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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 3 septembre 2025

Les Champagnes Vaucelle, six cuvées d’exception conçues par Thomas Cheurlin

J’avais goûté -en toute modération- une nouvelle marque de champagne au dernier salon Wine Paris en février dernier. Vaucelle était déjà bien aboutie et j’avais très envie d’en apprendre davantage sur cette gamme premium de la Maison Thomas Cheurlin et aussi sur la philosophie et le savoir-faire du viticulteur.

J’ai découvert un homme passionné (ci-dessous, à droite, avec Jeremy Bovy, responsable commercial France et export), leader incontestable d’une équipe performante, très impliquée dans le développement de cette marque très prometteuse, composée aujourd’hui de six champagnes, adaptés à tous les types de palais et moments de consommation, aussi bien des champagnes classiques que des cuvées ayant chacune leur personnalité (vieillissement sous-bois, cépage rare, vieillissement sur lattes plus long, millésimé…).
Un tel résultat ne peut sans doute être l’apanage que d’une maison solidement ancrée dans l’histoire viticole de son terroir. Celle-ci s’est transmise de père en fils depuis dix générations et elle est reconnue sous le nom de Cheurlin pour ses cuvées raffinées et son engagement à préserver un patrimoine vinicole exceptionnel, alliant savoir-faire ancestral et modernité. L’implantation de cette famille dans la Côte des Bar, à Celles-sur-Ource, remonte à la fin du XVIIe siècle, avec Joseph Cheurlin, à une époque où les vignerons travaillaient principalement pour des maisons plus grandes ou pour fournir du vin tranquille.

Edmond Cheurlin œuvra avec d’autres vignerons pour la reconnaissance de leur région et l'appellation d'origine. L’avènement de la méthode champenoise a permis d’évoluer vers la production de champagne après la seconde guerre mondiale.  La création de la marque revient à son fils Raymond Cheurlin (1909-1994) qui commença à vendre aux particuliers. Son fils André Cheurlin (1934-2020), un des grands-pères de Thomas, a investi dans les plus beaux coteaux et agrandi le patrimoine familial.

Aujourd’hui, la Maison reste un acteur familial et indépendant, gérée par les descendants de la lignée dont Thomas Cheurlin est un représentant exemplaire. Elle se distingue par son engagement envers des pratiques respectueuses de l’environnement, favorisant une viticulture durable. (Certification HVE3 et VDC). Nous apprendrons que 10% de la superficie est cultivée en bio, même s’il n’y a aucune communication sur cette caractéristique. Du moins pas encore.

Très étonnante est la collaboration avec l’humoriste Raphaël Mezrahi pour la création d’un champagne 100 % végan, en évitant l’emploi de produits d'origine animale pour la clarification, utilisant plutôt des protéines végétales à base de petits pois (ce qui finalement est devenu la seule technique pratiquée chez Cheurlin).

Les vendanges sont achevées depuis jeudi dernier mais il n’était pas pensable de ne pas commencer cette journée par quelques pas dans les vignes en admirant le splendide paysage de cette Cote des Bar où Celle-sur-Ource fut longtemps le plus grand village champenois avec 500 habitants dont 130 récoltants et une cinquantaine de marques. La Maison Cheurlin et sa vingtaine d’employés à plein temps exploitent 30 hectares et en vinifient 20 de plus. Les effectifs s’accroîent pour vendanges de 60 coupeurs, tel est le nom donné aux vendangeurs.
Le panorama de la Côte des Bar est à couper le souffle. On remarque le village de Celles-sur-Ource, sur la gauche et devant nous les vallées de Laignes, de la Seine, de l’Arce et de l’Ource. Thomas se souvient de la dernière fête du champagne à s’être déroulée dans cette vallée, en 2023, offrant l’occasion de déguster vingt champagnes sur le week-end. Il faudra patienter jusqu’en 2030 pour la prochaine puisque le tour revient tous les 8-10 ans.
On n’a pas eu à déplorer de maladie se réjouit le viticulteur en pointant du doigt dans le lointain les feuilles brunies par une attaque de mildiou. On peut être très satisfait de cette récolte marquée par un bon degré d’alcool et une belle acidité, malgré deux épisodes de canicule qui ont inévitablement provoqué un peu d’échaudage. Thomas Cheurlin se rappelle d’épisodes délicats comme la gelée de la vallée de la Seine l’an dernier.
Le Pinot noir (dont on peut trouver encore quelques rares petites rafles bien mûres et délicieuses) occupe 60% et le Chardonnay presque le reste. Les cépages anciens autorisés par le cahier des charges de l’AOC, ont été replantés comme l’Arbanne, un cépage blanc, plutôt tardif, susceptible de donner des vins vifs, élégants et aromatiques, avec une belle richesse en alcool. Issu d’un croisement naturel le Petit Meslier conférera des notes fumées et des arômes d'agrumes. Le Pinot Gris (ou Fromenteau) est un mutant du Pinot Noir, et donne des vins riches, puissants, avec des arômes de fruits secs et de fumée, d'où son surnom  de "Enfumé". Enfin le Pinot Blanc (ou Blanc Vrai), mutant du Pinot Gris (et donc du Pinot Noir) apporte de l'ampleur, de la puissance et des notes de fruits secs. Il y a aussi le Voltis, un cépage blanc particulièrement résistant aux maladies comme le mildiou et l’iodum, qui le rend performant en terme de besoin de traitements phyto-sanitaires et qui devrait théoriquement bien supporter le réchauffement climatique.

Thomas Cheurlin est expérimentateur dans l’âme et rêve bien entendu de voir chacun des cépages en micro-cuvées ou dans des assemblages particuliers, sous la marque Vaucelle qui devrait compter 120 000 bouteilles d’ici 2/3 ans, alors que la maison familiale Cheurlin en produit 500 000 dont environ un quart part pour l’exportation vers notamment l’Italie, la Belgique, le Japon et les USA. L’annonce de la hausse des taxes américaines a provoqué une accélération des transactions par prudence si bien que cette année l’ensemble des ventes a été assuré sur les trois premiers mois.

Arrêtons-nous un instant sur ce nom qui a été choisi et qui a pris tout son sens. Vaucelle signifie en effet "Petite Parcelle" ou "Vallon/Vallée" en vieux champenois, ce qui s’accordera particulièrement avec les cuvées qui seront parcellaires. Il contient le mot "celle", qui fait directement référence à Celles-sur-Ource, le village d’origine de la famille. C’est également le nom d’une abbaye cistercienne, fille de l’Abbaye de Clairvaux et soeur de l’Abbaye de Mores à Celles-sur-Ource, ayant un lien avec l’histoire du vignoble champenois et de la Côte des Bar.

