Le film de Philip Barantini est annoncé comme un drame et un thriller. Il se déroule dans un restaurant gastronomique de Londres, au cours de la soirée la plus fréquentée de l’année, du moins en Angleterre, le vendredi avant Noël qu’on appelle "Magic Friday".
On va vite comprendre que la magie n’aura pas lieu, bien au contraire. Côté cuisine, tout le personnel est en panique à quelques minutes du coup de feu. Les problèmes s’accumulent autour du chef étoilé Andy Jones (Stephen Graham) et de sa brigade. S’ajoute à cela la pression constante d’une clientèle toujours plus exigeante qui menace de mener le restaurant à sa perte…
Les acteurs sont plus vrais que nature, dans le rôle qui leur a été assigné. La construction du scénario autour d’un long plan séquence en huis-clos, avec parfois la caméra à l’épaule suggère régulièrement un documentaire ou un tournage sur le vif comme si on avait voulu nous laisser entrevoir la vraie réalité des coulisses d’un restaurant étoilé. Je ne sais pas si la même violence règne partout, et si elle est à ce point quotidiennement proche de l’ébullition, justifiant le titre original de Boiling Point. En tout cas ce parti-pris qui pointe sans réellement dénoncer, et sans apporter la moindre solution est plus troublant qu’un épisode de Cauchemar en cuisine.
Je sais bien que ce milieu est stressant, que la valse des chefs qui sont « chassés » d’un palace à l’autre est un mercatique impitoyable, que des critiques se comportent comme des tueurs (à la fois parmi les plus compétents, publiant dans des guides réputés), que des instagrammeurs sont enivrés de leur potentiel d’influence. J’ai rédigé presque cent cinquante chroniques culinaires (rubrique Brunch ou restaurant) et j’ai très rarement été sévère. Je suis respectueuse du travail fait en cuisine et réciproquement je pense y être appréciée. Je ne prétends pas être représentative de la critique culinaire mais je connais beaucoup d’autres journalistes davantage prêts à célébrer les talents qu’à pourchasser les mauvais. Le bouche à oreille s’en charge suffisamment vite.
Il est vrai aussi que la drogue et l’alcool sont une plaie partout, y compris dans les cuisines. Que l‘argent est le nerf de la guerre. Que le harcèlement s’y produit, mais comme partout hélas. Que les convives ne sont pas des amis et que leurs exigences peuvent être sans bornes au motif que le client est roi. Que la tentation de se reconvertir comme chef à domicile ou consultant doit en effleurer plus d’un. Et surtout bien sûr que la cuisine n’est pas qu’une affaire de saveurs mais aussi d’hygiène (même si certaines exigences sont difficiles à tenir) et de rigueur (une allergie peut être mortelle). Voir le chef se régaler avec le lemon curd et en reprendre trois fois dans le saladier en replongeant la même petite cuillère aurait suffit à m’écœurer. Je ne doute pas de l’exactitude des faits puisque le réalisateur exerça lui-même comme chef cuisinier pendant douze ans. Mais est-ce donc tout cela que je suis prête à voir au cinéma dans un long métrage qui ne revendique pas l’aspect documentaire ?
Il parait que le tournage fut une prouesse avec trente-sept acteurs et une centaine de figurants à chorégraphier sur un plateau à 360 degrés, des assistants à la réalisation déguisés en serveurs avec une oreillette, réalisé en quatre prises seulement…
J’en suis admirative mais j’ai davantage envie qu’on me fasse rêver. Et je me souviens de belles histoires prenant naissance dans une chambre froide. Ou alors qu’on me fasse réfléchir sur la psychologie d’un personne ou sur les rapports de force et d’équilibre au sein d’un groupe. Il n’y a rien de cela dans ce film où l’on devine la fin dès les premiers instants. Le stress est immédiat et constant. Il n'y a jamais de moment où la tension se relâche même fugitivement. Pourtant le personnage de Carly, en tant que second, interprété par la formidable Vinette Robinson aurait pu être davantage développé. Il est vrai que le film porte le titre de The Chef.
On pense à d’autres tragédies comme celle de Vatel, de Bernard Loiseau, Taku Sekine, d’Anthony Bourdain, et plus récemment Marcel Keff. Mais (hélas) on se suicide aussi beaucoup parmi les policiers et les enseignants. Les conditions de travail ne sont pas seules en cause. Philip Barantini nous montre d’ailleurs un homme dont la vie de couple s’est brisée et qui ne parvient plus à assumer son rôle de père alors que sa dépendance à la drogue et à l’alcool accélère la descente aux enfers.
The Chef de Philip Barantini
Avec Stephen Graham, Vinette Robinson, Alice May Feetham …
Sortie en France le 19 janvier 2022
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