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mardi 22 février 2022

Allons danser de Brice Homs

La Fayette, Louisiane. Frange dans les yeux, tatouages sur l’épaule, Loretta chante, courbée sur sa guitare. Devant la scène, une foule joyeuse danse en rythme. Dans cette foule il y a Martin, un photographe français en rupture avec sa vie parisienne, à peine débarqué de l’avion. C’est le début d’une histoire d’amour qui va les emporter, de la poussière des routes qui sillonnent les bayous aux allées de Nashville. Loretta va gravir, une à une, toutes les marches du succès jusqu’à la vraie question : Et maintenant ? Est-elle prête à abandonner cette vie au milieu des siens, dans la nature grandiose de l’Atchafalaya, pour aller là où son talent peut la mener, très haut, trop loin ? Parce que, quoi que l’on gagne, choisir, c’est accepter de perdre. Perdre ce qu’on n’a pas choisi.

Tels sont le mots qui, en quatrième de couverture, présentent Allons danser, le troisième roman de Brice Homs. Et je ne saurais exprimer plus précisément ce qu’en virtuose de l’écriture, ce musicien nous fait partager. Il est difficile de dire mieux. Je vais malgré tout tenter l’exercice, parce que c’est mon job de donner un avis, et pas d’être la caisse de résonance d’un communiqué de presse.

Je n’avais jusque là qu’une image un peu stéréotypée de la Louisiane, le plus bel endroit du monde … où les miracles existent (p. 39) et que j’ai trop brièvement traversée il y a des années. J’ai eu le sentiment d’y vivre comme une vraie cajun tout le temps qu’a duré la lecture. On y est, plongé dans la vie locale dont on découvre des us et coutume si particuliers que ça ne s’invente pas. Comme j’ai apprécié de sillonner toutes ses routes en compagnie d’une communauté si attachante qu’on a le sentiment d’en faire partie ! Rien que pour cela je pourrais qualifier ce livre de formidable.

Il est rare que, malgré l’absence de sons et d’odeurs, on puisse être ainsi immergé dans une terre lointaine, soudainement familière. Cela tient sans doute à la capacité de l’auteur de faire partager le mode de vie de cette contrée qu’il connait par coeur, et de tout son coeur.

Je n’oserais pas dire que ce livre est pimenté comme un jambalaya de ragondin (je n’en connais pas le goût et pourtant le pâté de ragondin est une des spécialités d’Oléron où je suis en ce moment). Disons, pour être plus consensuelle, qu’il est savoureux comme un plat d’écrevisses car Brice n’est pas seulement écrivain et musicien, il est aussi un excellent cuisinier, et cela se sent. D’aucuns auraient ajouté des recettes typiques en annexe mais on sait bien, vous et moi, que ce serait ici inutile. Les plats ne sont pas cités pour qu’on tente de les reproduire en terre française. Une atmosphère ne s’exporte pas. On peut juste en saisir l’esprit.

Bien sûr, j’aurais loué la présence d’une play-list en annexe mais là encore, rien ne remplace d’aller écouter la musique sur place. Et surtout de la voir jouer. Néanmoins cette playlist est sur le site de l’auteur  de même que sur Deezer et Spotify.

La photo de la couverture illustre à la perfection la particularité de cette histoire d’amour, et peu importe où elle a été prise, et par qui. La langue est facile à lire, émaillée d’expressions cajunes, toujours traduites au fil des lignes. Chaque chapitre a toutes les qualités d’un conte, avec une portée philosophique qui n’est jamais loin.

Vous apprendrez par exemple, si vous ne connaissez pas le concept, ce qu’est l’aoriste (p. 22) et toutes ces actions entreprises pour « ne rien faire » (p. 118), autrement dit faire autre chose que ce qu’on a à faire.

Ce roman est formidable pour tout un tas d’autres raisons. On y trouvera les règles à suivre pour espérer atteindre le succès sur scène. A force de nous répéter que Si tu veux réussir dans la musique, passe à la télé. Si tu veux réussir ta musique, joue dans les clubs. Pour les deux va à Nashville (p.137), on va finir par connaître le show-biz sur le bout de nos Nike (prononcer naïki) nous aussi (p. 83).

On se laisse porter, emporter par la superbe histoire d’amour qui infuse le récit avec passion et tendresse aussi et que l’on vit de l’intérieur. On n’avait pas vraiment besoin d’explication pour comprendre le titre mais elle arrive malgré tout (p. 144) alors que nous ne sommes pas encore rendus à la moitié de l’ouvrage. On aurait pu se satisfaire de l’invitation placée en exergue en hommage à Canray Fontenot qui chantait, en français et sur un rythme endiablé, Viens dans mes bras, allons danser que Brice transforme quasiment en déclaration d’amour à la terre entière, du moins à cette terre de Louisiane.

L’humour est là, également, par touches plutôt discrètes mais bien présentes, comme avec cette façon de célébrer la victoire de Puebla 1862 sur les Français (p. 68). J’ai dégusté chacune des références au Mexique avec bonheur puisque je connais bien ce pays où je vais souvent depuis que ma fille s’y est installée.  C’est peu dire que Mierda a la muerte  ! me parle …

On pense parfois avoir entre les mains la version louisianaise de « ils furent heureux, se marièrent et eurent beaucoup d’enfants … » jusqu’au surgissement du poème de Robert Frost, illustre aux Etats-Unis depuis 1915, The Road Not taken, (et que je ne connaissais pas) qui laisse planer le doute qui se concrétisera avec La route d’après (p. 337).

Il est si vrai que Choisir, c’est choisir ce qu’on accepte de perdre (p. 331) !

Il y a une théorie sur les gens qui jalousent le succès. Il faut des mauvaises critiques pour valoriser les bonnes. L’unanimité est toujours suspecte (p. 339). Je serai bien incapable d’écrire autre chose qu’un éloge mais je souhaite à Brice Homs la plus dure critique pour faire ressortir les autres.

Brice Homs est musicien, scénariste et script-doctor en France, aux États-Unis et au Canada. Il travaille principalement à l’adaptation de romans pour le cinéma et la télévision. Il a publié deux romans, Blue (Flammarion, 1993) et Sans compter la neige (Les Escales, 2019).

Allons danser de Brice Homs, chez Anne Carrière, en librairie depuis le 11 février 2022

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