Déjà en 2000, Thomas Cheurlin avait manifesté la volonté d’orienter une gamme vers la gastronomie avec une présence sur des tables d’institutions et sur le marché international. La marque Comte de Cheurlin en fut le premier témoignage à partir de 2005. Aujourd’hui, Vaucelle va beaucoup plus loin tout en étant la concrétisation d’une devise simple comme l’affirme son créateur :  "l’élaboration de champagnes authentiques, proches de la nature et de nos terroirs."

Et à propos de terroir, il s’agit toujours d’un sol calcaire jurassique kimméridgien, limono-argileux, où le climat continental favorise la maturation optimale des raisins. Il va de soi que les raisins ne proviennent que du vignoble et des parcelles appartenant à Thomas Cheurlin car il est récoltant-manipulant pour Vaucelle. En termes de cépages ce sont les traditionnels champenois, Pinot Noir et Chardonnay mais aussi une part de Blanc Vrai (Pinot Blanc) … en attendant l’emploi d’autres cépages rares et anciens.

vendredi 29 août 2025

Jack et Nancy, les plus belles histoires de Quentin Blake

Quentin Blake est un de mes auteurs de littérature jeunesse préférés.

Comme j’avais aimé suivre les aventures à bicyclette d'Armeline Fourchedrue !  J’adore son style tendre et humoristique, qui s’accorde si bien à des histoires un peu fantastiques qui prouvent que l’imagination et la confiance peuvent tout rendre possible.

Et j’aime ses coups de pinceau. Savez-vous à ce propos qu’il fut l’illustrateur des albums de Ronald Dahl ?

On raconte que c’est quand le vent se lève que naissent les meilleures histoires ! C’est ainsi que Jack et Nancy s’envolent, accrochés à un parapluie magique, et qu’Angèle rencontre un minuscule oisillon tombé du ciel lors d’une tempête qu’elle appelle Petit chou.

Mark Evans et Massimo Fenati ont scénarisé les deux contes tirés des albums de Quentin Blake, où l’on parle d’amitié, de découvertes et de départs… mais aussi du bonheur de rentrer chez soi.

Car contrairement à l’intitulé de ce programme cinématographique qui focalise sur la première partie, ce n’est pas une mais deux histoires de 26 minutes qui sont proposées en dessin animé. Jack et Nancy est la première, adapté d’un roman graphique de 1969.
Le frère et la soeur sont des blondinets très imaginatifs, qui ont soudain l’idée de se suspendre à un parapluie. Le vent est fort et l’objet que l’on se transmet dans cette famille de génération en génération est bien entendu magique. Les deux aventuriers vont pouvoir réaliser leur rêve de partir au bout du monde pour visiter une île extraordinaire, y rencontrer des animaux fantastiques et récolter des fruits et des piments exotiques.
Les plus beaux voyages ne peuvent être éternels. Bientôt, leurs parents et leur maison manquent aux deux enfants… Et s’il était temps de rentrer et de raconter leur incroyable aventure ? Il faudra sans doute utiliser le parapluie autrement, comme une barque peut-être.
Petit chou est la seconde histoire. Elle est adaptée d’un roman graphique plus récent, datant de 2002. Angèle est une vieille dame au caractère joyeux qui ne se passionnait jusqu’ici que pour le jardinage et la pâtisserie. Elle est jusque là très heureuse de régaler ses amis ou ses rencontres du parc de ses délicieux gâteaux. Un jour de grand vent, elle trouve un minuscule oisillon tombé du ciel.
Elle le recueille, lui fabrique un nid douillet, le dorlote de manière obsessionnelle et le nourrit plus encore de choses gourmandes choisies en fonction des évènements. Bientôt le Petit chou devient bien trop grand pour vivre à l’intérieur d’une maison. Cette vieille dame est attachante mais ne serait-il pas, à l’inverse de ce qu’ont fait Jack et Nancy, temps de quitter le foyer ?
Ces deux courts-métrages d’animation sont pleins de charme et d’humour absurde, autorisant de multiples rebondissements. D’autres suivront bien sûr. Mais pour le moment ce sont ces deux-là que l’on pourra faire découvrir très bientôt aux enfants au cinéma.

Jack et Nancy, les plus belles histoires de Quentin Blake, Un film de Gerrit Bekers et Massimo Fenati avec la voix d'Alexandra Lamy
À partir de 4 ans 
Sortie en salles le 15 octobre 2025
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, le livre inédit Jack et Nancy de Quentin Blake sortira en librairie le 2 octobre 2025 chez Gallimard Jeunesse. Les parents pourront donc continuer à parler d’amitié, de découvertes et de départs… mais aussi du bonheur de rentrer chez soi, à travers cette merveille d'album conçu par le génial Quentin Blake pour nous emmener très loin dans l'imaginaire.

lundi 25 août 2025

Sans soleil de Jean-Christophe Grangé tome #2 Le roi des ombres

J’avais à peine refermé le tome 1 que je me suis plongée dans le second tome de Sans soleil. Trois ans ont passé et nos héros ne s’étaient pas revus.

Jean-Christophe Grangé dresse une brève mise au point sur la progression de la maladie, car le SIDA reste très préoccupant (p. 22). Est-ce que cela explique que le style ait perdu de la vitalité en terme d’humour malgré, de temps en temps, des injonctions au lecteur, le suppliant : ne riez pas !

En tout cas les références à l’astre sont multiples et fréquentes. En voici quelques unes : fondre comme neige au soleil (p. 75), l’astre luminescent (p. 105), le soleil chatoie (p.115), le soleil est partout, non pas le soleil : l’infini (p. 127), soleil implacable (p. 131), course assassine du soleil dans le ciel (p. 132), coup de soleil (p. 138), le soleil et la mort s’unissent pour ne faire plus qu’un (p. 139), Heidi est submergée par le soleil, noyée d’éblouissement (p. 140), le soleil saigne (p. 144), le soleil ne perce pas la canopée (p. 152), abasourdi de soleil, des soleils ardents, le soleil blanc (trois mentions sur la seule page 218), le soleil revient en percée éblouissante avant de baisser déjà (p. 227), une jungle montante à l’assaut du soleil (p. 293), le soleil au garde-à-vous (p. 307), coucher de soleil rouge ardent (p. 354). Inversement on le compare parfois à la lune qui peut être à son zénith. Un soleil gelé (p. 61).

