Il faut une bonne dose d’humilité et un certain courage pour se risquer à convier un public, certes bienveillant, à la présentation d’un spectacle qui n’est pas totalement abouti même s’il est bien davantage qu’une lecture.
C’est le pari risqué (et gagné haut la main) qu’ont fait Stéphane Guérin et Cyrille Thouvenin avec leurs complices Georges Vauraz, Violette Nouveau et Stéphane Corbin dans la salle du Studio Hébertot.
Marie-Apolline de Saint-Jérôme fait mine de nous confier ses bons conseils sur L'art de recevoir mais on comprendra vite qu’il ne serait pas judicieux de la suivre dans ses élucubrations.
Ceux qui connaissent la plume de Stéphane Guérin retrouvent avec délectation sa façon d’égratigner, que dis-je de lacérer les relations familiales où trop souvent on invite à la va-vite. Avec peut-être davantage d’humour que dans ses pièces précédentes.
Pour le moment le spectacle prend la forme d’une conférence mais on peut supposer que le metteur en scène nous réserve des surprises car il a beaucoup d’idées à mettre en oeuvre.
Violaine Nouveau avait été pressentie pour le rôle par Stéphane Guérin et elle est formidable en Marie-Apolline. Il décrit lui-même son héroïne comme pathétique autant que courageuse, à l’instar de ces femmes et ces hommes qui, marchent toujours en dehors des clous en rêvant d’être dans la norme. Son personnage tout entier dévoile plus encore qu’il ne démontre combien nous restons fragiles quand le socle de notre vie vacille.
Elle joue sur plusieurs registres. J’ignorais que Rimbaud avait écrit un poème à la gloire de sa mère. Elle nous le sert avec la voix de Chantal Goya. Elle nous fait goûter un langage des fleurs revu et corrigé par l’auteur et nous invite en aparté en osant les digressions. Je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui sur de quoi qu’est donc qu’on parle tant … Elle réussit à merveille à partager toute une gamme d’émotions sur un texte écrit au second degré et dont elle prend le contre-pied … me suivez-vous ?
Le metteur en scène n’a pas cherché longtemps un musicien qui puisse composer, improviser et jouer avec la comédienne. Il a raison d’être fier d’avoir réuni Violaine Nouveau et Stéphane Corbin, personne ne le critiquerait sur ce point.
Je connais Georges Vauraz depuis 2017, quand il rejoignit l’équipe de Beaucoup de bruit pour rien mis en scène par Salomé Villiers et Pierre Hélie au Théâtre du Roi René à Avignon (où Violaine jouait Margaret). Puis en 2018, quand il collabora avec Arnaud Denis sur le spectacle Marie des poules (Molière du meilleur spectacle privé 2020). C’est encore lui qui signa la scénographie de La grande musique de Stéphane Guérin, mise en scène par Salomé Villiers en 2020, toujours en Avignon.
Stéphane Corbin souligne le jeu avec le talent qu’on lui connait, rendant de multiples hommages à la variété française. Je ne suis pas certaine d’ailleurs de les avoir tous repérés et il y a sans doute matière à creuser. On imagine qu’il fera bien plus qu’accompagner la comédienne. D’autant qu’on nous promet une scénographie centrale et évolutive. Les pédales du piano pourront aussi contrôler le décor et nous dévoiler l’endroit où se trouve Marie-Apolline. Le spectateur aura ainsi l’impression que le pianiste a la maîtrise sur la réalité et le fantasme de cette femme. Manipulant le son et l’espace, il aura tour à tour la figure du père, du médecin, du mari ou de l’enfant. Il sera sa victime et son bourreau.
Toute l’équipe se connait et s’apprécie depuis longtemps. Nous avons passé un excellent moment en leur compagnie, ce qui laisse présager un futur succès, même si la bienséance nous interdit de vendre la peau de l’ours prématurément.
L'art de recevoir, de Stéphane Guérin et Cyrille Thouvenin
Mise en scène de Georges Vauraz
Avec Violette Nouveau
Musique de Stéphane Corbin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire