Finis les Chagrin d'école et autres lamentations, voici quelques bonheurs littéraires à croquer avec des yeux tout neufs.
Je pourrais dire que les lignes qui suivent n'engagent que moi. Mais vous n'imaginez tout de même pas que j'ai déjà dévoré l'essentiel de la production qui vient d'arriver sur les rayons des libraires. J'ai plutôt écouté les avis de bibliothécaires averties (pardon pour le féminin pluriel mais il n'y avait pas d'hommes parmi elles le vendredi 19 septembre à la
Médiathèque d'Antony ) dont je vais rendre compte ici. Je compte sur vous, lecteurs du blog, pour donner vos points de vue et affiner l'analyse.
D'abord, les ouvrages dont on parle partout ...
Difficile de ne pas commencer par deux auteurs ultra-médiatisées, Catherine Millet avec
Jour de souffrance, et Christine Angot (défendue par Catherine Clément sur France Culture). On peut s'énerver du déballage qu'elles font de leur vie privée. N'empêche que Christine Angot ne mérite pas qu'on s'acharne sur elle parce qu'elle dénonce les travers du milieu littéraire. C'est sûr que s'amouracher de Doc Gynéco, sympathisant sarkosyste, n'est pas du tout du goût de certains snobs ultra-branchés de la Rive gauche, au sens propre comme au sens figuré. Cette femme a du culot et du talent. Elle nous livre avec
le Marché des amants, une autofiction à clés (Bruno c'est le Doc) que l'on s'arrache et on boit ses confidences comme du petit lait.
Il semblerait que la sortie du Nothomb nouveau ait épuisé sa capacité à créer la surprise tant nous sommes habitués au phénomène qui revient chaque mois de septembre avec une régularité climatique. C'est pourtant, dit-on, une bonne cuvée et...
Le fait du prince procure un vrai plaisir de lecture, mais sans enthousiasme.
Alice Ferney est sélectionnée pour le Prix Femina. J'entends dire qu'on a abandonné la lecture de son
Paradis conjugal au bout de 40 pages. Il va falloir que je m'y mette ... Vous pouvez regarder une interview de cet auteur
ici. Les réactions sont mitigées aussi pour Laurent Gaudé et
la Porte des enfers ...
Olivier Rolin est sur les listes de pré-sélection pour les prix littéraires. Son
Chasseur de lions retrace des péripéties rocambolesques mais il comporte de très belles pages sur le peintre Manet.
La critique s'emballe pour Tristan Garcia et son premier roman,
la Meilleure part des hommes, autre roman à clés qui cette fois flatte l'ego des bobos dans le bons sens. Ce serait le plus gros tirage enregistré depuis les Bienveillantes. On salue aussi Richard Ford et son
Etat des lieux qui est l'interrogation d'un agent immbolilier sur le sens de sa vie. Un énorme livre qui sera peut-être le pavé de l'automne dans la crise immobilière qui est en train de se profiler.
Régis Jauffret fait polémique avec
Lacrimosa. Le travail d'écriture est inventif et le récit est perçu comme un hommage à la vie malgré un sujet peu engageant à première vue (échange épistolaire entre un narrateur et sa compagne qui vient de se suicider).
Sur la plage de Chesil de Ian Mc Ewan nous plonge dans l'Angleterre puritaine des années 60 en racontant une effroyable nuit de noces entre des protagonistes qui ne se parlent pas et ne se comprennent pas davantage. Comment deux êtres qui n'appartiennent pas au même monde pourront (ou pourraient) s'accorder ?
Sasa Stanisic est un jeune auteur de 23-24 ans qui réussit la prouesse de raconter la guerre avec toute la magie et la poésie dont seul un enfant est encore capable.
Le Soldat et le gramophone est un roman enchanteur qui inspire la comparaison avec l'univers du cinéaste Emir Kusturica. Un premier livre dont la presse parle beaucoup.
Après
Ouest, primé Livre Inter 2007, François Vallejo publie l'
Incendie du Chiado, qu'on annonce encore meilleur.
Maintenant, les ouvrages dont on parle aussi ...