Et puis bien sûr c’est l’inscription Sans soleil, gravée à l’intérieur de l’anneau dit Prince-Albert qui apparaît pour la première fois p. 151 et revient régulièrement et justifie le titre du diptyque.

Manifestement Jean-Christophe Grangé est féru de musique. Il nous rappelle (p. 21) que Tainted Love, le tube de Soft Cell, qui est universellement connue et appréciée, est devenue une chanson sur le SIDA. Il a recours a deux références musicales pour caractériser les deux tomes. Le premier, "Disco Inferno", est une fameuse chanson des Trammps, créée en 1976 et tirée de l'album éponyme. Il atteint un succès considérable avec l'avènement de Saturday Night Fever, album-événement de la bande originale du film La Fièvre du samedi soir.

Quant au second, "Le Roi des Ombres" est aussi un titre de chanson, écrite et interprétée par Mathieu Chedid bien après la période au cours de laquelle se situe l'action du roman mais sans doute pas choisi par hasard car il y est tout de même question d'hécatombe …

Nous voilà en 1986, soit quatre ans après avoir quitté la fine équipe. Heidi est en vacances à Tanger dans le riad marocain du richissime publicitaire Caroco que nous connaissons déjà. Ségur est évidemment toujours confronté à cette maladie, désormais officiellement appelée Sida, qui ne cesse de faire des victimes. Swift est toujours à la PJ, sans crier victoire tant il est persuadé que le tueur court toujours.

Alors qu'ils n'ont plus de liens, Heidi leur envoie un appel au secours après la découverte du cadavre dépecé à la machette de son hôte... Swift et Ségur volent au secours de la jeune femme et c'est le début d'une nouvelle enquête. La rumeur a enflé à propos du patient zéro. A l’inverse de ce qu’on connaîtra pour la pandémie de Covid, on ne sait pas comment a démarré la maladie en France. La frousse est le seul argument (p. 16). Caroco est donc devenu un pestiféré et sa mort n'est pas une surprise mais la traque sera ponctuée d'épisodes plutôt étonnants.

Ségur manifeste pour el moment une certaine joie à ce voyage car il sent les vibrations de ce qu’il appelle sa Terre promise. Il s’était juré de retourner sur le continent africain qui l’avait tant touché quinze ans auparavant (p. 41). Nous voyagerons avec lui au Maroc, en Afrique noire, au Zaïre et en Haïti.

Le trio va de nouveau collaborer avec la police locale mais dans un pays qui est une dictature royale comme le Maroc elle n’est pas une science exacte (p. 82). Et pourtant, estime son collègue marocain, garder la foi, c’est la moitié du chemin parcouru.

On notera une certaine préoccupation écologique de l’auteur à propos du continent africain, soulignant combien des tas de sacs en plastique s’accrochent aux branches d’arbre faméliques comme des feuilles mortes de la modernité (p. 130).

Ségur entraînera la jeune Heidi -et nous avec- en la convainquant que tout le monde dans sa branche peut vouloir un jour se rendre utile. Quand ils seront en Haïti en juin 1986 ce sera l’occasion de nous faire revisiter l’histoire cauchemardesque, et souvent insoutenable, de ce pays (p. 191-96). Des évènements terribles hélas si vrais qu’il est inutile d’inventer. Il y a vraiment de quoi … être cramponné à sa table de lecture comme un môme à une auto-tamponneuse (p. 191).

Haïti c’est l’Afrique dans un verre de rhum, un patchwork qui cuit au soleil, tranquille (p. 264). Et ce sera là que le dénouement aura lieu.

Sans soleil de Jean-Christophe Grangé tome #2 Le roi des ombres

mercredi 20 août 2025

Patronyme de Vanessa Springora

Son premier roman, Le consentement, avait été une détonation. En lisant la quatrième de couverture du second, Patronyme, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un nième ouvrage sur le secret d’un parent autrefois nazi comme beaucoup, hélas, ont couché sur le papier, sans doute dans l’espoir de pouvoir se laver de leurs origines, dont ils ne sont d’ailleurs évidemment pas coupables.

Mais Vanessa Springora est une autrice de grande envergure et une fine analyste. Si bien que non seulement elle confirme ses qualités mais elle réussit à nous captiver par cette histoire qui est aussi un peu la notre pour peu qu’on se sente concernés par la géopolitique européenne.
Elle n'a pas revu son père depuis dix ans quand elle est appelée par la police pour venir reconnaître son corps sans vie. Dans l’appartement de banlieue parisienne où il vivait, et qui fut jadis celui de ses grands-parents, elle est confrontée à la matérialisation de la folie de cet homme toxique, mythomane et misanthrope, devenu pour elle un étranger. Tandis qu’elle s’interroge, tout en vidant les lieux, sur sa personnalité énigmatique, elle tombe avec effroi sur deux photos de jeunesse de son grand-père paternel, portant les insignes nazis. La version familiale d’un citoyen tchèque enrôlé de force dans l’armée allemande après l’invasion de son pays par le Reich, puis déserteur caché en France par celle qui allait devenir sa femme, et travaillant pour les Américains à la Libération avant de devenir "réfugié privilégié" en tant que dissident du régime communiste, serait-elle mensongère  ?
C’est le début d’une traque obsessionnelle pour comprendre qui était ce grand-père dont elle porte le nom d’emprunt, quelle était sa véritable identité, et de quelle manière il a pu, ou non, "consentir", voire collaborer activement, à la barbarie. Au fil de recherches qui s’étendront sur deux années, s’appuyant sur les documents familiaux et les archives tchèques, allemandes et françaises, elle part en quête de témoins, qu’elle retrouvera en Moravie, pour recomposer le puzzle d’un itinéraire plausible, auquel il manquera toujours des pièces. 
Dans ce texte kaléidoscopique, alternant fiction et analyse, récit de voyage, légendes familiales, versions alternatives et compagnonnage avec Kafka, Gombrowicz, Zweig et Kundera, Vanessa Springora questionne le roman de ses origines, les péripéties de son nom de famille et la mythologie des figures masculines de son enfance, dans une tentative d’élucidation de leurs destins contrariés.
Éclairant l’existence de son père, et la sienne, à l’aune de ses découvertes, elle livre une réflexion sur le caractère implacable de la généalogie et la puissance dévastatrice du non-dit.

