Il faut retenir le nom de cette compagnie, composée de comédiens qui sont aussi des amis, et qui se proclame Hors du temps.
Leur adaptation du mythe d’Electre a brillamment résonné au Théâtre de l’Atelier le 5 février dernier après la représentation d’un Huis clos de Camus qui ne pouvait être mieux choisi pour donner encore plus d’écho à la pièce. La salle était comble mais vous n’y étiez peut-être pas.
Qu’à cela ne tienne : ils reviennent dans ce même théâtre le mercredi 16 mars, toujours à 21 heures, pour une seconde interprétation des Mots d’Electre.
Sébastien Bizeau s’est appuyé sur le mythe d’Electre pour démontrer un paradoxe que l’on sait déjà, mais qu’il est bon de nous rappeler : les mots ne sont pas toujours les voies les plus parlantes pour atteindre la vérité. A l’instar des statistiques, ils peuvent servir les intérêts de ceux qui les proclament.
Pour résumer, on dira que l’action démarre quinze ans après le suicide de son père, le chef du restaurant étoilé Argos, quand Electre est confrontée à la maladie de sa mère plongée dans un coma artificiel.La jeune femme, animée par une haine dévorante à l’égard de sa mère, veut obtenir du corps médical l’interruption des soins, mais ses mots se heurtent aux paroles vides de sens de ses interlocuteurs.Son frère Oreste, absorbé par l’écriture d’éléments de langage pour le ministre dont il est le conseiller, tente de la convaincre de renoncer à son entreprise.Résolue à condamner leur mère au silence et à faire la lumière sur la mort de leur père, Electre enjoint à Oreste de l’aider à faire triompher la vérité – avec les armes d’aujourd’hui : les mots, ceux qui disent, qui révèlent, et parfois tuent.
Sébastien Bizeau a voulu montrer comment, selon les mots d’Albert Camus, mal nommer les choses revient à ajouter au malheur du monde. Il a adapté librement (comment en aurait-il pu être autrement avec son postulat de départ ?) la pièce de Jean Giraudoux en retenant certains passages, en particulier la mort du père, le conflit entre Electre et sa mère, notamment à propos d’une chute de son frère Oreste. On retrouve la succession de vérités/mensonges/haines/manipulations mais aussi des effets comiques qui sont déjà présents chez Giraudoux. Et bien sûr l’aurore finale.
La trame générale est transposée dans une actualité encore récente (le suicide du chef Bernard Loiseau, et on pourrait avoir envie de souligner combien ce thème résonne encore aujourd’hui ne serait-ce qu’au travers du film The Chef).
Il tricote le propos avec des répliques empruntées à des discours politiques dont on reconnaît le ton. Il ajoute aussi des expressions toutes faites appartenant au marketing, aux ressources humaines et plus largement à la communication qui ont toutes pour dénominateur commun d’être ce qu’on appelait langue de bois avant que ne s’impose le terme de novlangue.
La construction est très habile car aucun des lexiques ne l’emporte sur les autres. Si bien que le spectateur doute parfois de l’intention. Souvent, par effet de ritournelle, le texte est repris sur un autre ton par un autre comédien, poussant ainsi notre interrogation. Doit-on entendre les répliques au premier ou au second degré ?
Le doute n’est pas permis avec la chanson autrefois interprétée par Dalila et Alain Delon, Paroles, qui arrive à point nommé ainsi que quelques autres petites trouvailles qui seront elles aussi fort applaudies.
Le duel entre mère et fille est équilibré. On a envie de mépriser cette femme pratiquante non croyante désireuse de sauver les apparences. Mais elle nous attendrit quand elle se plaint de l’absence du mari, de la méfiance du fils, de la haine de la fille, en nous interrogeant que me reste-t-il ?
Alors que nous reste-t-il ? Reprend un comédien, devançant notre propre pensée en écho.
Le jeu des comédiens oscille avec sagesse entre tragédie et comédie. Jusqu’à la scène finale, de toute beauté, admirablement composée à partir du poème de Louis Aragon célébrant Les mains d’Elsa et s’achevant dans un éclat de rire d’enfant.
La lumière, signée par Tristan Ligen vient à propos diriger notre regard. Le décor est minimaliste, car ce n’est pas l’aspect déterminant du spectacle. Quelques éléments de mobilier suffisent amplement à installer un cadre. Le choix des costumes n’est pas davantage extrêmement élaboré, mais sur ce point il me semble qu’on pourrait faire mieux, surtout pour Electre, parce qu’un vêtement dit lui aussi beaucoup. D’ailleurs c’est bien pourquoi le médecin porte la blouse caractéristique de sa fonction.
L’ensemble est fort réussi même si un œil critique aurait savouré que certaines scènes soient poussées plus loin, par exemple la chrorégraphie de la première scène.
Il faut donc saluer ce travail, et entendre la leçon qui nous est donnée, car vivre ce n’est pas attendre que l’orage passe. C’est apprendre à danser sous la pluie.
Les mots d’Electre
Texte et mise en scène de Sébastien Bizeau
Avec Matthieu Le Goaster, Paul Martin, Maou Tulissi, Juliette Urvoy et Grégory Verdier
Lumière de Tristan Ligen
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