dans la grande « famille» recomposée du théâtre : Isabelle, Nathalie, Mathilde, Odile, Odon, Julie, Jeff et Marie …

Retrouver l’énergie qui se dégageait dans les premiers livres de l’auteur, en particulier l’Office des vivants (2001), son talent pour construire des personnages complexes, à vif, qui peuvent ne pas craindre la violence.

Résoudre l’énigme d’Einstein (p. 140) … qui a sans doute agacé ceux qui la connaissaient.

Et puis, comme toujours, le style de Claudie, avec ces phrases courtes qui sonnent justes et qui sont sa marque de fabrique et qui sont bien plus savoureuses que les citations de personnages célèbres :
- il y a toujours une multitude de raisons de faire ou de ne pas faire les choses (p.111)
- les hommes je les aime tellement, dit Mathilde, que je ne les aime qu’avec passion … Mais je m’ennuie vite avec eux. Ils me font perdre mon temps, me prennent mon énergie. La passion est un fruit à croissance rapide, il retombe vite et … pourrit. (p.144)
- vieillir ce n’est rien quand on se souvient (p.176)
- çà lui nécrose les chairs, les griffures c’est pour suinter (p.199)
- ce morceau de gamine (Marie) ressemble à une déchirure. Ne l’embête pas.
- souffrir ne lui donne pas tous les droits (p.215)
- les indiens Hopis disent que les photos gardent l’âme de ceux qui se laissent prendre (p.240)
- à défaut d’être fière, faire honte (p.284)

Je n’ai pas aimé :
Certaines scènes très dures et le parallèle qu’on serait tenté de faire avec le film Black Swan, car la force auto-destructrice du personnage de Marie est douloureuse à lire s’agissant d’une adolescente.

Le surnom de la Jogar donné à Mathilde qui me semble désuet à l’époque où le roman est situé. Cette façon d’appeler les comédiens n’a plus cours depuis longtemps.

Le surgissement d'évènements réels qui ne m’ont pas semblé servir l’intrigue. La grève des intermittents du spectacle par exemple est une citation anecdotique qui ne fait que dater l’époque, juillet 2003. C’est un élément exact mais Claudie Gallay le relate sans l’analyser ni prendre partie. Or l’annulation du festival a été un évènement colossal et le off, composé uniquement d’intermittents, s’est trouvé face à un dilemme et finalement contraints de jouer pour exister (31 troupes sur 600 seulement se sont arrêtées). Cette grève libère Mathilde de ses obligations professionnelles. L'annonce d'un jour de relâche aurait fait tout aussi bien.

Marie porte un pull vert qui annoncerait le malheur. C’est vrai que cette couleur est bannie au théâtre bien que ce soit aussi la couleur de la chance et de l’argent (le dollar est le billet vert). L'association du vert avec le hasard viendrait du fait qu'il était l'une des couleurs les plus instables en teinturerie, d'où son interdiction traditionnelle au théâtre. Il est possible aussi que certains comédiens aient été empoisonnés par de l’oxyde de cuivre ou du cyanure présents sur les costumes verts à l'époque médiévale. Je la crois volontiers quand elle écrit que Molière est mort sur scène en habit vert, malheureux hasard. (p.113)

Les allusions à Jacques Prévert dans les Déferlantes ne m’avaient pas dérangée. Cette fois c’est Gérard Philipe, figure mythique du festival d’Avignon, qui vient hanter plusieurs chapitres. Je suis trop jeune pour l’avoir rencontré et le visage des acteurs que j’ai connus en Avignon s’interposait parfois au détour d’une page. Il me suffisait de lire le nom de la rue de la Croix, qui est bien voisine de la rue du Mont-de-piété, de la rue des Lices ou de la place des Carmes. Et surtout l’hôtel de la Mirande qui existe bel et bien et qui est, au festival d’Avignon, l’équivalent du Carlton pendant le festival de Cannes.

Les références à Gérard Philipe m’ont gênée parce qu’elles sont ultra connues. Il suffit de taper le nom sur Google pour tomber sur l’hommage d’Aragon : les siens l’ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer pour qu’il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards, et qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde. Et le passant, tant qu’il fera beau sur sa tombe dira : non, Perdican n’est pas mort, simplement il avait trop joué, il lui fallait se reposer d’un long sommeil.

Si Aragon le surnomme Perdican, du nom du héro d’Alfred de Musset (On ne badine pas avec l’amour) c’est parce que c’est le dernier rôle que l’acteur interpréta en 1959 au Théâtre national de Chaillot avant de mourir, à 37 ans, d’un cancer du foie foudroyant. Mais c’est dans le costume du Cid qu’il est enterré à Ramatuelle.

Il est exact que sa tombe fait l’objet d’incessantes visites de touristes mais le rituel du pèlerinage d’Isabelle en plein été est surprenant puisqu’il est mort en novembre.

Je n’ai jamais mis les pieds dans le théâtre du Chien-fou ni celui des Trois colombes, qui me semble-t-il n’existent pas car je connais bien le in comme le off. Ce n’est pas grave. Cela reste un roman, mais Claudie Gallay met dans son livre tant de détails authentiques, d’anecdotes et de citations que j’ai cru un moment avoir la mémoire qui flanchait.

J’ai encore mieux compris pourquoi Didier Decoin m’avait confié dans le train menant au Livre sur la place de Nancy qu’il n’avait pas réussi à se promener sur les chemins des Déferlantes alors que je tentais de lui communiquer mon enthousiasme et d’entendre quelques avis sur les probables « goncourables» 2009 (il est Secrétaire général de l'Académie Goncourt). Il est vrai qu’il habite le Cotentin et que le décor des Déferlantes lui est familier.

Je vous recommande d’ailleurs la lecture savoureuse de Vue sur la mer, où il relate avec force humour la recherche de la maison de ses rêves, rendue accessible grâce aux droits d'auteur de John l'enfer. Nous avons chacun notre vision des paysages. J’ai commencé le dernier livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, qui me transporte en Haïti après le séisme qui a secoué le pays. Si j’avais déjà voyagé là-bas j’aurais peut-être une perception moins positive.