Comment en serait-il autrement dans une Tchécoslovaquie qui a changé cinq fois de frontières, de nationalité, de régime, prise en tenaille entre les deux totalitarismes du XXème siècle ? À travers le parcours accidenté d’un jeune homme pris dans la tourmente de l’Histoire, c’est toute la tragédie du XXème siècle qui ressurgit, au moment où la guerre qui fait rage sur notre continent ravive à la fois la mémoire du passé et la crainte d’un avenir de sauvagerie.

Patronyme de Vanessa Springora, Grasset, en librairie depuis le 2 janvier 2025

samedi 16 août 2025

Faire soi-même la pâte brisée …

Faire soi-même la pâte brisée … c'est de la tarte, justement. Je ne plaisante pas car c'est franchement hyper simple.

Il suffit de respecter la proportion de 1 (portion de margarine) pour 2 (de farine), et de ne pas oublier le sel. C'est très facile à malaxer. On fait juste attention de ne pas ajouter "trop" d'eau, environ un quart de verre.

Et surtout on laisse reposer au frais minimum une heure, voire toute une nuit.

J'ai coup sur coup exécuté une version dessert en tarte aux poires, et une version "entrée" en tourte champignon-poivron rouge-haricots verts (en garnissant avec des restes).
La tarte aux poires est composée d'un appareil à flan : deux oeufs, deux cuillères à soupe de farine, deux cuillerées à soupe de crème fraiche et un sachet de sucre vanillé. Ensuite on pose dessus les quartiers de fruit et on enfourne. Dix minutes avant la fin de la cuisson on ajoute des amandes effilées qui vont blondir joliment.
J'avais un peu trop de pâte ce qui m'a permis de faire des petites roses que j'ai placées entre les fruits. C'est exactement la même pâte que j'ai faite en version salée. J'ai hésité à y ajouter du thym en poudre. Une autre fois …

mercredi 13 août 2025

Refaire l’amour de Xavier de Moulins

Xavier de Moulins est un des auteurs que j’aime lire. Depuis quelques années il s’est concentré sur les affaires familiales. Refaire l’amour est inspiré d’une histoire vraie de féminicide. Une de plus, direz-vous (je pense en particulier au livre éponyme que j’ai lu il y a quelques jours), mais son approche est originale puisqu’elle est faite du point de vue de l’ex-épouse du meurtrier en insistant sur le stress post-traumatique dont elle est victime, notamment parce qu’elle ne peut se résoudre à occulter une culpabilité diffuse.
"Ai-je ma part dans ta chute ? Cette question me hante. Je le crois, Olivier, et ça me tue. Une partie de moi se sent complice de ce que tu as fait.
Dis-moi que je me trompe ! Dis-moi que c’est faux ! Sors-moi de là, nom de Dieu ! Tu me dois bien ça".
Irène vient donc dix-huit mois après les faits, chercher refuge dans la maison où vécurent ses parents et qui à juste titre continue de mériter son surnom de "cabane". Elle est bâtie à l’ombre d’un arbre imposant et protecteur qui monte jusqu’au ciel. Il a été étrangement baptisé Thomas, un prénom qui évoque la réflexion, la quête de vérité et une personnalité ayant de fortes valeurs.

Le roman fait alterner de brefs extraits d’ordonnance judiciaire et des descriptions de l’état dépressif de cette femme qui a recours aux cigarettes, aux anxiolytiques et à l’alcool pour tenter de mettre ses souffrances à distance. On comprend qu’elle devra faire face à deux échéances. La première, qu’on imagine douloureuse, sera l’estimation d’un prix de vente plausible pour cette maison à laquelle elle reste très attachée. La seconde à la retrouvaille avec sa fille programmée le lendemain pour faire connaissance avec son petit-fils. On devine qu’elle appréhende ce moment en raison d’un différend dont on ne connait pas complètement la teneur.

La question de la culpabilité de la survivante est peu habituelle s’agissant d’une ex-épouse qui avait toutes les raisons de ne pas éprouver la moindre empathie à l’égard de sa rivale. L’auteur la justifie par un raisonnement complexe d’où il ressort qu’en se croyant protégée (un mot qui revient régulièrement) auprès de son ex-mari Irène aurait manqué de clairvoyance, et surtout lui aurait trop facilement cédé : il n’aimait pas la contradiction, lui préférait les confrontations, débattre et avoir raison. J’ai fini par me taire (p. 75). Il ajoute qu’elle a conçu de la honte à se taire, parce que se taire, c’est accepter, et accepter, c’est être complice. Le moindre souvenir devient une preuve dans le procès qu’elle mène à charge contre elle-même. Ainsi le fait qu’Olivier adorait tirer à la carabine aurait dû l’alerter.

Xavier de Moulins établit un parallèle avec le film Les choses de la vie, quand le personnage interprété par Michel Piccoli a encore le choix entre deux trajets, soit la route du retour vers son domicile, soit celle qui doit le conduire vers sa maîtresse, Romy Schneider. Il choisit en quelque sorte la mauvaise puisque c’est celle où il aura un accident mortel.

Eloïse le lui fait entrer de force dans le crâne : tu dois en finir avec cette culpabilité de survivante et retrouver ta vie (p. 216). Sur le papier je n’y suis pour rien. Mais dans ma tête, cette chanson-là sonne faux.

Elle se sent victime consentante … et complice (prise en étau dans une sorte de syndrome de Stockholm). Et pourtant elle souhaiterait se libérer et faire ou refaire de nombreuses choses, y compris l’amour (d’où le titre).

J’ai aimé la fin presque ouverte, et plutôt positive, à l’inverse de ce qu’on aurait pu imaginer en lisant que la violence n’éteint jamais sa lumière. Les victimes donnent la vie à d’autres victimes (p. 102).

Les autres critiques de romans de Xavier de moulins sont ici

Refaire l’amour de Xavier de Moulins, Flammarion, en librairie depuis le 5 mars 2025

dimanche 10 août 2025

Propre de Alia Trabucco Zerán

Le titre français, Propre, n’indique rien de ce que cet adjectif désigne, mais en espagnol, Limpia, suggère clairement le féminin. L’étymologie du mot est identique en espagnol et en français où il a donné limpide.

La couverture, rose comme le faire-part de naissance d’un bébé de sexe féminin, est une vitre barbouillée de détergent, et pas encore raclée. Le roman est une longue confession, plutôt une déposition argumentée, destinée à rendre compréhensible la mort d’une fillette de sept ans dont on sait tout de suite qui est l’accusée, Estela García dont le chemisier blanc était impeccable le jour de son engagement comme employée de maison.