Delphine Bertholon, 32 ans, maitrise de lettres, scénariste, explore le syndrome de Stockholm au travers d'un journal intime à trois voix. Le ton sonne juste, qu'il s'agisse du point de vue de l'un, de l'une ou de l'autre. Il est facile de se télétransporter dans chacun des personnages, y compris même dans celui du ravisseur. Le sujet grave (un rapt d'enfant) est traité avec délicatesse. Evitant la danse macabre,
Twist se lit comme on chorégraphie une tarentelle, en véritable ode à la vie et à l'intelligence. Un livre dont je n'ai (déjà) fait qu'une bouchée et que j'aurais envie de poser sur l'étagère juste à côté de
No et moi de Delphine de Vigan. C'est probablement parce qu'elles sont de la même génération que les deux auteures portent le même prénom. Elles ont une fluidité de style tout à fait comparable, une écriture moderne, un ton alerte qui ne s'embarasse pas de métaphores ampoulées. Leurs héroïnes sont des jeunes filles surdouées qui ont le sens de la famille, même quand elles ont le moral au fond de ... leurs Converses. Parce que le
paraître ne doit pas être sacrifié pour l'
être, quoiqu'il advienne.
Encore un roman familial, de qualité et plaisant à lire, avec
le Brillant avenir de Catherine Cusset, futur phénomène éditorial d'un niveau comparable à l'Elégance du hérisson.
Fidèle à son art de la caricature et à ses tournures humoristiques, Jean-Paul Dubois nous propose ses
Accomodements raisonnables.
2666 est le roman posthume de Roberto Bolano que l'on dit être un des auteurs majeurs de l'Amérique du Sud. Une profonde réflexion sur le mal.
Mémoire du vide, de Marcello Fois est le grand coup de cœur de l'équipe. Élaborée comme une tragédie grecque, c'est la vie incroyable d'un bandit sarde qui nous est donné et qu'on aurait envie de lire à haute voix tellement la langue est belle.
Le très poétique
Amour des Maytree apparaitra comme un superbe roman à quiconque dépassera le prologue (peu utile nous dit-on).
La traversée du désert d'Isabelle Jarry est également salué. Une auteure plutôt discrète qui vient d'être interviewée par Nicolas pour son blog, que je vous invite à écouter
ici.
Virginie Ollagnier raconte la vie d'un émigré russe blanc dans un très beau roman,
l'Incertain, qui succède à
Toutes ces vies qu'on abandonne.
Russie toujours, mais féminine cette fois, avec
Un jour avant Pâques, de Zoyâ Pirzad qui retrace avec nostalgie une enfance entre une maman russe et un père arménien. Une écriture douce et raffinée, moins dialoguée que le précédent
On s'y fera.
Morne Câpresse est le premier roman de Gisèle Pineau. Elle évoque la drogue, la prostitution, l'esclavage qui sont autant de facettes douloureuses de la Guadeloupe d'aujourd'hui.
La reconstruction est aussi un premier roman, d'un cinéaste américain de 61ans qui écrit dans une langue (le français) qui n'est pas sa langue maternelle. En nous parlant de l'Allemagne qui doit se relever de la guerre Eugène Green fouille sa propre existence. Un roman très fort qui n'est pas sans rappeler
le Boulevard périphérique d'Henry Bauchau.
Atiq Rahimi est afgan. Mais il habite en France et écrit lui aussi en français.
Syngué sabour : pierre de patience traite de la condition féminine dans son pays d'origine. Un livre déjà sélectionné par les libraires.
Autre héro de la cinquantaine, Richard Novak, spéculateur boursier, divorcé et hypocondriaque, va décider de se reprendre en mains sans craindre d'affronter de multiples péripéties, avec humour et fantaisie. Le sujet est grave mais il est traité avec dynamisme et il parait qu'on se surprend à ralentir le rythme de sa lecture pour rester le plus longtemps possible en sa compagnie. 500 pages qui s'avèrent trop courtes pour
Ce livre va vous sauver la vie.