Mais surtout je n'ai pas trouvé ce condensé d'universalité qui permet de répondre à la question de savoir ce qu’on retient d’une lecture, ce qui nous reste, une fois le livre refermé.

Je compte bien discuter de cela mi-mars avec Claudie Gallay au Salon du livre de Paris et de ses prochains projets que j'attends avec impatience.

L'entretien avec Claudie Gallay en 2009
L'énigme d'Einstein, publiée avant-hier

vendredi 25 février 2011

L'énigme d'Einstein ... en attendant plus sur le dernier livre de Claudie Gallay

J'ai déjà fait mon mea culpa : je n'arrive pas à avoir assez de temps pour rendre compte de tout ce que j'estime mériter un billet dans une écriture qui réponde à mes exigences. Ce que c'est que de ne pas vouloir bâcler les choses ...

Parmi tout ce qui est en rade (mais n'allez tout de même pas croire qu'il y a plus de projets en plan que de réalisations abouties) se trouve la critique du dernier opus de Claudie Gallay qui me résiste depuis l'été dernier. L'amour est une île n'est pas un livre qui se lit en deux temps trois mouvements, peut-être parce que l'intrigue se situe dans le décor d'un Festival d'Avignon et que cela fait remonter à la surface mes propres souvenirs.

J'ai commencé. J'ai arrêté. J'ai repris. Je viens d'achever et j'ai envie de laisser un peu mûrir mon opinion. Le portrait que j'ai fait de Claudie Gallay est un des articles les plus lus du blog, depuis deux ans, ce qui me donne une certaine responsabilité. Je me fixe tout de même comme objectif de publier un billet avant l'ouverture officielle du Salon du Livre de Paris (17 mars) car je suis certaine que j'y verrai l'auteur ... avec d'ailleurs très grand plaisir.

D'ici là, et parce que j'ai l'humeur taquine, je vous soumets à l'épreuve de l'énigme d'Einstein qui figure page 140 de son livre.
Imaginez 5 maisons qui n'ont pas la même couleur. Dans chacun, vit une personne de nationalité différente. Chaque propriétaire a une boisson préférée, une marque de tabac et un animal de compagnie. Aucun n'a le même animal ni ne fume le même tabac ni ne boit la même boisson.

Le Britannique vit dans la maison rouge. Le Suisse a un chien. Le Danois du thé. La maison verte est située à gauche de la blanche. Le propriétaire de la maison verte boit du café.

La personne qui fume des Pall Mall a un oiseau. Le propriétaire de la maison jaune fume des Dunhill. Celui qui vit dans la maison du centre boit du lait. Le Norvégien vit dans la première maison. La personne qui fume des Blends vit à côté de celle qui a un chat. La personne qui a un cheval vit à côté de celle qui fume des Dunhill. Celui qui fume des Blue Master boit de la bière. L'Allemand fume des Prince. Le Norvégien vit à côté de la maison bleue. Celui qui fume des Blends à un voisin qui boit de l'eau.

Il faut trouver à qui appartient le poisson.

C'est là que j'ai suspendu ma lecture pour me lancer dans un tableau à double entrée sur une feuille de papier. J'ai griffonné les hypothèses et ai assez vite trouvé une réponse ... que j'ai plus tard confrontée à celle que Claudie Gallay révèle à la toute fin du livre, dans une scène où elle apporte un point d'orgue au drame qui vient de se tramer.

Vous en savez assez pour vous livrer à l'exercice. Vos commentaires sont les bienvenus mais je vous préviens que je ne publierai que ceux qui ne donneront pas la solution, pour ne priver personne du plaisir de chercher. Et je peux vous dire aussi avec un peu d'avance sur un autre post que la résolution a été un de mes trois kifs quotidiens puisque j'applique les principes de Florence Servan-Schreiber. Je vous en reparlerai très vite.

samedi 22 août 2009

Lecture en boucle

Après avoir refermé Paris-Brest, la question de la vue sur la mer me trottait dans la tête. Alors forcément, quand j'ai vu ces mots sur la couverture du livre de Didier Decoin je me suis empressée de le lire.

Le style est savoureux à souhait. Il relate avec force humour la recherche de la maison de ses rêves, rendue accessible grâce aux droits d'auteur de John l'enfer qui lui valu le Prix Goncourt. Il narre aussi les travaux et les aménagements successifs. Nous explorons avec lui l'extrême pointe du Cotentin, le phare de Goury et le Raz Blanchard ... que j'avais quitté il y a peu puisque c'était le décor des Déferlantes de Claudie Gallay, Grand prix des Lectrices de ELLE d'ailleurs.

Enfant 44 m'avait renvoyée à Celui qui sait, comme je l'ai déjà dit. Mais en m'intéressant à Didier Decoin, secrétaire perpétuel de l'académie des Goncourt, lequel secrétariat est basé à Nancy, ville qui accueille une manifestation littéraire de grande ampleur, le Livre sur la place les 18-19 et 20 septembre prochain, et où je me rendrai cette année, je découvre que son dernier roman Est-ce ainsi que les femmes meurent ? est un policier assez "parallèle" à Enfant 44, même si l'histoire se passe aux USA et qu'il s'agit de l'assassinat d'une femme, Kitty Genovese, et non plus d'enfants.

Quant à l'homme qui m'aimait tout bas, il me renvoit à cette autre filiation, Henri ou henry, le roman de mon père qui est un ouvrage de la plume de ... Didier Decoin, toujours et encore.

Quel que soit le coté où mon regard se tourne il me ramène toujours à lui.

Un auteur incontournable en quelque sorte.
Et qui plus est dont l'écriture est magnifique.

J'espère le rencontrer à Nancy et avoir l'occasion d'en faire le portrait.

mercredi 31 décembre 2008

PREDICTIONS POUR 2009

En m'amusant à chercher quels pourraient être les romans élus pour participer au prochain Prix des lecteurs d'Antony 2009 je me suis livrée à un petit pronostic en parodie aux prédictions que les voyants établissent en scrutant le marc de café ou la boule de cristal.

samedi 13 février 2010

Deux ans et plus dedans

Nouvel anniversaire pour le blog. L'aventure se poursuit et comme je le disais tout à l'heure à des lecteurs : tenir un blog, c'est pas de la blague !