J’ai pensé à intervalles réguliers à un roman qui lui aussi est écrit du point de vue d’une femme de cette condition, La petite bonne, de Bérénice Pichat, édité à quelques jours d’intervalle.

Les thèmes sont proches. La principale différence est que dans Propre le drame nous est annoncé dès le début, ce qui n’empêche pas la narratrice de titiller le lecteur en le vouvoyant. Elle a promis de tout dire mais c’est elle qui impose le rythme et nous sommes dans l’attente de la fameuse cause de décès (p. 74). Le lecteur est placé dans une position inconfortable, voulue bien évidemment par Alia Trabucco Zerán qui a remarquablement construit le récit.

Dans ce roman, qui est le deuxième qu'elle a écrit, l'autrice prend le parti de son héroïne en cherchant à l'innocenter tout en pointant la focale sur la perversité de tout un système social, économique et politique, celui du Chili néolibéral né de la dictature militaire de Pinochet, qui est aussi décelable dans la plupart des pays latino-américains, voire de tant d’autres où le travail des domestiques reste le plus souvent informel. Et qui était bien entendu aussi le cadre de ce type de travail il y a encore une centaine d'années en France.

Estelita raconte son enfance à Chiloé par bribes, sans doute signifiantes mais on ne peut pas encore en juger. On a compris qu’elle est issue d’un milieu pauvre mais digne et cultivé. Sans aimer ses patrons disons qu’elle s’est habituée à eux.

Ses propos trahissent souvent une confusion entre réalité et irréalités (p. 85) ce qui ne surprendra pas du tout ceux qui connaissent l’Amérique latine. Le lecteur est d'ailleurs prévenu que cette histoire a plein de débuts qui conduisent à une même fin, car celle-ci est tragiquement bien réelle (p. 86). On note l'amplification d'une sorte de dédoublement, progressif de la réalité, suggérant presque une forme de schizophrénie qui va contaminer d'autres personnages. Même la rencontre que Monsieur raconte avoir faire avec une femme (et qui elle aussi est un moment majeur dans l’enchaînement conduisant au drame) ne nous semble pas appartenir à la réalité. Car lui aussi a un lourd secret (p. 206).

D'autres parallèles peuvent être faits par exemple avec Superhôte d'Amélie Cordonnier. On ne referme en tout cas pas le roman en étant demeuré insensible à propos des préjugés de classe que dénonce l'autrice qui réussit habilement à ménager jusqu'au bout l'enchaînement des causes et des péripéties du drame. 

Propre de Alia Trabucco Zerán, Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet, Robert Laffont, collection "Pavillons", en librairie depuis le 22 Août 2024
Prix Femina du Roman Etranger 2024

vendredi 8 août 2025

La cuvée L'ocre Jeanne de Benoît Brazilier

Je sais que c'est, comme on dit, un cépage segmentant, car tout le monde n'apprécie pas le Chenin. Personnellement, et en toute modération, je l'adore, et particulièrement cette cuvée L'ocre Jeanne de Benoit Brazilier.

Le vigneron lui a donné ce nom en se livrant à un jeu de mots avec le prénom de sa fille Jeanne et l’étiquette est particulièrement réussie avec son côté vieilli. Les vignes occupent 1 hectare et la production n'est que de 3000 bouteilles, assez constantes d'une année à l'autre en matière de qualités organoleptiques.

Au nez, le Chenin exprime des notes fruitées et boisées, des arômes de fruits jaunes, de fruits secs, d’agrumes, de fleurs blanches, de miel, de silex… associés à un toucher en bouche onctueux, une grande finesse et à une persistance aromatique exceptionnelle qui appelle à une gastronomie raffinée mais qui apporte une jolie note à des plats simples.

J'ai associé la cuvée L'ocre Jeanne à une andouille rôtie - purée mais si le résultat était plus que satisfaisant je dois reconnaitre que rien n'égale l'andouille que propose le restaurant du même nom.
Je l'ai aussi servi tout au long d'un repas où la galette de sarrasin était à l'honneur. Ce fut très agréable de pouvoir apprécier ce vin avec une crêpe classique (chacun l'ayant à son choix garnie de jambon ou saumon, avec ou sans champignons, pommes de terre en robe des champs, et autres assaisonnements habituels). Je précise que j'ai utilisée la farine de sarrasin Alnatura (de l'eau et un peu de sel fin) qui est élaborée à partir de grain moulu. La pâte s'obtient sans aucun grumeau à vitesse record. Elle est de couleur presque rose et les galettes ont un goût de noisette vraiment exceptionnel.
Il s'est tout à fait en accordé aussi -et ce fut une surprise heureuse- avec la version sucrée de ce plat : des pommes caramélisées.
La cuvée L'ocre Jeanne est élaborée et élevée en barriques pendant 12 mois, ce qui ajoute un parfum subtil mélangeant des notes sucrées de fruits bien mûrs de pomme avec malgré tout une petite note mentholée, qui se combine à la fraicheur du vin, mais c'est peut-être elle qui déroute le néophyte. Par contre elle est d'une subtilité exceptionnelle avec les pommes rôties.
J'ai même risqué de le servir sur une tarte aux abricots et là encore ce fut réussi.

Ce blanc puissant peut se garder 5 ans, ce qui est un autre de ses atouts.

lundi 4 août 2025

Du même bois de Marion Fayolle

J’ai rencontré Marion Fayolle au Centre Pompidou à l'occasion du vernissage de l’exposition la BD s'expose à tous les étages dont elle avait conçu la partie destinée aux enfants. J’ai alors découvert son univers à la fois fantasque et onirique.

Cette grande admiratrice de Tomi Ungerer et de Claude Ponti venait de publier son premier roman, Du même bois, chez Gallimard, mais je n’ai pas eu le temps de le lire à cette époque. Je viens de le faire et j’ai immensément apprécié cette centaine de pages qui se lisent comme des nouvelles, dans la veine de Marie-Hélène Lafon qui est une des auteures majeures pour décrire la ruralité (notez qu’elle préférerait que j’emploie le terme de paysannerie).

