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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 4 décembre 2024

JADIS, Châtenay-Malabry de 1870 à 1930

Le Pavillon des Arts et du Patrimoine de la Ville de Châtenay-Malabry (92)  propose "Jadis", une nouvelle exposition, absolument passionnante, permettant de découvrir la ville telle qu’elle était il y a cent ans. 

Il faut saluer le travail entrepris pendant deux ans à collecter un millier de cartes postales et de négatifs sur verre auprès d'institutions et de particuliers, à les inventorier, les classer, les sélectionner en retenant les plus expressives (un peu plus de 250), et enfin écrire et maquetter un texte de présentation.

Je ne suis pas nostalgique du passé mais je la trouve si attrayante que j’aimerais qu’une baguette magique me permette de remonter le temps, l’espace d’une journée, pour profiter et de la campagne à la ville et de ses guinguettes. 

Ce sont les premières empreintes visuelles des lieux qui ont façonné une époque. le grand-père et la petite fille dont il tient la main et qui a été choisi pour illustrer le livre et l'exposition sont des anonymes qui ont été saisis dans le Parc de la Roseraie, dont le Département des Hauts-de-Seine a acheté récemment les 8 hectares pour les ouvrir au public en 2025. Aucun d'eux ne pourrait témoigner aujourd'hui. Si on retrouvait leurs descendants ce serait quelque chose comme 7 générations plus loin. Ce cliché témoigne de la fragilité de la vie mais aussi d'une certaine forme de continuité. On remarquera que derrière le sourire il y a sans doute une certaine tristesse puisque l'homme porte le brassard du deuil au bras gauche. Il semblerait que son pantalon soit troué au-dessus du genou droit. Est-ce un vêtement de travail qui porterait l'usure de travaux agricoles ou d'entretien d'un jardin ?

Je ne m’étais jamais penchée sur l’apparition de la carte postale. A la réflexion il est logique qu’elle soit postérieure à l’invention de la photographie. C’est donc un moyen de communication relativement récent et qui n'aura pas duré très longtemps car on peut parier que les photos publiés sur les réseaux sociaux ont détrôné ce média.

Aucune ne rendra probablement compte d'autres évolutions intervenues sur la commune, comme l’installation en 1969 de l’Ecole centrale sur un immense terrain qui lui aussi a connu un changement radical avec la construction de 2200 logements où vivent déjà environ 1200 habitants. Il faudra sans doute recourir à d'autres images que les cartes postales pour réactiver les souvenirs.

Revenons en arrière. Tout a commencé avec les héliogravures, faite sur une plaque en métal recouverte de gélatine et sur laquelle le cliché apparait. Une fois la plaque posée sur du papier l'image apparait en noir et blanc. Le bromure a permis plus tard de reproduire l'image toujours en noir et blanc, sur un papier spécial, mais avec des détails plus précis. Ultérieurement on pensa à ajouter des couleurs sur les images pour obtenir des cartes colorismes qui furent très populaires. Ce sont les ancêtres de la carte postale et l'exposition explique cette évolution de façon très pédagogique.

Les concepteurs ont travaillé sérieusement mais avec humour en disposant quelques spécimens sur le sol pour inciter les visiteurs à suivre tout le parcours, y compris au premier étage. Ou en installant çà et là une pluie de cartes suspendues qui donnent envie de les saisir pour les observer de près.

Toutes les cartes exposées et mises en scène sont des témoins de leur époque. On s’intéresse aux modifications architecturales et on est surpris de voir les prairies sur les coteaux mais elles sont aussi le reflet d’un mode de vie disparu.