C'est même un vrai boulot que je mène avec des exigences que j'aurais si j'étais journaliste sauf que en la circonstance je ne suis pas rémunérée.

Je suis animée de la volonté de vous apporter de vraies informations le plus souvent puisées à la source et toujours vérifiées. Si je parle d'un spectacle, c'est parce que je l'ai vu. Si c'est un livre, je l'ai lu. Si c'est une recette, je l'ai goutée.

J'essaie d'être honnête avec les artistes, ce qui signifie que si je formule des critiques elles se veulent respectueuses du travail fourni. Je tiens aussi à captiver le lecteur en lui faisant découvrir autre chose que ce dont on parle partout. Alors si je suis l'actualité ce n'est jamais dans l'esprit de participer à la "promo" comme on l'entend constamment dire dans les émissions de télévision.

Le lectorat s'élargit sans cesse : vous aurez été près de 30 000 nouveaux lecteurs au cours des 12 derniers mois. Un "succès" que je n'aurais pas pu prévoir et qui donne aussi des contraintes. Les commentaires ne sont pas plus nombreux cette année mais je reçois toujours beaucoup de mails directement sur abrideabattue@orange.fr et je réponds volontiers aux questions.

On me demande souvent quels sont les articles les plus lus. Les sujets sont très variés et font chacun l'objet chaque mois d'une centaine de connexions. A titre d'exemples le portrait de Claudie Gallay, les billets sur le film et sur les tableaux de Séraphine de Senlis, mais aussi sur la boutique bordelaise de l'Armoire bleue. Ceci pour dire qu'on se trompe quand on pense qu'un article sur un blog est fugace.

Vous habitez en France, en Lorraine, à Paris et en Ile-de-France surtout dans le sud de la banlieue parisienne (dont je parle très régulièrement, ceci expliquant sans doute cela) mais vous êtes nombreux à me lire depuis le Canada et je ne cesse d'être étonnée de la tache d'huile du lectorat.

Pour le reste le bilan que je faisais l'an dernier est encore d'actualité. Ceux qui ne l'auraient pas lu le trouveront ici. Certains de mes vœux se sont réalisés mais il en reste à accomplir.

Merci du fond du cœur pour votre fidélité. J'espère continuer longtemps à ne pas vous décevoir.

mercredi 3 février 2010

L'annonce de Marie-Hélène Lafon

(billet mis à jour le 5 février 2010)
L'annonce est une bourrasque. Son écriture est magnifique. Le sujet est devenu "classique" depuis le film d'Isabelle Mergault, très réussi d'ailleurs, sorti en janvier 2006 Je vous trouve très beau suivi de l'émission de télé réalité de M6 l'amour est dans le pré. Je vais tout de même vous donner un résumé pour vous inciter à le lire :

Paul a quarante-six ans. Paysan, à Fridières, Cantal. Cinquante trois hectares, en pays perdu, au bout de rien. Il n’a pas tout à fait choisi d’être là, mais sa vie s’est faite comme ça. Paul n’a qu’une rage : il ne veut pas finir seul, sans femme.
Annette a trente-sept ans. Elle est la mère d’Eric, bientôt onze ans. Elle n’a jamais eu de vrai métier. Elle vient du Nord, de Bailleul. Annette a aimé le père d’Eric, mais ça n’a servi à rien, ni à le sauver du vertige de l’alcool, ni à faire la vie meilleure. Alors elle décide d’échapper, de recommencer ailleurs, loin.
D’où l’annonce. Paul l’a passée. Annette y a répondu.
Sauf qu’il y a les autres. Le fils silencieux, et la mère d’Annette. Et les autres de Paul, ceux qui vivent avec lui à Fridières. Les oncles, propriétaires des terres. Et la sœur, Nicole, dix-huit mois de moins que Paul, qui n’a ni mari ni enfant.

Mais je ne vous dirai pas aujourd'hui ce que je pense de l'ouvrage. Parce que je voudrais d'abord que vous écoutiez l'auteur expliquer en quoi elle se sent au bord du vertige quand elle écrit, comment elle travaille le texte au corps, que vous sachiez ses exigences en terme d'écriture ... et sa grande humilité.

C'est sur le blog Auteurs TV (dont je continue à regretter que son rédacteur prolonge la pause) que j'ai trouvé cette interview que je vous offre ici :

Marie-Hélène Lafon
envoyé par auteursTV. - Regardez plus de courts métrages.

Quand vous l'aurez visionné vous serez prêt à lire ses livres, si ce n'est déjà fait. Et si vous voulez la rencontrer en chair et en os c'est facile : elle est invitée mardi 9 février, à 20h au Moulin Fidel du Plessis-Robinson (92). Vous pouvez venir sans même réserver votre place.

Et puis ceux et celles qui ne sont pas libres ce soir là bénéficient d'une "séance de rattrapage" le samedi 20 février à Antony (92) où la médiathèque l'invite au café littéraire de 10h30. Une information qui n'apparaît pas clairement sur le site de cette bibliothèque du fait du nombre important d'animations au mois de février.

Tous les romans de Marie-Hélène Lafon sont ancrés dans le réel d’un monde paysan qui n’en finit pas de disparaître. Portés par un style poétique remarquablement ciselé, ils seraient à rapprocher de ceux de Richard Millet, de Pierre Bergounioux, ou de Claudie Gallay.

L’Annonce a reçu le prix Page des Libraires 2009.

Le Moulin Fidel est l'ancienne demeure construite en 1925 pour un milliardaire dans un style mauresque. Il est situé 80, rue Moulin-Fidel au Plessis-Robinson.
Le médiathèque d'Antony est située à proximité de la station de RER Antony-Centre, au 20 rue Maurice Labrousse.

dimanche 23 mars 2014

Le Salon du Livre 2014 ...


(mise à jour le 11 mai 2014)

Dimanche soir, le Salon du livre s'achève et le bilan est semble-t-il très positif. Il suffit de jeter un oeil sur les étagères qui se sont vidées. Les piles ont fondu.

