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mardi 8 février 2022

Le faiseur de théâtre de Thomas Bernhard

Ce soir, le dramaturge d’Etat Bruscon et sa troupe familiale se produisent dans un village où règne «le néant culturel absolu». Les obstacles se multiplient à mesure qu’approche l’heure du spectacle. 

Oeuvre maîtresse de Thomas Bernhard, Le Faiseur de théâtre est le constat poignant et cynique de la lente agonie de l’art dans un monde auquel il est devenu hostile. Il est utile de la rejouer.

Je me souviens de l’interprétation subtile et ambigüe de Bernard Freyd dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent au festival d’Automne en 1988. Je ne suis pas passéiste mais il me fut difficile d’accepter dans la version de Chantal de La Coste le comique de situation pourtant remarquablement servi par les comédiens.

Le choix, car c’est bien pleinement le sien puisqu’elle signe la mise en scène, la scénographie, les costumes et les lumières, de tirer le spectacle du côté de la comédie ne m’a pas convaincue.

Ce qui est intéressant, de mon point de vue, n’est pas le mépris tyrannique de Bruscon mais le doute que le public pourrait éprouver à son égard, à condition de rendre crédible une certaine empathie à l’égard de cet homme qui connut tous les honneurs et qui doit désormais se contenter de miettes. Ce n’est pas la litanie de ses plaintes qui nous le rend détestable mais son égoïsme de géant.

Il est entendu qu’Hervé Briaux a toute la carrure pour donner vie à cet homme et que sa présence sur scène est un régal. C’est un comédien accompli que l’on a toujours plaisir à voir. Que Séverine Vincent parvient admirablement à répondre à l’attente qui lui a été imposée. Mais c’est peu dire qu'elle n'a pas l'âge du rôle. Avoir été Emilie Jolie à 6 ans ne justifie pas ce choix de lui demander un comportement de petite fille même si elle est extrêmement touchante en se transformant en un quart de seconde. Et quand bien même elle est crédible quand elle enfile la robe de la mère que cherche-t-on à démontrer en lui faisant jouer (aussi) ce rôle ? Que Bruscon ne s’aperçoit pas du changement ? Que sa femme est si malade qu’elle a péri ? Mais alors pourquoi nous la faire entendre tousser en voix off ?

Le fils (Quentin Kelberine) est lui aussi quasi constamment rabroué par son père et on se surprend piteusement à estimer que ce n’est pas sans raison. C’est dommage car son potentiel étincelle à plusieurs reprises.

Patrice Dozier porte le tablier de l’aubergiste. Sa position est difficile car il a peu de texte mais son écoute, évoquant le moment de la confession est réussie. Cet aspect aurait pu être poussée plus loin. C’est là qu’il est le meilleur.

En conclusion je respecte le parti-pris artistique qui est proposé au Poche. Mon sentiment est biaisé par mes souvenirs. Je ne voudrais pas apparaître comme Bruscon qui ne cesse de clamer son regret d’avant. Faites vous votre propre opinion. Cette pièce mérite amplement d’être vue.
Le faiseur de théâtre de Thomas Bernhard
Traduction Edith Darnaud
Avec Hervé Briaux, Séverine Vincent, Patrice Dozier, Quentin Kelberine
Mise en scène, Scénographie, costumes et lumières : Chantal de La Coste
Assistant mise en scène : Quentin Kelberine 
Son : Nicolas Daussy
Depuis le  25 janvier 2022
Au Poche Montparnasse - 75 boulevard du Montparnasse -75006 Paris
Représentations du mardi au samedi 21h, dimanche 15h

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