J'ai cru que le scénario de Malika Ferdjoukh était un peu tiré par les cheveux. Le début est peu crédible, avec ce licenciement d'un cuisinier parisien pour avoir élevé la voix sur son patron qui s’était permis de gifler son fils Harry... je me suis demandée comment elle allait s'en sortir. Mais très bien ! Et si ce livre est soit-disant destiné à des collégiens, il a vraiment su me plaire.
Une fois le concours de circonstances accepté, le lecteur est, lui aussi, au coeur d’un tournage du grand Alfred Hitchcock en personne. Alors qu’il a juré de respecter le secret, Harry, le fameux fiston qui se trouve avoir davantage la passion du cinéma que celle de la cuisine, s’introduit en catimini sur le plateau. Tout se complique quand l'adolescent, tombé amoureux de l’actrice principale, décide de visionner la bobine comportant des scènes du futur film et que personne ne devrait voir avant l'approbation du maître.
J'espère que les jeunes lecteurs repéreront les références au cinéma américain des années 50-60 en général et à Hitchcock en particulier. Il n'est pas évident de comprendre que le tournage n'a pas réellement eu lieu si l'on sait que James Matthew Barrie est bien le créateur du personnage de Peter Pan et qu'il a effectivement écrit une pièce de théâtre intitulée « Mary Rose ». Ce projet fut quand même une des obsessions du cinéaste qui ne parvint jamais à l’imposer à ses producteurs.
Quant à la nouvelle patronne du père du garçon, Lina Lamont, peu de gens doivent savoir aujourd'hui que ce fut une grande star du muet, héroïne de Singing in the rain. Les péripéties orchestrées dans le roman évoquent celles de la Mort aux trousses. Rien n'entrave la lecture si on ne le remarque pas, pas plus que si on ne comprend pas que les noms de lieux et des personnages sont systématiquement associés au cinéma hitchcockien.
Malika Ferdjoukh voue une passion au 7ème art. Elle s'était déjà inspirée d'une œuvre d’Hitchcock avec Sombres Citrouilles qui reprenait sur le mode parodique les situations de Mais qui a tué Harry ? Je suis si souvent dans les salles obscures (le dernier film chroniqué en avant-première sur le blog quelques jours avant sa sortie nationale est Violette de Martin Provost) que je la comprends. Les décors de son livre sont totalement crédibles. On jurerait qu'elle a passé plusieurs années dans les studios d'Hollywood. Et chaque titre de son roman est inspiré d'un titre de film du grand Hitchcock. De même, l'illustration de couverture de Séverin Millet est très réussie, dans la lignée des comédies américaines, même s'il démarre et se clôture dans les brumes mélancoliques écossaises.
Il manque à ce livre une annexe récapitulant la filmographie d'Alfred Hitchcock. Car même si ce n'est pas un roman à destination pédagogique on peut tout de même espérer qu'il sera suggéré aux élèves dans les CDI.
La bobine d’Alfred de Malika Ferdjoukh, Ecole des Loisirs, 24 octobre 2013
4 commentaires:
J'attire gentiment votre attention sur le fait qu'il ne s'agit absolument pas d'un scénario mais bien d'un roman.
Que par ailleurs, "Qui a tué Harry" étant déjà une parodie, il était difficile de faire la parodie d'une parodie.
Que "Sombres Citrouilles" n'a absolument rien à voir avec les situations de "Qui a tué Harry". Le 1er chapitre du roman n'étant qu'un simple clin d'œil, ou hommage, à la 1ère scène du film. Cela s'arrête à ça.
Merci beaucoup pour cette chronique qui laisse néanmoins perplexe. Bien cordialement.
Malika Ferdjoukh
J'ai bien vu que c'était un roman !!!!! Il y a 3 fois le mot livre dans le billet et 3 fois aussi le mot roman. L'emploi du mot scénario est un effet de style. Et je ne le retire pas.
Il aurait été plus juste d'écrire "trame" ou "intrigue", "argument" ... mais comme je ne rédigeais pas un devoir de français je n'ai pas eu peur d'utiliser scénario sachant que n'est pas du tout exclusif du monde du cinéma.
Quand on parle de scénario économique on aimerait d'ailleurs que ce soit du cinéma.
En précisant que j'ai cru que c'était tiré par les cheveux je m'amusais là encore avec le double sens du mot "bobine". dans un autre contexte je n'aurais pas fait cette remarque qui, prise au premier degré, ne serait pas amusante;
Enfin je ne sais pas pourquoi la chronique "laisse perplexe". Je ne suis peut-être pas assez enthousiaste quand j'écris que le livre a vraiment su me plaire et qu'il dépasse son lectorat initial de collégiens ?
Merci en tout cas de votre message car je ne doute pas de sa sincérité.
Pas plus tiré par les cheveux que "La Mort aux trousses" ou que "Les 39 Marches" de l'Alfred en question. "La Bobine d'Alfred" est donc ainsi en plein dans son sujet et se nourrit de la thématique du réalisateur.
Ce roman est complètement imprégné du fameux " Mac Guffin" hitchcockien (cité au dernier chapitre et livré comme une clef).
Mac Guffin qu'on peut résumer par : "On se fout complètement du Pourquoi, ce qui intéresse c'est le Comment".
Or, la forme du roman, ce couple en fuite, leurs rapports mi-figue mi-raisin, l'écriture rythmée, la "nostalgie joyeuse" qui baigne l'ensemble, les thèmes du regard, du point de vue, et de la culpabilité, l'ironie des dialogues, tout cela rappelle à l'évidence la mise en forme (le "comment") des films du maître!
La forme de ce roman est directement liée à son sujet. Il l'induit même. Si le roman était un hommage à Pialat ou Doillon, sa forme et son écriture seraient sous l'influence de ses sujets (plus réalistes, mettons, si on pense que Pialat ou Doillon sont des auteurs réalistes et vraisemblables, ce qui n'est pas prouvé).
L'adéquation du sujet et de la forme, c'est beaucoup plus intéressant, plus riche, que de se demander si telle situation (tel "pourquoi") est platement possible ou probable. Il vaut mieux se demander si c'est ça qui intéressait l'auteur. On ne se place pas dans la même perspective, ni dans la même zone de lecture.
Personnellement, je me moque royalement du réalisme si l'auteur a installé son récit sur une fréquence ou une direction différente.
C'est le cas ici.
Tout y est, de toute façon, improbable, et c'est tant mieux. "La Bobine d'Alfred" se garde bien (et s'en défend même!) de se situer dans le réalisme. C'est un récit rapporté à travers le temps, donc déformé par ce temps et le regard idéalisé de son narrateur.
Quand on regarde de près les trames des films d'Hitchcock, ils sont tellement improbables, tellement tirés par les cheveux qu'on comprend pourquoi ce sacré Alfred était chauve! Malika Ferdjoukh semble, quant à elle, en avoir encore plein sur la tête !
Quant à votre"jeu de mots" cité dans cette chronique, n'est-il pas un peu... tiré par les cheveux?
On ne se situe plus sur le registre du commentaire mais carrément de l'article. En tout cas merci pour ce complément finement analysé.
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