Rien d'étonnant. J'ai vu des dizaines de fans, un livre à la main, faire le pied de grue pour quelques secondes de partage avec leur auteur préféré.

Ce qui était amusant c'était d'écouter les petites phrases. Entre celui qui n'a pas reconnu une figure ultra médiatisée, cet autre si déçue que sa "vedette" ne ressemble pas (ou plus) à la photo qu'elle préfère renoncer à la dédicace ("Ah, ça, mieux vaut l'image !"), ou celle-ci qui ne cherche qu'à se photographier à coté d'une figure emblématique du show business, pour dare dare poster sur les réseaux sociaux, quitte à s'infiltrer de force dans une conversation, et surtout ne même pas faire semblant de s'intéresser à la personne en tant qu'auteur. Lire son livre ? On n'y pense même pas.

Vous aurez compris que tous les visiteurs n'ont pas des motivations littéraires. Cette année était un peu spéciale pour moi. J'y suis allée pour voir et revoir les auteurs que je connais (et réciproquement) et ce ne sont pas nos conversations que je vais déballer ici. Ces moments de partage, en particulier le soir du vernissage, sont des instants privés.
Je suis heureuse d'avoir pu voir ou revoir des personnes dont j'ai chroniqué les romans ces derniers mois comme Ariane Bois, Véronique Olmi dont le prochain titre sortira en janvier, Philippe Mathieu, Cookie Allez, Caroline Sers, Valérie Clo, Xavier de Moulins, Gilles Paris, Laura Berg, Brigitte Giraud, Sophie Adriansen, les auteurs de l'Ecole des loisirs (qui prépare déjà à fêter en 2015 son cinquantième anniversaire) ou du Square culinaire.

J'ai même fait la connaissance d'auteurs dont je vais lire les ouvrages dans un futur proche. Ces rencontres m'ont davantage intéressée que l'inauguration proprement dite, jeudi soir, par la présidente argentine, Cristina Kirchner et le premier Ministre français Jean-Marc Ayrault. 

A deux ou trois exceptions, je préfère aujourd'hui adopter l'oeil du visiteur lambda pour vous montrer ce que vous auriez pu voir si vous vous étiez égaré dans les allées, Porte de Versailles, et j'ai bien davantage tiré le portrait d'inconnus que de mes écrivains préférés, à deux ou trois exceptions près, comme je viens de l'écrire.

Egaré est le mot juste. Le repérage des stands au-delà du nombre 50 est toujours très compliqué, avec un chamboulement de l'ordre alphabétique qui provoque l'énervement. Mais même dans les hautes eaux j'ai remarqué une jeune auteure -dont je garde le nom secret- qui partait systématiquement dans le mauvais sens avant que je la remette sur le droit chemin.

Je n'ai pas mesuré la longueur des files mais il me semble qu'elle fut très longue pour Douglas Kennedy (chez Belfond), un peu moins étendue devant la table de Dominique Besnehard, immense en face d'Eric-Emmanuel Schmitt (chez Albin Michel) ... signant aussi bien la Trahison d'Einstein que les Perroquets de la Place d'Arezzo.
Le Salon du livre peut être cruel pour certains. J'ai remarqué quelques célébrités désoeuvrées devant une table vide. J'ai constaté combien les nombreux visiteurs se précipitent sur… les personnalités les plus médiatiques dans un mouvement de cohue qui lui-même aimante d'autres badauds. Bel attroupement devant Mazarine Pingeot (chez Julliard) qui, hélas pour elle, suscite davantage de remarques sur sa parenté que sur son travail d'écriture.
On voyait de surprenants groupes, affalés dans les allées, prenant leur mal en patience. Dans ces cas là il faut reconnaitre qu'avoir un bon roman à portée de main, ça aide à supporter l'attente. Il m'a semblé qu'avant espérer dire deux mots à Marc Lavoine à propos de "1er Rendez Vous" (Editions de la Martinière) il faudrait bien une bonne heure de patience.
Cécilia Attias m'a paru très studieuse ... appliquée à "bien" dédicacer ... une Envie de vérité, chez Flammarion.
... tandis que des lecteurs avaient décidé de s'offrir une retraite loin du brouhaha, de pique-niquer en toute discrétion derrière les stands, et de lancer des discussions. Me croirez-vous si je vous dis qu'à quelques mètres c'est la cohue dans des allées trop étroites ?
L'équipe de Babelio avait disséminé des extraits des critiques de ses membres sur ce qu'ils appellent les éditeurs partenaires. On m'a parlé de 500 cartons mais je n'y ai pas retrouvé un bout de mes chroniques. Je n'ai pas trop cherché tout de même. Un livre a attiré mon attention, réveillant une forme de culpabilité. J'avais promis de le lire. Il le mérite d'ailleurs et puis d'autres sont venus ...
C'est en cherchant Babelio que j'ai été orientée vers le stand MyBOOX où j'ai participé à un Speed Booking. Nous fûmes une dizaine à nous relayer de table en table pour nous convaincre les uns les autres de lire les livres que nous avions élus. Ce petit jeu littéraire pouvait rapporter de grands romans parus cette année ainsi que des liseuses Kobos Aura aux trois participants qui avaient obtenu les plus de voix.

Nous disposions de 90 secondes chrono pour faire l'article à un autre participant, et cela 9 fois de suite, avec ou non le même livre. Après chaque confrontation, on attribuait une note sur un petit formulaire avant de passer au concurrent suivant, et ainsi de suite, jusqu’à avoir rencontré tous les joueurs. Je n'ai pas remporté le premier prix mais, en me classant dans les trois premiers, je suis repartie avec plusieurs livres ... grâce à mon pouvoir de conviction et donc mon honneur de bloggeuse fut sauf. J'ai surtout eu envie de découvrir certains livres dont on a réussi à me persuader qu'ils me manqueraient.
Irène Cao (chez JC Lattès) était venue d'Italie pour présenter la trilogie italienne qui va bientôt détrôner 50 nuances de Grey et dans laquelle je vais prochainement plonger, en commençant par Sur tes yeux, une occasion de retourner virtuellement à Venise.