Si celle-ci fait revivre le Cantal, Marion Fayolle nous embarque en Ardèche et nous ne sommes pas loin de penser aussi à La montagne que Jean Ferrat voyait s’endormir. Celle de Marion est belle, quoique inquiétante, quand elle regarde vers la ferme en pleurant des cailloux (p. 30).
Les enfants, les bébés, ils les appellent les "petitous". Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu’ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout.
C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi.
C'est la gamine qui raconte son héritage et cette enfant, c’est elle, pas de doute là-dessus (même si le livre est une fiction) : on la reconnaît à sa manière de faire des plans dans des carnets (p. 29). L'auteure a puisé dans des souvenirs personnels et avoue avec humilité que la gamine n’a rien pu faire, à part noter des choses dans ses carnets, elle ne sait rien faire (p. 110). Avec les autres gamins, elle braconne le passé en fouillant le clapas derrière la fermeIls sont loins de la tristesse de la jeunesse actuelle, dont les yeux sont rivés sur des écrans. Qu’auront-ils engrangé comme souvenirs, les jeunes d'aujourd'hui, et qu’écriront-ils plus tard ?

Je me souviens que Marion Fayolle avait souligné à Beaubourg sa difficulté à décrire la réalité avec ses dessins. Dans ce premier roman elle parvient avec sensibilité à donner de la voix en faisant preuve d'une belle force poétique.

L’histoire se reproduit dans la ferme de génération en génération : on s’occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l’étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer. J’y ai retrouvé des expressions de ma propre enfance comme aller donner aux bêtes. J'ai été émue par cet homme obligé de tirer sur son chien avec son fusil (p. 36) et touchée par la justesse des réflexions comme celle-ci : Le vin n’estompe pas le désespoir mais en remet une épaisseur (p. 72). Ou encore celle-là, terrible : On peut mourir d’un excès de tendresse comme ces petits lapins ou d’avoir été gavé de luzerne aux bêtes alors la gamine fait gaffe avec son petitou (p. 94).

Ce n’est pas une vie de reprendre une ferme comme la leur … et pourtant ce fut toute la leur (p. 108). Et son besoin d'écrire est consécutif à la difficulté de son oncle de trouver un repreneur pour la ferme familiale.

Alors on ne s’étonne pas que le livre soit dédié à sa famille, qu'elle ait réalisé le bandeau et qu’elle ait glissé deux croquis.

Du même bois de Marion Fayolle, Gallimard, Collection Blanche, en librairie depuis le 4 janvier 2024

jeudi 31 juillet 2025

Pourquoi les gens qui sèment, une pièce de Sébastien Bizeau

J'écrivais en 2022 qu'il fallait retenir le nom de cette compagnie L'air du temps, et mon intuition s’est confirmée avec leur nouveau spectacle, que je recommandais dans cet article à propos des derniers festivals d'Avignon.

Je n'ai pas pu le voir sur scène mais je viens de lire le texte de la pièce. Çà s'appelle Pourquoi les gens qui sèment et ce fut un spectacle qui a été très remarqué pendant les trois semaines du festival.

Si vous l'avez manqué dans le Sud peut-être trouverez-vous un créneau à la rentrée car il sera à l'affiche à 19 heures du 16 au 20 septembre, au Théâtre de la Concorde, 1 Av. Gabriel, 75008 Paris.
Chloé est militante. Antoine est préfet. Ils s’aiment, mais ce qu’ils défendent les oppose. Elle prépare une action écolo, lui doit l’empêcher au nom de l’ordre public. Comment tenir ensemble quand la loi et la justice ne disent plus la même chose ?
Des journalistes ont évoqué la figure d’Antigone à propos des convictions de la jeune femme et il est signifiant de s’apercevoir que cette image intervient après celle d’Electre dont Sébastien Bizeau s’était emparée dans Heureux les orphelins pour démontrer ce paradoxe que les mots ne sont pas toujours les voies les plus parlantes pour atteindre la vérité.

En présentant ces deux figures mythiques de la mythologie grecque, animées par la justice, l’artiste creuse manifestement le même sillon et cette image fait davantage écho avec le titre de sa nouvelle pièce.

J’avais tout de suite pensé à la chanson iconique de William Sheller et trouvé le jeu de mots intéressant entre les gens qui s'aiment et ceux qui sèment. Ne parle-t-on pas d’ailleurs en amour, comme en rhétorique, de "semer la petite graine" ?

J’avais tout autant décrypté l’affiche que j’avais reliée à la Semeuse qui a illustré de nombreuses séries de timbres-poste et qui fut gravée par Louis-Oscar Roty (ainsi que le revers de cette pièce : un flambeau de branches d’olivier) et qui se trouvait sur les pièces en argent dites "Semeuses" de 50 centimes, 1 franc et 2 francs, émises sous la III° République, plus précisément entre 1898 et 1920. Je suis trop jeune pour l’avoir connue mais je me souviens très bien de la pièce de 1 franc Semeuse version 1960 de valeur d'un (nouveau) franc, qui aura été frappée de 1960 à 2001 jusqu’à l’emploi des euros.

C'est une allégorie de Marianne, ou de la République française, illustrant le rayonnement des idées républicaines diffusées par la France dans le monde et l'esprit de liberté. Cette image de la République deviendra l'une des figures emblématiques de notre mythologie nationale, à l’instar du buste de Marianne et de l’arbre de la liberté et que l’on retrouve toutes les trois sur les faces nationales de l’euro frappé en France.

L’avers de la pièce représente une femme marchant pieds nus dans une plaine, habillée d'une robe vaporeuse et d'un tablier, coiffée d'un bonnet phrygien, portant d'une main un gros sac et semant de l'autre, alors que le soleil se lève sur la ligne d'horizon et que le vent souffle dans ses cheveux et fait flotter sa robe. Son regard tourné vers la gauche, indique qu'elle sème à contre-vent.

Mais revenons au théâtre puisqu’il s’agit de cela dans cette rubrique. Donc la Compagnie s’empare d’un sujet de société extrêmement sensible pour en faire un objet théâtral et un manifeste. Un peu dans la veine des spectacles créés par Pauline Bureau, notamment Mon coeur et Hors-la-loi.

Le texte de Sébastien Bizeau est d’une très grande intelligence, démontant les éléments de langage qui masquent le vrai enjeu. Il réussit en 75 pages à condenser l’essentiel du débat (je pourrais écrire "combat") entre écologie et économie tout en posant sur la table les enjeux et les moyens de lutte possible de cette véritable confrontation entre pot de terre et pot de fer.

L’opposition suscitée récemment par la loi Duplomb en fait une autre démonstration. Certes la voie démocratique est parvenue à faire reculer la loi mais rien ne changera fondamentalement tant que les agriculteurs ne seront pas massivement convaincus qu’il en va (aussi) de leurs intérêts à cultiver avec des moyens biologiques plutôt que chimiques. Invoquer la concurrence déloyale encouragée par les pays voisins ne fait pas avancer les choses, bien au contraire. Pourtant on sait qu’il faudrait renverser l’ordre prioritaire. Ce que le DVD retraçant les actions de Liberterres démontrait parfaitement et que je recommande de visionner.

