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jeudi 4 février 2010

Le Révizor par la troupe Kolyada

Retenez bien ce nom : Kolyada. C'est le dieu des fêtes et de la paix. C'est aussi le patronyme de Nikolaï, le grand patron d'une troupe de théâtre russe privée, dont la tournée en France, dans le cadre de l'année croisée France-Russie est organisée par la maison de production du Théâtre Romain Rolland entre le 14 janvier et le 13 février avec trois spectacles : le Révizor, Hamlet et le Roi Lear.

La troupe avait déjà effectué un voyage remarqué en France dans le cadre du festival Passages de Nancy en mai dernier mais je ne l’ai découverte qu'aujourd’hui, au Théâtre Firmin Gémier d’Antony (92) où elle donnait le Révizor.

Nicolaï Kolyada est le patron d’un théâtre privé, installé dans la grande ville d’Ekaterinenbourg, ville natale de Boris Eltsine, au bord de l’Oural, au cœur de la Sibérie. Les spécialistes estiment à juste titre que c'est une des figures les plus importantes du théâtre russe contemporain. Sa réputation est déjà internationale. Le quinquagénaire souriant a débarqué avec « troupe et bagages » sans bouder sa joie d’être si bien accueilli en France et de pouvoir offrir à son collectif des conditions de travail plus agréables que celles qu’il connait dans son pays.

C’est un homme qui fait preuve d’une telle détermination que le malheur, sans doute intimidé, finit par laisser la place à la chance. La salle (anciennement dévolue au KGB) qu’il occupait dans le sous-sol d'un restaurant, a été plastiquée par la mafia locale en 2006, qui voulait la récupérer. Depuis il occupe une isba romantique, cédée par la municipalité, tout en bois ourlé, semblant sortie d'un vieux roman russe, coincée entre des immeubles modernes, dans la rue Tourgueniev.

Avec sa troupe (60 personnes, dont 32 acteurs), Nikolaï Kolyada a abattu des cloisons et aménagé une salle de 50 places, avec une scène de 6 mètres sur 6, sans cintres mais avec des portes au fond et sur les côtés. C'est là que les représentations ont lieu, plus de dix fois par semaine, et la plupart du temps à guichets fermés, malgré le prix élevé (environ 10 euros) pour les habitants qui viennent voir ce que les salles officielles ne leur offrent pas.

Il prétend n’avoir reçu aucune formation de metteur en scène et travailler suivant son intuition. Il dit modestement faire de son mieux ce qu’il peut mais il peut beaucoup parce qu’il a un talent insensé. Et aussi une très belle équipe, avec d’excellents comédiens et des gens honnêtes, ce qui est une chance très rare en Russie dit-il sérieusement.

Auteur, acteur, pédagogue, metteur en scène, Nikolaï Kolyada est un artiste inclassable mais authentique et furieusement indépendant, très respectueux du spectateur. Les jaloux considèrent qu’il a créé une secte. La vérité est que la troupe fonctionne comme une famille.

Il a conscience que si le spectateur vient au théâtre, en acquittant un prix assez important, c’est d’abord pour rire. Se comparant à Gogol, il les bouscule et provoque les pleurs dès qu’il leur demande : de quoi vous moquez vous ?

Il sait depuis longtemps que la vie c’est toujours une bataille, pour une chose ou une autre.
Il a eu très souvent envie de fermer le théâtre, mais le soutien de sa troupe l’a jusqu’à présent retenu. Il parle du théâtre avec lyrisme : Le théâtre doit donner de l’espoir. Il faut croire que ce soir on se reposera et qu’on verra le ciel couvert de diamants. La cerisaie est notre jardin. On jugera mon travail dans 25-50 ans, ce n’est pas à moi de le faire maintenant.

Son théâtre ne s’adresse pas à la raison mais aux sentiments, cherchant à faire rire et pleurer. Sans plus d’ambitions. Cela n’empêche pas un théâtre d’art avec une abondance d’effets scéniques. Le souci de l’effet, de l’apparition, est constant, visuellement très riche alors que le décor et les accessoires sont essentiellement des matériaux de récupération.

La scène est cernée de reproductions décadentes : de grands tissus imprimés de tigres, de cygnes, des serviettes de bains illustrées de chats, tout est dégoté au marché local. Par terre, posés sur des palettes, quelques tableaux trouvés sur des poubelles. Au centre, une sorte de lopin de terre noire symbolise autant le cimetière où les femmes bénissent une tombe fraiche qu’un jardin où elles plantent les bulbes d’oignons. Cet humus est aussi la métaphore de l’argent mal gagné. C’est également la souillure de la corruption et de l’avilissement sexuel. Les costumes aussi obéissent à la règle de la récupération. Certains vêtements proviennent d’une église.

L’ensemble est kitsch, baroque, hors du temps. Nikolaï Gogol, dénonçait en 1836 une Russie corrompue mais le texte demeure de portée universelle, hélas. Dans la réalité les révizors étaient des hauts fonctionnaires que le gouvernement de Nicolas 1er, soucieux de renforcer le contrôle de la machine administrative envoyait en mission secrète d’inspection sur tout le territoire de l’Empire. Les abus de pouvoir n’ont pas disparu. Le jeu est sarcastique, faisant cohabiter la comédie au sein de la tragédie. L’entendre en russe (surtitré) donne davantage de résonance au propos. On se surprend, comme au cinéma, à saisir au vol quelques expressions. Il est clair que le Revizor cherche à venir « incognita » (incognito) et on comprend vite que tout ce qui est traité de « français » n’est pas très glorieux. Mon seul regret est que les chants des matriochkas n’aient pas été traduits.

Les acteurs sont chanteurs, danseurs et comédiens. Le spectacle commence par des chansons et est rythmé par une musique d’orchestre de cirque digne des plus célèbres parades. Les danses sont exécutés à pieds nus. Si Nikolaï Kolyada se défend d’avoir des stars il a tout de même un acteur-fétiche. Oleg Yagodine est éblouissant de vitalité dans le rôle du Révizor.

Vous pouvez encore voir ce spectacle et/ou Hamlet en vous reportant au Calendrier de la tournée :
Vendredi 5 février, Théâtre Jean Arp – Clamart (92) / Hamlet à 20h30
RESERVATION : 01 41 90 17 02

Dimanche 7 février, Théâtre des Bergeries – Noisy-le-Sec (93) / Le Revizor à 16h
RESERVATION : 01 41 83 15 20

Mardi 9 février, Espace Jules Verne – Brétigny-sur-Orge (91) / Le Revizor à 20h30
RESERVATION : 01 60 85 20 85

Jeudi 11 février, Théâtre de l’Onde – Vélizy-Villacoublay / Hamlet à 20h30
Vendredi 12 février, Théâtre de l’Onde – Vélizy-Villacoublay / Le Revizor à 20h30
RESERVATION : 01 34 58 03 35

Samedi 13 février, Centre Culture Lino Ventura – Athis-Mons / Le Revizor à 20h30
RESERVATION : 01 60 48 46 18

Mention spéciale au Théâtre de l’Onde qui accueille la troupe deux soirs consécutifs - 8 bis av Louis Breguet- 78140 VELIZY VILLACOUBLAY www.londe.fr
Tél.: 01.34.58.03.35 Fax : 01.34.58.03.36 labilletterie@londe.fr

Photo Eric Didym.

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