Chez Buchet Chastel, JM Erre savourait encore le succès de son passage à la Grande Librairie le soir de l'inauguration. Sophie Van der Linden confiait qu'un nouveau roman était fin prêt, dans un style radicalement différent de la Petite fabrique du monde. On peut faire confiance à son talent. Il s’appellera "L’incertitude de l’aube", paraîtra le 21 août, et je pense pouvoir vous en dire plus sur le sujet à la fin du mois de mai.
Andrès Neuman était venu spécialement pour Parler seul, un des derniers livres à m'avoir bouleversée. Il balaie mes scrupules à cette manie de vouloir se faire photographier à coté de x ou y. Il est manifestement si heureux ce soir que j'accepte.
C'est sans complexe que j'enchaine avec Dominique Dyens (chez Héloïse d'Ormesson), dont j'ai beaucoup apprécié Lundi noir, et dont je suis en train d'achever La femme éclaboussée, à paraître début mai dans la nouvelle collection Suspense au féminin.
C'est Norman Ginzberg qui a fort galamment insisté pour prendre le cliché. Si j'avais déjà lu Arizona Tom nous aurions "posé" tous les trois ... Ce livre apparaitra bientôt sur le blog.
Nadine Monfils (chez Belfond) reprenait la conversation avec un lectorat très fidèle qui navigue comme elle entre Bruxelles et Paris. Très reconnaissable à ses tenues vestimentaires, souvent vêtue de rose, elle orne ses dédicaces de jolis petits dessins et conseille d'aller au festival du film fantastique de Bruxelles. Après avoir envoyé le Commissaire Léon enquêter sur Il neige en hiver et le Silence des canaux elle retrouve le personnage ultra déjanté de Mémé Cornemuse qui cette fois prend des vacances à Hollywood. J'en parlerai bientôt.
J'ai fait connaissance avec Murielle Magellan (chez Julliard). Elle m'avait surprise en s'abonnant à mon fil Twitter @abrideabattue alors que je n'avais encore rien chroniqué à son sujet. Je découvre une femme très sympathique, que je vais très prochainement revoir à propos de son dernier livre, N'oublie pas les oiseaux. Elle m'a raconté avoir expérimenté elle-même cette situation particulière de ne pas ressembler à la photo qui était affichée grand format au-dessus de sa tête. Elle se souvient du regard de la lectrice balayant l'espace, allant de la photo à son visage ... persuadée que la personne qui était en train d'écrire sur son livre ne pouvait être qu'une imposture.
J'ai la tentation de paraphraser le titre du dernier livre de Anna Gavalda (chez le Dilettante) La vie en mieux (3ème place au box-office des ventes cette semaine) en lui décernant la palme de la dédicace "en mieux". Elle est la seule à prendre à ce point soin de son lectorat : deux assiettes de bonbons et surtout un confortable fauteuil, histoire de se sentir dans une certaine intimité. Et tant pis pour tous ceux qui attendent pendant que l'heureux élu tape l'incruste. Je ne vous montre pas la queue ... qui s'allonge sur plusieurs stands.
Antoon Krings (chez Gallimard) prenait le temps de croquer des insectes fidèles à son univers.
Claudie Gallay (Actes Sud) s'apprêtait à se mettre à table, pour dédicacer une Part de ciel (dont je viens de commencer la lecture). Elle m'apprend que son prochain roman, Détails d'Opalka, sortira dans quelques jours. La voici en conversation avec Frédérique Deghelt qui fait partie des 6 derniers finalistes pour le Prix de la Maison de la Presse 2014 (qui sera décerné au Centre national du Livre le 21 mai) avec Les brumes de l'apparence. J'avais beaucoup aimé La Vie d'une autre et j'avoue que je lui souhaite de l'emporter.
Certains auteurs étaient empêchés de dédicace, comme Sandra Mézière (chez Numerklire), que j'ai connue lorsque nous étions toutes les deux jury du Grand Prix des Lectrices de ELLE. Ses publications sont sur téléchargeables à partir d'un serveur. Ce mode de lecture est en pleine expansion mais j'avoue ne pas avoir encore pris le temps de l'explorer malgré mon envie de lire en particulier un de ses romans, Les Orgueilleux.
Le Salon du livre est aussi l'occasion de découvrir des opérations autour du livre, comme le Camion des Mots, ou le programme Nouveaux talents qui accompagne et révèle les écrivains de demain.
J'ai assisté à des séances d'analyse de manuscrits absolument passionnantes au cours d'une session du Labo de l'écriture de la Fondation Bouygues Telecom. Bruno TessarechClaire Silve (éditrice chez Editions JC Lattès) et Claire Debru (aux éditions NiL) ont analysé sans concession les 4 premières pages de premiers romans en cours. C'était passionnant ... et instructif.
Nous avons clos cette soirée par un moment convivial entre bloggeurs (merci Sophie) toujours agréable de retrouver ceux qu'on lit par voie électronique, pour deviser sans intermédiaire.
On voit ensuite le Salon sous un autre angle ... encore animé ici ou là sur les stands où les fêtards s'attardent, sans se préoccuper des chariots de ménage déjà en action. L'ambiance est sans comparaison avec celle du salon de l'agriculture, vivant jour et nuit à plein régime, mais il y avait tout de même une effervescence palpable.

A ceux qui estiment que je suis une "grande" lectrice j'ai envie de répondre que non. La production est immense et j'ai toujours un rayonnage de retard. Ainsi je n'ai ouvert aucun des 30 livres en compétition pour le Prix Orange du Livre 2014. Je repars avec La Petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon, chez Actes Sud (gagnée au Speed Booking). Avec La Fin du monde a du retard et N'oublie pas les oiseaux, j'aurai lu pile un dixième. Y aura-t-il le gagnant parmi eux ?

Je crois que je vais céder à la tentation de me connecter sur My Little Book Club pour lire en ligne le premier chapitre des autres même si c'est un peu bizarre que ces trois jours sur le Salon me renvoie finalement sur la toile.

lundi 4 mai 2015

Inauguration du 60ème Salon de Montrouge (92)

(nouvelles photos ajoutées le 20 mai 2015)

Je connais assez bien les salons artistiques des environs de la capitale. Celui de Montrouge s'en distingue magistralement. Vu depuis la silhouette de Coluche en salopette, et sous la houlette protectrice de Molière, Boileau, Papin et Lavoisier, dont les statues se dressent à ses pieds, le beffroi fait de l'oeil au passant qui, je l'espère, ne résistera pas à y grimper puisque l'exposition est ouverte, comme le souligne l'affiche, en entrée libre, jusqu'au 3 juin.