J’ai beaucoup apprécié l’écriture de Sébastien Bizeau et je trouve que le texte mérite vraiment d’être lu attentivement. Chaque personnage est criant de vérité.

lundi 28 juillet 2025

Le Domaine Paradisîø sur Oléron

J'ai découvert cet été l'existence du Domaine Paradisîø sur l'île d'Oléron à la faveur d'une rencontre avec son propriétaire, Sylvain Tache qui, depuis seulement cette année, vient au devant des consommateurs sur le marché de producteurs installé le mercredi matin à Petit-Village.

Il m'a fait goûter son Sauvignon premier qui, dégusté à l’aveugle, ferait d’abord penser à un grand vin blanc, à l’instar d’un Chablis. C’est le produit haut de gamme de la propriété, cuvée Sabrina. Ce n’est pas encore mentionné sur l’étiquette mais c’est ainsi qu’on le désigne au domaine.

Son approche est très volcanique, un peu tourbée, avec une belle salinité et une longue caudalie. Cette unité de mesure, équivalent grosso modo à une seconde, permet de déterminer la longueur du vin en bouche ou plus précisément la Persistance Aromatique Intense (PAI). 

On perçoit, non pas une acidité qui brûle, mais une vivacité herbacée qui reste en bouche. J'ai cherché à en comprendre la raison. Tout ne s’explique pas par le fait que les vignes poussent sur des sols d’argiles grises. Je suis grandement admirative du travail qui est fait au moment de la vendange. D'abord les raisins sont cueillis à la main, en galette, c’est à dire que les grappes sont posées une à une sur le fond de la cagette sans effectuer la moindre double épaisseur.

La vendange s’effectue en petit comité. Ils ne sont que trois, avec exceptionnellement quelques clients passionnés. Traditionnellement, le blanc se vendange en dessous de 14 degrés, pour éviter toute fermentation. Voilà pourquoi Sylvain loue un camion réfrigéré. Ce n’est pas un caprice. Cela permet de choisir les grappes une à une et autorise les vignerons à récolter à leur rythme tout au long de la journée, sans devoir couper à toute vitesse le raisin de nuit en s’éclairant à la lampe frontale. 
Le pressoir à cliquer est plus de quatre fois centenaire et le foulage des raisins se fait au pied. Une partie des rafles est ajoutée dans le pressurage. Autrefois on utilisait un tapis de cordage mais les rafles le remplacent avantageusement. On ne sulfite que la vendange et on laisse ensuite agir les gaz de fermentation. 20% iront dans des barriques anciennes en fut de chêne, ce qui procurera des notes supplémentaires et de la douceur que jamais n’apportera une cuve inox. Et il titre 13°5.

Je me suis rendue sur le domaine pour en apprendre davantage sur la philosophie qui régente sa vie et celle de Sabrina, sa compagne, maman de leurs trois enfants, et sa plus précieuse collaboratrice.

Ensemble, ils revendiquent un vignoble indépendant et éco-responsable, pas encore labellisé bio (car cela coûte cher) où tout est mis en oeuvre pour faire des vins qui racontent une histoire. Comme ce rosé un peu perlant qui, à l’instar d’un bon roman, se dévoile un peu plus à chaque gorgée, comme le ferait un livre à chaque nouvelle page que l’on tourne.

Ils sont tous les deux passionnés de vin mais aussi de nature, et sont installés sur la route de l’Ecuissière qui, soit dit en passant, et quand on la prend en direction de l’Ouest, mène à la Passe du même nom, qui présente un des plus beaux points de vue de l’île pour admirer le coucher de soleil.

mercredi 23 juillet 2025

Sans soleil de Jean-Christophe Grangé tome #1 Disco inferno

C'est une bibliothécaire d'Antony (92) qui m'a suggéré la lecture de Sans soleil vers laquelle, seule, je ne me serais absolument pas dirigée. D'autant qu'il y a deux tomes épais. Le premier, Disco inferno, m'a vivement intéressée.

Mieux qu'un polar ce roman est un véritable thriller et Jean-Christophe Grangé n'a aucune pitié de nous puisque ce tome 1 s'achève sur une fausse résolution de l'énigme. Il est donc impératif que je me procure la suite.

Je ne me souviens pas de la lecture des Rivières pourpres, qui est le roman qui l’a rendu célèbre. En tout cas le style avec lequel Jean-Christophe Grangé a écrit celui-ci est puissant et imprégné d’un humour à la Audiard, à ceci près que les formules ne font pas partie des dialogues mais du discours que l’auteur partage avec nous lecteurs, qui sommes en quelque sorte mis dans la confidence. Par exemple, les mains du commissaire divisionnaire sont posées sur le buvard. Une sorte de nature morte sur un fond vert bouteille (p. 176). Il a une tête de limande, la sueur en guise de jus de citron (p. 186).

Alors que dans Féminicide ce sont des femmes qui sont tuées, ici ce ne sont que des hommes qui sont la cible du ou des criminels. Situant l’action au début des années 80, l’écrivain a dû faire un travail préalable de documentation et le roman fourmille d’éléments qui sont totalement datés et qui surprendront ceux qui sont nés depuis. On pouvait alors circuler en automobile sur les voies sur berge. Leur fermeture n’a commencé qu’en 1994 et elle était alors limitée à un dimanche de temps en temps. La vitesse autorisée sur le périphérique, achevé seulement depuis avril 1973, permettait des pointes à 80 km/h. Elle sera réduite à 70 en 2014 puis à 50 à partir de 2024.

Bien entendu la Police Judiciaire était -depuis 1913- installée au 36 quai des Orfèvres, adresse qui a tant inspiré le cinéma. Elle a récemment déménagé pour la Place de Clichy aux Batignolles. Par contre le concept de profilage n’existe pas encore en France.

Une des protagonistes réside à Nanterre, dans le quartier Pablo-Picasso, dans un des tours Aillaud (ou tours Nuages). Construites entre 1973 et 1981sur les plans d’Emile Aillaud, elles sont composées de 18 tours d’habitation. Leur forme inhabituelle, de trèfle ou de nuage, est une savante combinaison de courbes et de lignes droites, identiques pour toutes les tours.

