On croit le connaître. Il est L’ami, celui qu’on qualifie de « meilleur ». On l’aime inconditionnellement, et un jour tout bascule. On s’en veut alors de n’avoir rien vu. On se croit seul dans cette tourmente. Tout devient flou. C’est ce cataclysme que Tiffany Tavernier explore dans son neuvième roman.
Thierry et Elisabeth s’entendaient à merveille avec leurs très proches et uniques voisins Guy et Chantal. Il y avait bien une ombre, avec la dépression de Chantal, mais on pensait que ça passera. Aucune vraie alarme ne résonnait avant que ne déboule la gendarmerie pour arrêter ceux qui apparaîtront soudain comme un couple infernal au cours d’une intervention très spectaculaire.
Cet évènement, dans lequel Thierry et Elisabeth n’ont théoriquement pas de responsabilité, va déclencher des dommages collatéraux en cascade.
L’horreur est vite brossée (page 50) mais je me tairai là-dessus. J’en ai déjà trop dit. Je vous laisse découvrir de quelle barbarie il s’agit. Ce que l’auteure a particulièrement réussi c’est à s’infiltrer dans le cerveau de Thierry pour nous faire partager son déni, ses doutes, et ses colères, tout autant que son chagrin et sa solitude.
Comment admettre qu’on ait pu se sentir en confiance avec l’incarnation du mal absolu ? Le destin est-il hasardeux ? Peut-on se laver de la culpabilité du « si j’avais su » et du « comment ai-je pu ne rien voir ? »
Alors, forcément, chaque bribe de souvenir est une lame qui s’enfonce un peu plus profondément (page 63). Les flashs sont obsédants tant qu’on ne parvient pas à les décoder. Le lecteur est saisi par la même nausée que celle qui submerge les protagonistes.
On revisite avec eux les jours précédents la découverte de la barbarie en cherchant un indice. Ils partageaient leurs outils… Et un amour sans limites pour les insectes. Chantal était gravement dépressive mais était-ce un motif pour soupçonner son ami du pire ?
On se demande comment tout cela va finir. Dans quelle escalade le couple Thierry-Elisabeth pourrait se laisser piéger. Alors qu’Elisabeth réagit différemment, Thierry repasse (et ressasse) le film de sa vie dans lequel le moindre élément fait soudain sens, à l’instar d’une microfissure au plafond de son salon, qu’il n’a vue que tandis qu’il était allongé par terre, « pour raison de sécurité » à la demande des forces de l’ordre, la mort de son chien, le départ de son fils, si loin, une incompréhension avec son frère qu’il n’a pas revu depuis deux ans, et des souvenirs plus anciens encore qui vont remonter à la surface et faire exploser la carapace.
Il repense aussi à sa première rencontre avec Elisabeth, qui allait devenir sa femme, mais sur une sorte de malentendu. Elle avait alors apprécié son silence, celui là même qu’elle ne supporte plus. Le récit de leur rencontre est un moment de grâce (page 128). Mais quand tout s’embrouille, ne reste-t-il plus qu’à prendre le large ?
Thierry aime réparer (les machines) depuis l’enfance, comme si un fond de culpabilité l’amenait à devoir être ce qu’on appelle « un gentil ». Il avait en aversion toute forme de violence, ce qui d’ailleurs fascinait son voisin (page 68). La découverte de la dualité et la confrontation avec l’altérité vont marquer le début d’une quête initiatique plutôt haletante dont le lecteur se demande qui sortira indemne.
Tiffany Tavernier a été élevée dans le milieu du cinéma. Née en 1967, elle est la fille de Bertrand Tavernier. On la vit dans l’Horloger de Saint-Paul, Des enfants gâtés et dans Un dimanche à la campagne. Si elle est romancière, elle est aussi assistante-réalisatrice et scénariste, comme sa mère Colo Tavernier. Elle doit son prénom au film Breakfast at Tiffany’s réalisé par Blake Edwards et interprété par Audrey Hepburn. Elle a co-écrit avec Dominique Sampiero les scénarios de Ça commence aujourd’hui et Holy Lola, qu’elle adapta plus tard en roman.
C’est avec Roissy qu’elle rejoint le catalogue de Sabine Wespieser éditeur en 2018. Elle y dressait le portrait d’une « indécelable », une femme sans mémoire réfugiée dans l’aéroport, qui fut sélectionné pour le Prix Fémina.
Finaliste du Prix du Livre Inter, du Grand Prix RTL-LIRE, du Prix de La Closerie des Lilas et du Prix des Libraires 2021 et sélectionné dans de nombreux autres Prix, L’ami figure aussi parmi les romans retenus pour le Prix des Lecteurs d’Antony.
L’Ami, de Tiffany Tavernier, chez Sabine Wespieser, 7 janvier 2021
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