Le programme inclut des animations, des visites guidées, des expositions hors les murs ... qui sont offertes pour la première fois et que vous repérerez sur le site dédié.

En tant qu'artiste invité, Jean-Michel Alberola a réalisé l'affiche de la manifestation à partir d'un cliché d'un lustre de l'ancien foyer du Beffroi, ce qui est particulièrement judicieux.

Il présente ses dernières oeuvres l'étage au-dessus du Salon proprement dit qui déploie le travail de 60 artistes émergents, qui bénéficient ici d'un tremplin reconnu au niveau européen.
La scénographe matali crasset (dont le nom s'orthographie sans majuscules) a créé une déambulation (il ne s'agit en aucun cas d'un parcours) ponctuée de chandeliers brandissant les noms des artistes. 

Le processus de sélection reflète le paysage artistique contemporain. Cette découverte suscitera de nombreux coups de coeur. J'ai tenu à vous montrer l'essentiel des miennes ce qui a donné lieu à beaucoup de photos dont voici la première, qui demeure elle aussi dans la métaphore de la lumière avec une évocation du Roi Soleil.

La peinture de Raphaël Barontini est chargée de références. Marqué par la créolisation, son travail renvoie à la langue appartenant à une minorité dominante phagocytant une majorité dominée, dans une ambiance carnavalesque.
Une fois l'article déployé vous pourrez apprécier la diversité des oeuvres en cliquant sur la première photographie pour ouvrir l'ensemble en diaporama.

La spécificité du Salon de Montrouge :
Il est rare de pouvoir clamer une aussi belle longévité et rester jeune et Jean-Loup Metton, le Maire de Montrouge a de quoi être fier. A quelques centaines de mètres de Montparnasse, le Salon est devenu au fil du temps un tremplin pour l'art contemporain, avec une focalisation spécifique sur la création émergente, toutes disciplines confondues, depuis une dizaine d'années en portant l'attention sur des talents quasi anonymes. Cette manifestation est de ce fait sans équivalent en France. On peut s'accorder qu'il a effectivement quelque chose d'ébouriffant, pour reprendre le mot du maire.

Un espace de découvertes :
Montrouge se targue, à juste titre, d'avoir révélé de grands artistes comme Hervé Di Rosa (1981) à l'âge de 22 ans et accéléré la carrière de nombreux, comme Carole Benzaken ou Théo Mercier (qui remporte un vif succès à la FIAC un an après Montrouge), Pascal Pinaud ou Philippe Cognée pour n'en citer que quelques-uns, sans parler de Jean-Michel Alberola qui y fut sélectionné trois ans de suite.

Le processus de sélection :
Pour candidater aujourd'hui il faut satisfaire deux critères : être au début de sa carrière (ne pas avoir de galerie attitrée, ne pas avoir déjà présenté son travail à un large public) et avoir un lien fort avec la France qui peut être leur nationalité, leur lieu de résidence, leurs études, etc. Aucune exigence relative à la formation initiale ou l’âge des candidats n’est requise.

L'intégralité des 3000 candidatures reçues entre septembre et novembre a été examinée par Stéphane Corréard, Commissaire du Salon (expert, critique et collectionneur) et son adjoint Augustin Besnier. Ils ont présélectionnés 200 dossiers pour les soumettre à un Collège Critique qui est renouvelé chaque année aux deux-tiers, aucun membre ne pouvant y siéger à plus de deux reprises.
Comme chaque année, il a regroupé en 2015 des personnalités d’horizons très variés, amenées à assumer une position critique dans le champ de l’art contemporain : journalistes, critiques ou historiens d’art, directeurs d’institutions, artistes, écrivains, mais aussi galeristes ou collectionneurs.

Les 17 membres ont réfléchi jusqu'en janvier pour se prononcer en faveur de 60 artistes. Ils ne se livrent pas à des votes mais suivent leur désir de s'impliquer chacun en faveur de un à six artistes qu'ils vont accompagner dans le choix des oeuvres qui seront exposées (et qui peuvent être créées après la sélection), et assister pour l'accrochage. Ce sont eux qui écriront les textes de présentation que l'on retrouve dans l'exposition sous forme de cartel mais aussi dans le catalogue (très bien conçu !) et sur Internet.

Les artistes sélectionnés composent une sorte d'échantillon représentatif, d'une part des 3000 candidatures, d'autre part de chacun des tendances et des courants qui semblent émerger en ce moment. Autrement Montrouge est "The place to be" pour les jeunes artistes.

Une manière d'exposer propre à Montrouge :
C'est matali crasset qui scénographie l'espace depuis l'arrivée de Stéphane Corréard à la tête du Commissariat. Après le vert puis le jaune, l'an dernier, elle a choisi la couleur rouge pour célébrer le soixantième anniversaire.
Elle pense la manière d'exposer loin du classicisme des espaces vides et impersonnels des "white cubes" habituels. Elle revendique le décalage avec le principe de petites alcôves ponctuant des chemins de traverse. Les cartels sont supportés par des bougies rétroéclairées, symbolisant à la fois l'anniversaire et la mèche de ces "bombes" artistiques ...