Dans un tout autre genre,
Ailleurs de Julia Leigh. Un tour de forces en 100 pages seulement (c'est étonnant comme les livres peuvent être ainsi pesés comme si quantité et qualité devaient s'accorder ou se disjoindre) sur un sujet difficile, inénarrable (donc je ne résumerai pas l'intrigue) mais où le pathétique s'efface au profit de l'empathie.
- Mais t'y croies pas une seconde ? interroge la collègue
- Si !
Nous promettons d'en débattre ...
Autre premier roman que
les Bains de Kiraly, de Jean Mattern, écrit en un été, et dont le Monde des Livres fait déjà l'apologie.
Philippe Mercier est un écrivain suisse qui écrit en allemand. Ce prof de philo travaille sur l'articulation entre l'échec et le succès, un sujet qui le touche personnellement puisque son père a composé des symphonies qui n'ont jamais été jouées. Il publie sous pseudonyme,
l'Accordeur de pianos, ce qui lui donne probablement davantage de liberté d'expression. Son enquête sur la quête de soi se lit comme un thriller à condition de passer le cap des 100 premières pages. (je 'ai emprunté et vous dirai bientôt si j'ai réussi à le dépasser). Son précédent ouvrage,
Train de nuit pour Lisbonne avait reçu plusieurs récompenses.
Nuala O'Faolain nous offre son dernier roman,
Best love Rosie, dont le titre résonne comme un adieu. L'humour est toujours aussi incisif, ultime preuve de la vitalité qui caractérise les cinquantenaires en cette rentrée littéraire.
Haruki Murakami est un auteur dont les livres passent sans répit d'un lecteur à l'autre.
Saules aveugles, femme endormie est un recueil de nouvelles très oniriques. On est heureux qu'après avoir traduit Fitzgerald, Irving et Chandler, il se soit lancé lui-même dans l'écriture tant son univers est fantastique. La traduction des ouvrages précédents était inégale et réflétait mal la pureté et la sensibilité de l'écriture. On espère que cette fois l'osmose sera plus intime.
Et ceux dont il aurait fallu dire quelques mots ...
L'année de l'éclipse de Philippe de la Genadière, encore un livre sur la crise
existentielle des quinquas, l'Inaperçu de Sylvie Germain qui traite des secrets de famille, Comme Dieu le veut, de Niccolò Ammaniti, et puis le couronnement de Jean-Marie Blas de Roblès pour son livre publié chez Zulma,
Là où les tigres sont chez eux, sorti le 19 août, Prix du roman Fnac 2008 et bien sûr déjà en réimpression, et
Le silence de Mahomet de Salim Bachi, sélectionné pour le prix Goncourt. Bref, une rentrée très riche qui nous laisse une belle pile de livres sur la planche.
Et pour faire "glisser" ces nourritures intellectuelles je vous livre une recette facile, de
canette rôtie à la betterave qui m'a été soufflée à l'oreille ce matin par la maraichère à qui j'achetais des betteraves crues. Un client venait de lui confier qu'il les fait cuire, non pas une heure à l'eau bouillante comme je le fais basiquement, mais rôties au four avec de la canette. Sur le ton du secret elle m'explique qu'il faut bien frotter la viande avec force sel et poivre, poser dessus les betteraves épluchées, mettre le couvercle sur la cocotte et enfourner une heure.
- C'est tout ?
- C'est tout !
C'était tentant pour moi qui voulais justement que le repas cuise sans que j'intervienne (pour avoir le loisir d'écrire ce compte-rendu tranquillement). La seule chose un peu pénible c'est l'épluchage des légumes, plus durs que des pommes de terre et qui même crus, rosissent les mains. Voici le plat avant d'enfourner :
Prévoyant une réticence masculine à goûter quelque chose de nouveau j'ai, par sécurité, peleéquelques patates que j'ai coupées en deux avec un oignon, un éclat d'ail et une feuille de laurier, avant de les mettre au four dans un second plat à gratin.
Au final j'obtins ce résultat tout à fait intéressant
et plutôt gouteux, avec de jolies couleurs automnales or et rouge cardinal dont la photo ne rend pas fidèlement compte, mais qu'importe ...