Elles sont recouvertes de mosaïques de pâte de verre dont les dessins sont l'œuvre d’Émile Aillaud et de Fabio Rieti, artiste et gendre de l'architecte, pionnier du trompe-l’œil, qui évoquent tantôt des nuages, tantôt des arbres et le ciel. Les différentes sculptures sont l'œuvre de sa soeur, Laurence Rieti. Les tours ont reçu en 2008 le label Patrimoine du XX° siècle.

A l’époque que retrace Jean-Christophe Grangé un tiers de l’élite parisienne serait homosexuelle (p. 177). Il pointe le glissement de l’érotisme vers la pornographie (p. 181) en citant des films décisifs, en pointant le rôle d’une actrice comme Brigitte Lahaie, et surtout du magnétoscope qui ouvre l’accès ai plus grand nombre. L’auteur cite aussi très fréquemment des célébrités de l’époque. Comme Henri Jeanson qui disait : la première impression est toujours la bonne, surtout quand elle est mauvaise (p. 186).

L’abondance des éléments socio-historiques font la première richesse du livre. Arrivent ensuite les personnages, presque tous très typés, à la limite de la caricature mais c’est très jouissif.

Il y a d’abord Daniel Ségur, un médecin, spécialiste des MST, et donc de cette maladie nouvelle qu’on appellera SIDA, qualifié par l’auteur de minet à la désinvolture rock (p. 92). Et puis l’inspecteur principal Patrick Swift qui est lui le minet du 36 (nous sommes supposé savoir qu’il s’agit de l’adresse de la PJ à l’époque) et il est bien sympathique, Pourtant, à l’inverse de lui je ne suis pas fascinée par la violence, ni par les tueurs en série. Pardon pour l’emploi du masculin mais il ne me semble pas qu’il existe de tueuse en série. Ce qui le rend aimable c’est qu’il ne bosse pas pour l’avancement mais pour avancer (p. 52) le rendant proche d’Heidi, une étonnante lycéenne surdouée, une gamine qui sera sa lanterne dans la tempête (p. 199), sur laquelle il va s’appuyer pour enquêter sur le meurtre horrible de meilleur ami de la jeune femme, et qui, elle, voulait réussir, mais sans savoir en quoi (p. 73).

On est bien d’accord avec le patron de la PJ. Celui qui mène la danse est un salopard de compétition qui a de quoi satisfaire les plus sinistres des appétits de Swift (p. 178). On est vite embarqué par cette histoire en acceptant que la folie puisse avoir quelque chose de rationnel. Alors on navigue nous aussi entre Bains Douches et Palace dans le milieu homosexuel dont Grangé connait ou a appris les codes sur le bout des doigts. On y constate ce qu’on supposait : une liberté de mœurs totalement débridée et marquée par une violence extrême.

C’est noir, très noir, mais l’écriture de l’auteur rend le livre passionnant, voire même brillant. Sa force tient au fait que le lecteur n’est jamais témoin ou spectateur des faits, ou si peu. Il n’en a connaissance que plus tard lorsque les personnages les retracent.

Et dans cette noirceur émerge en surimpression discrète, parce qu’on n’y prend pas immédiatement garde, tout un lexique lié de près ou de loin à la lumière, justifiant ce titre de Sans soleil.

Sans soleil de Jean-Christophe Grangé, tome 1 - Disco inferno, Albin Michel, en librairie depuis el 15 janvier 2025

lundi 21 juillet 2025

Divorce à la française d'Eliette Abécassis

Il me semble qu'au fil de ses livres Eliette Abécassis s'est forgé une réputation de spécialiste du couple qu'il s'agisse de passion comme de désamour, de jalousie comme de haine, de mariage comme de séparation.

Je n’étais donc pas surprise qu’elle écrive un roman intitulé Divorce à la française même si je me sentais incapable de donner une définition de cette expression que j’ai parfois lue dans des articles de presse de géopolitique.
Antoine est chirurgien et Margaux est romancière. Ils se sont mariés et ont eu ensemble deux enfants. Nous les découvrons au moment du divorcer, et nous les voyons se déchirer pour la garde de leurs enfants. Chacun va donner sa version des faits. Puis interviendront le fils, la fille, la mère de l’un, la mère de l’autre, la deuxième épouse de l’un, le frère de l’autre, l’ami de l’un, l’amant de l’autre, l’éditeur de l’une, la comptable de l’autre. Les témoignages se contredisent sur les faits comme sur leur interprétation, et sont autant de versions à démêler. Ils sont destinés à convaincre la Juge aux Affaires familiales, et avant tout nous lecteurs qui vont devoir démêler le vrai du faux.
Je me suis lancée avec empathie en tentant d’être perspicace. Les propos du mari semblaient un peu trop couler de source et m’ont mise mal à l’aise. La prise de parole de la femme a confirmé mes soupçons … jusqu’à ce que je tombe sur une phrase-clé : nous n’avions peut-être pas vécu la même chose (p. 55).

Les arguments de Margaux m’ont semblé excessifs mais il aurait été invraisemblable qu’elle ait tout inventé. Cependant lorsqu’elle s’est projetée dans les motivations de Madame de Merteuil cherchant à se venger et à venger son sexe (p. 84) j’avoue que j’ai commencé à accélérer ma lecture. L’enchaînement des confidences m’a vite troublée et la lecture est bientôt devenue insoutenable. J’avoue avoir accéléré et commencé à lire en diagonale. J’ai été franchement malheureuse que les enfants se discutent, un lapsus très signifiant de leur détresse (p. 117).

En tant que lectrice on a tendance à se placer du côté de la femme. Il est probable aussi que j’ai de plus été influencée par une de mes dernières lectures, Féminicide. Toujours est-il que cette histoire, fort bien ficelée au demeurant et dont un scénariste ferait un chef d’œuvre cinématographique, m’est devenue insoutenable. N’en pouvant plus du suspense, je suis allée directement au dernier chapitre qui m’a donné le coup de massue final sans m’inciter à revenir en arrière pour tenter de démêler le vrai du faux.

Une chose est certaine, il est vrai que la garde alternée est un piège et que nombre de femmes renoncent à la séparation pour ménager les enfants. Il est sûr que pour que ce système fonctionne sans trop perturber leur progéniture il est indispensable que les parents s’entendent, et si c’était le cas pourquoi donc divorceraient-ils ? On voit bien que la situation est paradoxale.

Ce roman m’a fait l’effet d’un coup de massue et même si je n’ai pas pu le lire dans son entièreté il était nécessaire qu’il soit publié.

Divorce à la française d'Eliette Abécassis, Grasset, en librairie depuis le 2 octobre 2024

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