Ce soir doivent venir les invités chez le Vieux (Jean-Paul Farré) et la Vieille (Catherine Salviat) qui les attendent depuis des années sur leur île désolée. Lui, simple Maréchal des Logis, a préparé toute sa vie un message destiné à sauver l’humanité. Un Orateur (Alejandro Guerrero) a été convoqué pour le divulguer aux spectateurs. Coup de sonnette : voici les premiers ! Puis d’autres, et d’autres, c’est bientôt une foule qu’il faut asseoir ! Mais qui sont tous ces gens ? Et quel est le message ? Plus que jamais les interrogations de Ionesco sur le vide et le vrai résonnent dans nos consciences…
Ce soir, elles vont enfin servir à quelque chose, nous dit Philippe Tesson à propos des chaises rouges dont le Poche dispose en pagaille et qui ont été chinées aux Puces à sa rénovation en 2013.
Mais tout de même, chacun doit être à sa place et les spectateurs ne se mêleront pas aux invités, quitte à ne pas savoir où poser les fesses car en ce soir de première il y a foule.
Souvent on a représenté la pièce avec un vieux et une vieille qui ont l’allure de l’âge imposé par le rôle et, il faut le dire, inspirant pitié. Ici Stéphanie Tesson impose le parti pris du rouge, la couleur magique du théâtre, des vêtements joyeux, et orchestre une sorte de fuite en avant. Le Vieux déraille. La Vieille aurait voulu le voir chef, peu importe de quoi, mais chef. Pourtant elle le suit. 75 ans de mariage ont passé et malgré tout la Vieille redevient jeune pour son petit chou chaque soir. Quelle preuve d'amour !
Le tragique de la situation n’exclut pas une touche d’humour. Les diverses sonnettes, cloches et carillons qui s’entrechoquent résonnent avec une certaine allégresse. La réserve de chaises semble illimitée et la Vieille s’épuise jusqu’à crier grâce : Et toutes ces chaises ! En veux-tu, en voilà ! Régie, y'a plus de chaises. Fini ! Clame-t-elle avec malice.
Stéphanie a demandé à Emilie Chevrillon de l’assister à la mise en scène, en toute légitimité puisqu’elle avait monté les Contes de Ionesco à la réouverture du Poche. Elle a choisi deux comédiens d’envergure pour jouer ce texte si difficile si on veut en donner toutes les nuances et ambiguïtés. Catherine Salviat a démontré cent fois son talent. Jean-Paul Farré était déjà là lui aussi à la réouverture du théâtre, jouant le rôle du Maréchal dans Le mal court de Jacques Audiberti, mis en scène précisément par Stéphanie Tesson.
Il est revenu si souvent qu’il y est presque chez lui. Il fut Voltaire dans Voltaire Rousseau de Jean-François Prévand puis on le retrouva dans Tchekhov à la folie, mis en scène par Jean-Louis Benoît. La dernière fois que je l’avais vu sur scène, c’était en Avignon l’été dernier pour la création de son spectacle musical Dessine- moi un piano dans une mise en scène de Stéphane Cottin.
Catherine Salviat et Jean-Paul Farré ont une grande complicité. Il nous font entendre à merveille ces dialogues que d’aucun qualifient d’absurdes mais qu’ils font résonner avec poésie et tendresse. En voici un florilège à méditer :
- Soyons modestes. contentons-nous de peu.
- Ce qui m'a sauvé, c’est ma vie intérieure.
- On prend la vérité où on la trouve.
- Nous étions des enfants (…) Le temps est passé aussi vite que le train. Il a tracé des rails sur la peau.
On s’interrogera à la fin de la pièce sur l’injustice à l’égard de ce grand auteur dont la Ville de Paris n’a pas songé à donner le nom à la moindre voie, sur ces mots de la Vieille : Mourrons en pleine gloire … mourrons pour entrer dans la légende … Au moins nous aurons notre rue …
C’est une idée magnifique que d’avoir décidé de présenter ce spectacle, dans cette salle où l’on accède en passant sous l’immense portrait de Samuel Beckett, juste en face d’où réside la fille d’Eugène Ionesco, lequel était un grand habitué des lieux et où sa Leçon fut créée. Il entretenait un lien d’amitié avec l’ancien directeur, Etienne Bierry dont j’ai eu la chance d’entendre les confidences.
Les chaises d’Eugène Ionesco mise en scène de Stéphanie Tesson
Avec Catherine Salviat, Jean-Paul Farré, Alejandro Guerrero (en alternance avec Jade Breidi)
Assistante à la mise en scène Émilie Chevrillon
Lumières François Loiseau
Costumes Corinne Rossi
Peinture sur costumes Marguerite Danguy Des Déserts
À partir du 10 février 2022
Au Poche Montparnasse - 75 boulevard du Montparnasse -75006 Paris
Représentations du mardi au samedi 21h, dimanche 15h
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