Vous connaissez l'Ecole des loisirs, qui est un des éditeurs les plus emblématiques de la littérature jeunesse que Jean Delas n'a eu de cesse de faire évoluer, y compris après son départ (en retraite) puisque c'est son fils, Louis Delas qui lui succéda en janvier 2013.
L'arrivée de cet ancien directeur général de Casterman laissait présager la création d'une nouvelle collection. Ce fut encore plus avec Rue de Sèvres entièrement dédié à la bande dessinée. J'ai d'ailleurs chroniqué l'une d'elles, la Compile de l'année de Soledad Bravi.
Aujourd'hui la maison choisit de proposer des récits qui se situent à la frontière entre l'album jeunesse et la bande dessinée. ce sont les Premières Bulles.
Et la toute première dont je parlerai ici est Mon père ce héron, dessiné par Jul, dessinateur de presse depuis plus de quinze ans et auteur de BD quasi incontournable.
Nommé chevalier de l’ordre des Arts et Lettres en 2012, Jul dessine pour Le Nouvel Observateur, Lire, Marianne…Sa série en BD transposée en série d’animation: Silex and the City (chez Dargaud) est un énorme succès. Il est aussi l’auteur du Guide du Moutard : Pour survivre à 9 mois de grossesse (2007, Prix René Goscinny), Platon La Gaffe (2013)…
Il croque des grenouilles depuis 1986 en pensant à Ranelot et Bufolet ou à Kermit du Muppet Show. Cet animal est donc arrivé naturellement au bout de son crayon. Il l'a posé sur des feuilles de nénuphar un peu comme ces doudous remplis de grains de riz dont la forme s'arrondit dans la main.
Vous aimerez ce livre :
- pour les courbes de ces bestioles,
- pour le coté sciences nat discret, mais présent (il est question de crapaud-buffle, on apprend que le héron est le prédateur des grenouilles),
- pour les allusions à l'univers des adultes. Ainsi Karl Lagerfeld est représenté en pleine création en compagnie d'un assistant qui brandit un téléphone (on se souvient qu'il avait surnommé la jeune génération les "téou" en référence à la première question que l'on pose en décrochant : t'es où ? sans même dire allo)
- pour les différents niveaux d'humour, visuel (la grenouillère haute couture sur une riche grenouille, les pattes du héron que l'on devine entre les roseaux), textuel (demain on fêtera Saint Kermit) , de répétition (mais mon père / moi mon père)
- pour la leçon de morale qui condamne la vantardise en donnant un coup de plumeau au proverbe tel est pris qui croyait prendre.
Jul ne manie pas seulement le crayon avec dextérité. Il utile la ponctuation à bon escient. Les grenouilles, et plus tard les hérons, sont comme des enfants qui ne finiraient pas leurs phrases sous le coup de l'émotion. Les trois petits points prennent une valeur de suspense et d'emphase.
La surenchère semble sans limite. L'épate enfle. Il est vrai qu'un enfant de 5 ans est crédule ... jusqu'à un certain point ... d'exclamation. Quand la grenouille révèle que son papa est un héron elle est gonflée d'orgueil comme l'amphibien de La Fontaine qui voulait être plus grosse qu'un boeuf. Mais ça ne passe plus et nous avons droit à un petit cours de biologie.
Le héron est un animal qu'on peut facilement voir dans l'univers urbain. Dès qu'il existe une jardin d'eau il se pose et pêche son repas en se régalant de petits poissons comme celui-ci qui traverse le pont à quelques mètres d'une route à grande circulation.
Ce livre est peut-être plus proche de l'album que de la BD, dont on sait que le schéma de lecture est des plus complexes et sans doute peu accessible à de très jeunes lecteurs. De toute façon ce n'est pas un livre à découvrir seul. Les adultes y prendront un plaisir comparable à celui que Claude Ponti a réussi à leur procurer en dessinant des scènes à leur intention.
Une fois l'histoire dite vous pourrez laisser le livre continuer sa vie entre les mains des enfants. Prenez le temps de les écouter, discrètement, reprendre l'aventure à leur compte et avec leurs propres mots. J'adorerais qu'il y en ait un qui dise moi ma mère ... parce qu'il n'y a pas que les mecs qui puissent être des héros tout de même !
Mon père ce héron, de Jul, Rue de Sèvres, sortie en librairie le 14 mai 2014
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