On peut être jeune et/ou autodidacte :
Le doyen a 61 ans et les benjamins ont 26 ans. François Malingrëy est l'un d'entre eux (qui remporte le Prix du Conseil départemental).
Ce jeune artiste nous livre des ambiances chargées et mystérieuses, à l'instar de la Regardeuse, une huile sur toile de grandes dimensions (170 sur 200 cm) réalisée l'an dernier.
On notera au passage que la peinture figurative a toujours une place dans la création contemporaine.
Certains ont changé de voie, comme Wei Hu, cinéaste, qui présente une vidéo dans laquelle un jeune photographe ambulant demande à des familles tibétaines de poser devant des fonds préparés.
D'autres sont autodidactes, comme en témoigne le parcours, néanmoins atypique de Caroline Ebin, ex audit financier chez Arthur Andersen. Elle réalise ses oeuvres à partir d'une photo prise avec son téléphone qu'elle agrandit à l'extrême en les ultrapixellisant avant de les imprimer sur des feuilles A4 qui seront un support pour sa peinture. La photo est ainsi un support plus qu'un sujet.
Elle puise son inspiration dans la peinture comme avec le Pape Innocent X de Velasquez qui fut repris avant elle par Bacon.
Mais elle peut aussi s'émouvoir du sort de chiens qui, avant d'être cuisiné en Chine comme de la viande de boucherie, sont rasés et mis à tremper dans un baquet.

Les feuilles composent une mosaïque qui peut être marouflée sur une toile ou plus simplement épinglée, voire même patafixée. Cette dernière méthode permet à l'artiste de décrocher une oeuvre grand format, pour la transporter dans une simple chemise comme elle faisait sans doute avec les analyses économiques.

Chaque artiste entretient un lien très fort avec la France :
Comme Karolina Krasouli, née à Athènes, et qui a étudié en France,. Ses enveloppes aquarellées évoquent Emily Dickinson. leur disposition sur un pan entier de mur est plutôt émouvante, surtout pour moi qui achève la lecture de Un roman anglais, dans lequel Stéphanie Hochet reprend quelques-uns des poèmes qu'elle écrivait sur des enveloppes.
Comme aussi Tarik Kiswanson, artiste d'origine suédoise. Il a travaillé avec son père, souffleur de verre, et réalise des séries qui croisent en quelque sorte des univers apparemment opposés. Il a ainsi créé des masques en laiton en conjuguant ceux que portaient des guerriers avec les niqabs qui recouvraient les femmes de la péninsule arabique jusqu’au XVIIIe siècle en soulignant l'ambiguité de leur nature. Leur taille est devenue trop grande ou trop petite pour être portés, d'autant que les bords sont coupants.
Révéler des pratiques d'artistes avant d'exposer des oeuvres :
Quand d'autres lieux choisiraient 200 artistes qui n'exposerait chacun qu'une oeuvre, Montrouge préfère limiter le nombre des exposants mais leur offrir de montrer plusieurs axes de leurs talents. C'est particulièrement important pour tous ceux qui appartiennent à la catégorie des "techniques mixtes". Le street art est présent sous la forme d'une pratique de l'espace urbain avec Lenardaki & Parisot. Et le soir du vernissage on a pu voir une performance organisée par Amélie Giacomini & Laura Sellies.

Des black boxes pour les vidéastes :
Elles sont alignées le long d'un mur pour leur permettre d'exposer leurs travaux à l'abri de la lumière. Et le spectateur-déambulateur passe du pictural au multimedia.
Avec, par exemple, Bénédicte Vanderreyndt (bras croisés à gauche sur la photo ci-dessus). Elle a reconstitué la chambre de trois adolescentes très différentes, mais ayant la caractéristique commune de mettre en scène leur vie sur les réseaux sociaux à travers des photos ou des messages. On assiste à une fiction en abîme, celle de l'artiste composant avec celle de chaque adolescente.
Nieto invite le spectateur à être actif et à jouer avec ses claviers. Il met en relation images video et objets dans une correspondance humoristique illustrant le perversionnisme. Passer un moment à explorer son travail est un moment au final réjouissant.

Le but n'est pas d'être consensuel mais de faire découvrir :
Il serait aberrant que tous les visiteurs aiment tout. La mission est remplie si nous réussissons à faire découvrir 4 ou 5 artistes, m'a confié Augustin Besnier au cours d'une visite guidée très intéressante juste avant la proclamation des résultats.

En ce qui me concerne ils sont bien plus nombreux et je partage son opinion quand il affirme que tous méritaient d'être primés. Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustive dans mon compte-rendu mais de vous livrer une palette suffisamment large pour vous donner envie de vous déplacer. Car rien ne vaut la confrontation grandeur nature.

Je m'étais amusée à recenser les artistes qui m'attiraient en effectuant un petit tour du Salon avant d'entendre les explications d'Augustin pour ne subir aucune influence et il s'avère que j'avais photographié plus de la moitié des lauréats, ce qui ne signifie pas grand chose ... si ce n'est une certaine inclinaison pour l'art contemporain.
J'avais retenu la Maison close que Mathieu Roquigny a faite avec des cartes à jouer, et qui fera penser au Château de tôles de Stéphane Vigny visible dans le Parc Renaudel. Cet artiste que l'on qualifie d'adepte de l’absurde, disciple de Perec et de l’Oulipo,  obtient le Prix Kristal, décerné par un jury issu du Conseil municipal des enfants de la ville de Montrouge.
Et puis la Dépression tropicale et la video-performance de Kenny Dunkan dont le discours politique et social teinté d'humour a séduit l'association ADAGP. A partir de petites Tours Eiffel dorées qui sont vendues dans la rue, ce jeune antillais s’est confectionné une tunique qu’il a endossée et avec laquelle il est allé danser, sur le parvis du Trocadéro, avec en arrière plan la Tour Eiffel grandeur nature, sous les yeux ébahis des touristes et des marchands africains vendant ces mêmes petits fétiches.

Sa danse est magnifique et la captation (intitulée Udrivinmecraz) qui a été réalisée ne laisse rien transparaitre de l'oxymore entre la superficialité de son clinquant bouclier et la condition humaine des vendeurs à la sauvette. Les inégalités font mal comme il s'est d'ailleurs blessé au cours de la performance.
  
