Créé il y a plus de quatre ans, le spectacle a beaucoup bougé mais il garde sa liberté de paroles et sa tonalité de cabaret, démontrant une fois de plus que la marionnette peut être une arme au service de la liberté.
Je n'avais pas réussi à y assister au festival d'Avignon 2019 où c'était déjà un triomphe. Il avait reçu le prix spécial du syndicat national de la critique cette année là.
J'avais vu des photos, magnifiques au demeurant, et je connais l'univers de la marionnette, mais je m'attendais à un personnage d'une taille humaine. Ma surprise fut donc très forte mais je pense que ce choix est tout à fait juste. Hormis le fait de faciliter la manipulation, laquelle est cependant une vraie prouesse, exécutée par le créateur et son complice, Anthony Diaz, ce format autorise davantage de liberté, et parfois même de magie.
Hen prend vite la parole pour nous le dire après un intermède très onirique symbolisant sa venue au monde. Je suis bien en mousse, bois, tissu, un pantin ni homme ni femme, ni trans ni travesti. Laissez-moi le temps d’exister. Faites moi confiance (ou faites-vous, je ne sais plus).
En effet, il ne fait aucun doute que nous n'avons pas en face de nous un être de chair et de sang. On peut donc se laisser aller à le suivre. Et croyez-moi le chemin est long … et beau. Soirée exceptionnelle garantie. Et ce sera plus fort encore quand les restrictions Covid auront disparu. Le spectacle pourra alors reprendre un dispositif de cabaret qui lui conviendra encore plus.
Le choix de ce pronom en guise de nom est emprunté à la langue suédoise qui l'a fait entrer dans le dictionnaire en 2015 pour désigner indifféremment un homme ou une femme. Il convient de le prononcer Heune et surtout pas Haine, faute de quoi, patatras, on obtiendrait l'effet inverse.
Toujours est-il que le personnage est multiple. Il faut d'ailleurs une douzaine de poupées pour assurer tous les tableaux. On se demande comment les manipulateurs font pour ne pas se tromper, car ils sont évidemment dans le noir. De plus Johanny parle et chante en direct, en s'adaptant au public, aux circonstances, parfois à l'actualité.
Ce soir, après avoir rassuré (avec humour) que oui, il y aurait bien un strip-tease, mais un peu plus tard, il a salué la détermination des spectateurs à être venus si nombreux pour trouver de la nouveauté marionettique en bravant le froid, la distance, le covid, et … surtout les idées reçues.
Il y a des séquences de pure beauté esthétique. D'autres sont des performances très techniques, chorégraphiées au millimètre, suscitant des oh et des ah dans le public. Les chansons, pour la plupart originales, sont totalement à propos, parfois crues, jamais grossières, malgré une vulgarité revendiquée. Elles sont mélancoliques ou au contraireà très entrainantes. On reconnait au passage des allusions ou des hommages à des textes existants, des airs connus, par exemple à Annie Cordy ou en référence au folklore celtique. L'amour anatomique en version squelette mexicain est un petit bijou.
L'alternance des voix parlées, chantées, slamées … s'accorde avec l'esprit cabaret tout en frôlant parfois le registre de l'opéra rock. Johanna a tort de ne pas consentir à les enregistrer pour en faire un CD. On les réécouterait volontiers. On a très souvent envie d’applaudir, et de taper du pied, mais on se réserve pour les saluts, quand l’enthousiasme nous aura submergé.
Hen est un personnage plein de vie, exubérant, diva enragée et engagée qui s’exprime en chantant l’amour, l’espoir, les corps, la sexualité sans la moindre trace de conformisme, que celui-ci soit ou non dans l'air du temps. La créature chimérique peut muer avec sarcasme et ironie au gré de ses envies. Elle reviendra pour délivrer son ultime message nous invitant à nous serrer fort dans les bras pour recoller tous les morceaux.
Elle nous sera devenue de plus en plus sympathique au fil du temps. Johanny Bert parvient à partir d’un sujet qui aurait pu être scabreux à nous prendre par la main et nous faire circuler dans son univers comme dans un jardin des délices.
Il a, avec son équipe, autant de talent que d'humilité pour oeuvrer à secouer les idées reçues et s'acharner à nous divertir de surcroît. La musique interprétée en direct et en toute connivence est un plaisir supplémentaire, que nous offrent Guillaume Bongiraud au violoncelle et Cyrille Froger au clavier, à la batterie et au vibraphone.
Le spectacle est annoncé "complet" au Monfort mais il est certain (hélas) que quelques personnes ne se présenteront pas et vous pouvez donc tenter votre chance d'avoir un des derniers sièges. Cela vaut vraiment le coup. Sinon il vous restera à partir en quête d'une date compatible avec votre agenda pour le voir dans un des douze lieux où il va être à l'affiche au cours de l'année (voir la liste ici sur le site du spectacle).
HEN, de et mis en scène par Johanny Bert
Du 2 au 9 février 2022 à 19h30
Au Monfort - 106 Rue Brancion - 75015 Paris - 01 56 08 33 88
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