Les Testasecca habitent, au seuil des Corbières, un château-fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de coursives, de chemins de ronde et de passages dérobés dans lesquels je me suis faufilée avec délice.
J’ai été invitée à partager la vie palpitante de Clémence, dix-sept ans, bricoleuse de génie, qui fait plus que rafistoler le domaine au volant de son fidèle tracteur, baptisé Hyperélectreyon, de son frère Pierre, quinze ans, hypersensible, qui braconne dans les hauts plateaux, de Léon, le père, vigneron lyrique et bagarreur, rageant de se voir vieillir et de perdre ses pouvoirs et de Diane, la mère protectrice de chacun et aussi de la propriété dont elle est la gestionnaire inlassable en tenant bien serrés les cordons de la bourse.
Ils sont ruinés, à l’instar du château, classé au patrimoine national depuis 1840, subitement sous le coup d’un arrêté de péril (p. 105) et dont par voie de conséquence ils risquaient d’être expropriés et expulsés s’ils ne trouvaient pas au plus vite de quoi financer les travaux nécessaires à sa préservation (…) un million deux cent mille euros.
Le verdict de l’ingénieur est extrêmement intéressant (p.111) : Les noues des charpentes son rongées par les capricornes, la toiture corrompue, le bois éponge, les plafonds, les gypseris et autre décor en stuc s’émietter. Les poutres ont la maladie de l’encre. En tombant, elles risquent de casser les meubles et de crever les planchers. Les tableaux sont couvert de chancis ; des champignons se développent par capillarité. Il faudrait évacuer le mobilier, le déparasiter et le placer sous anoxie, dans une bulle, forcer les fondations aux micropieux, et pour les fresques fixer, sous facing (en italiques dans le texte), des bandes imprégnées de résine acrylique, ou bien déposer les parois a strappo (en italiques dans le texte)…
Tout se met alors à dérailler, la météo, la faune et la flore avec. Rien ne va plus au royaume des Testasecca qui malgré tout s’acharnent à défendre leurs terres. Il y a quelque chose de Sysiphe au royaume de Montrafet. On bascule dans le fantastique, le surréalisme, et pourtant on y croit, en se disant que si le vraisemblable peut ne pas être vrai, alors l’inverse est tout autant acceptable.
Guillaume Sire nous entraîne avec fougue sur la terre de son enfance. Les contreforts est un roman picaresque, ponctué de combats qui ne sont pas qu’intellectuels, notamment avec les gendarmes. Il peut devenir poignant, et il est toujours incroyablement précis et documenté sur l’architecture avec un lexique soutenu dont l’auteur a bien eu raison de ne pas s’encombrer de notes de bas de page pour définir tous ces éléments dont j’ignorais qu’il y avait un mot pour les caractériser. On a compris qu’on a affaire à un spécialiste. On fait confiance. On est pris par le récit et on le suit.
Le fait d’avoir découpé le texte, comme au théâtre, avec un épilogue et un prologue encadrant cinq actes, situe le récit dans la lignée des tragédies grecques dont Clémence serait l’héroïne.
Je ne vais pas jouer à vous dire à quels héros chacun des personnage a emprunté des éléments de psychologie. L’important est que l’exercice soit réussi. Il l’est brillamment. Je l’ai lu d’une traite. C’est le genre de livre qu’on ne repose pas et que l’on poursuit en se déplaçant d’une pièce à une autre, comme un chien fidèle, alors que le tâches ménagères voudraient nous en distraire.
La plume de Guillaume Sire se fait caméra et nous suivons les pérégrinations des enfants Testasecca comme une sonde de chirurgien nous ferait découvrir l’intérieur d’un corps dont jusque là nous n’avons eu que la vision extérieure. C’est parfois surréaliste, souvent excessif mais aussi « vrai » qu’un film de science-fiction.
J’avais traversé il y a quelques années ces paysages des Corbières où j’avais remarqué nombre de châteaux en ruine. Je me demandais comment on y avait vécu. Du coup mon imagination n’a eu aucune difficulté à adhérer aux aventures de cette famille à laquelle on s’attache immédiatement.
Aucune des légendes ne m’a semblé excessive qu’il s’agisse de l’assaut du Panthéon par la baronne Mahault, du capitaine Clodomir, de la mine secrète d’Izambar le Magnifique, du baron Piotr opposé au changement d’heure et de l’incendie au cours duquel le jeune Baron aurait vendu son âme à une sinagrie. J’ai aussi été emportée par des moments d’une originalité et d’un romantisme décoiffant comme cette déclaration d’amour (p. 278).
Il y a peu de dialogues et ils sont vifs, à l’image du tempérament des personnages : C’est pas parce que dans un village rempli de connards tu as rencontré un demi-connard qu’il s’y trouve un saint homme (p. 211 ). Vu sous cet angle on admettra que ce roman recèle une vraie dimension philosophique.
Chacun se battra avec ses moyens. Jusqu’au bout … je vous laisse découvrir où cela va les mener mais je terminerai ce billet sur une citation de Léon : C’est beau, quand même, la vie ! Ça vous rattrape toujours par le coté fantasque ! Ça vous prend au museau, et ça vous relance au ventre et aux zygomatiques au moment où vous n’en attendiez plus rien !
Les contreforts de Guillaume Sire chez Calmann-Lévy, en librairie depuis le 18 aout 2021
Sélection du Prix des lecteurs d’Antony 2022
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