Je n'avais pas été indifférente à la bétonnière de William Boehl qui devait initialement accrocher des toiles. Cet objet hybride et bruyant rappelle la machine célibataire de Marcel Duchamp et la fabrication du vide qui se contemple.
Le jury, présidé par le cinéaste Olivier Assayas, n'a pas exprimé ses critères mais cet artiste a été choisi, ex-aequo avec Marion Bataillard (à gauche ci-dessous) pour recevoir le Grand Prix.
Les univers de ces deux artistes sont très éloignés l’un que l’autre. Marion a le pinceau délicat. On pense cette fois à Balthus, le regard perdu dans la mise en scène de ses portraits d'autoportraits.
La distinction du sculpteur ne fera pas l'unanimité mais au risque de me répéter ce ne serait pas logique que tous les avis soient consensuels. Le Salon est d'ailleurs ouvert aussi à l'art brut et aux nouvelles technologies qui occupent un espace dédié, entièrement moquetté de rouge, au centre du dispositif, à la croisée des grands axes. Cinq bourses d'aide à la production ont été décernées par Ekimetrics, conseil en performance marketing et media, à des artistes utilisant les pratiques liées à Internet, aux données numériques, à la technologie et aux réseaux d’informations.

Une exposition au Palais de Tokyo à l'automne pour les premiers lauréats :
Outre François Malingrëy, William Boehl et Marion Bataillard, un quatrième artiste bénéficiera d’une exposition dans le cadre des Modules - Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent du Palais de Tokyo.
Il s'agit d'Arthur Lambert, Prix Spécial du jury, dont on a tous apprécié le sens du détail comme en témoigne ce focus sur Le Mage (gouache et dorure sur photo de 100 x100 cm). Son travail à la gouache et feuille d'or sur photo piézographique, par exemple Donum Dei, aux dimensions plus modestes (33 x 33 cm) est absolument époustouflant.
                  
Ouverture d'esprit et de regard en leitmotiv:
J'avais été attirée aussi par Clément Balcon, un sérigraphe qui maitrise admirablement le tramage de la quadrichromie. Il reproduit point par point les couleurs au crayon sur le papier, restituant à l'identique des images extraites de films pornographiques, juste avant les scènes emblématiques.
On pense à Warhol. L'oeil remarque alors une incongruité, un gribouillage qui semble altérer involontairement le dessin comme si l'artiste avait perdu le contrôle de la situation. Ces traits rageurs m'évoquent les graffiti enfantins qui surgissent précisément là où on ne les attend pas comme la manifestation d'un Moi qui souhaite être pris en compte.

Juste à coté, la peau d'ours à la pointe de graphite sur un canapé à motif floral de Marion Benard interpelle. Le papier peint est un objet récurrent de son travail, comme élément souvent perturbateur entre le mur et les objets domestiques et autres meubles qu'elle recouvre de la peinture verte utilisée sur les plateaux télé pour réaliser des incrustations d'images, et donc disparaitre ...
Pierre Buttin, a envoyé à un nombre important d’artistes français connus un petit carton blanc, afin qu’ils le signent et le lui retournent, lui permettant ainsi d’exposer 500 signatures, par ordre alphabétique, sur le mur du fond en écho au nombre requis pour se présenter aux élections présidentielles.

On reconnait des noms d'artistes révélés par le salon de Montrouge comme Hervé Di Rosa, Jean Michel Alberola, François Morellet, ou Rotraut, des célébrités à la signature lisible comme Mesnager, d'autres enfin énigmatiques que l'on pourra décrypter au moyen d'une liste à disposition du visiteur, comme Invader (ci-dessous au centre)
Cet artiste, Pierre Buttin, a un nom prédestiné. Il pratique la collection dans la droite ligne de On Kawara ou de Vittorio Santoro dont j'avais apprécié l'accrochage à l'Espace culturel Vuitton dans le cadre de l'exposition Correspondances, consacrée au Mail Art il y a deux ans. Certains penseront aussi à la suite numérique d'Opalka qui inspira Claudie Gallay pour son dernier livre, Détails d'Opalka.

Etre refusé n'est pas une fin en soi :
Marion Bataillard en sait quelque chose puisqu'elle a fait acte de candidature quatre ans de suite.

Un invité d'honneur particulier :
Il y eut Fernand léger, Jean Lurçat, Picasso ou Bourdelle, toujours un artiste majeur du XX° siècle, voici Jean-Michel Alberola qui d'ailleurs connait si bien les murs qu'il n'a sans doute pas longtemps hésité dans le choix de l'affiche.
Il a fait preuve d'un certain humour pour résumer la situation de l'art contemporain alors que Patrick Devedjan, nouveau président du Conseil départemental emploie l'image du kaléidoscope pour décrire le choix du jury.

Né en 1953 à Saïda en Algérie il a exposé au Salon en 1981, 1982 (date de sa première exposition aux ateliers de l’ARC, musée d’Art moderne de la Ville de Paris) et 1983. La même année, il présente sa première exposition personnelle à la Galerie Daniel Templon de Paris – qui le représente depuis plus de 30 ans. Il enseigne à l’Ecole des Beaux-arts de Paris depuis 1991. Le Palais de Tokyo lui consacrera une grande exposition personnelle en 2016.

A la fois peintre, sculpteur, cinéaste et créateur de livres et d’objets, il associe la pratique artistique, l’écriture et la parole : "Le peuple écrit sur les murs et les artistes ennuient le peuple (…). Pourtant les artistes voudraient encore être des guides et montrer les chemins de traverse afin de ne jamais cesser d’être en éveil, d’être subversifs. "

J'avais approché les oeuvres de cet artiste au cours d'une rétrospective que le Musée des Beaux-Arts de Nancy lui avait consacré en février 2009. J'en ai rendu copte dans un long article qui décrit sa démarche.
Les oeuvres, récentes présentées à l'étage, témoignent de la suite de l'évolution de sa réflexion. Son travail à partir de photos de Match et de Life sur les émeutes noires américaines dans les années soixante en est un exemple, comme celui-ci, Un groupe, acrylique sur papier peint en 2012 avec Ariane Alberola, Thomas Vergne et Marie Dupuis.
J'ai constaté qu'il était capable de faire mentir sa réputation de ne jamais venir aux vernissages et de n'accorder aucun entretien. Les artistes ont été heureux de l'avoir comme parrain.

Il ne faut pas manquer enfin de se laisser absorber par l'immense fresque de Moebius, autre enfant du pays, permanente sur le mur du foyer-bar.
60 ème Salon de Montrouge, du 4 mai au 3 juin 2015
Ouvert tous les jours de 12 à 19 heures
Le Beffroi, 2 place Emile Cresp
92120 Montrouge

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