D'un siècle où les habitants se déplaçaient à pied, à vélo ou à cheval. il existait des services "hippomobiles "publics ou privés, à savoir fiacres, caresses et omnibus tirés par des chevaux. On n'y pense pas mais l'invention du pneumatique (en 1888 par John Boyd Dunlop) pour acquérir un avantage concurrentiel en course cycliste a été utile pour out le monde en popularisant la pratique cycliste. Mais l'arrivée de la voiture automobile individuelle modifia toutes les pratiques, faisant disparaitre progressivement l'emploi des chevaux et … du tramway en 1888 … lequel est de nouveau présent sur le territoire depuis juin 2023.
D’une époque où les draps blanchissaient en plein air (et c'est une jolie idée d'avoir installé un mannequin en costume de lavandière), où les bûcherons avaient leur cabane dans le bois de Verrières, où on allait quotidiennement chercher son lait à la ferme voisine, par exemple dans le bois de Verrières où l'on promettait "du lait à toute heure", sur la route de Versailles qui était alors bordée de champs (devenue Avenue de la Division Leclerc) ou encore chez la famille Boyer située sur la Grande rue, aujourd’hui rue Jean Longuet … et dont il subsiste encore une bouteille en verre pour y verser le précieux liquide.
… où on guettait le passage du rémouleur sur la place de l’église, où on se laissait tenter par les articles des vendeurs ambulants (Amazon en a repris le principe), où les pépinières Croux étaient les plus grandes de France (aujourd’hui Arboretum du Département des Hauts-de-Seine et établissement Truffaut).

… d'un centre ville où résonnaient les martèlements des maréchaux-ferrants, des selleries, et qui bruissait de l'activité des menuisiers, grainetiers, cafés, marchands de tabacs et épiceries.

… de grands espaces verts qui étaient aussi des lieux d'exploitation de pépiniéristes et de jardiniers.

Il y avait autrefois un restaurant juste en face de l'entrée actuelle conduisant à la maison de Chateaubriand, et dont les murs restent tout à fait reconnaissables. Et Malabry, parfois orthographié Malappris, était le nom d'une ferme 
La culture n'a de sens que si elle est partagée pour rêver ensemble dira Carl Segaud, le maire de Chatenay-Malabry. Voilà pourquoi un ouvrage (en vente au Pavillon), dont le titre reprend l'intitulé de l'exposition, permet aux intéressés de consulter tranquillement les clichés et de prendre le temps de les restituer dans leur univers familier. Je savais que la mairie avait déménagé plusieurs fois, ayant d'ailleurs fait halte un moment dans ce Pavillon des arts qui est un bâtiment XVIII°. Mais j'ignorais par exemple que la Poste avait autrefois occupé une maison - à l'angle de la rue Colbert et de la rue Jean Longuet- qui est maintenant la propriété de particuliers.

Ce livre apporte des compléments d'information en reprenant aussi les messages écrits au verso de ces cartes qui, ne l'oublions pas, étaient utilisées pour communiquer avec famille et amis.

L’exposition couvre la période 1870-1930 et beaucoup d'actions ont été entreprises ensuite. Je crois savoir que d'autres expositions, et sans doute d'autres livres nous aideront à faire revivre les époques suivantes et poursuivre la conversation commencée avec le passé.

JADIS de 1870 à 1930
Du 3 décembre 2024 au 4 janvier 2025
Au Pavillon des Arts et du Patrimoine - 98 rue Jean longuet - 92290 Châtenay-Malabry 
Entrée libre, les mardi et vendredi de 14h à 18h
Mercredi, jeudi et samedi de 10h à 12h30 puis de 14h à 18h
Nombreuses animations et médiations culturelles programmées notamment avec les écoles et centres de loisirs.
Une visite et un atelier tout public sont annoncés le samedi 14 décembre de 10 à 12 heures.

lundi 2 décembre 2024

Vingt dieux, film de Louise Courvoisier

Un mois s’est écoulé depuis la proposition de l’AFCAE de découvrir un film-surprise, en l’occurrence Le Royaume, premier film d’Yvon Colonna. Et c’est encore un premier long-métrage que j’ai pu voir ce soir au cinéma Le Rex de Châtenay-Malabry. Après la Corse, nous avons plongé dans une autre réalité, celle du fromage Comté AOP et de ses producteurs.

Le film démarre par une image insolite (un veau debout sur le siège avant d'une voiture) et le titre apparaît après un très long plan séquence suivant la nuque d'un homme transportant un fut de bière en se faufilant entre les stands d'une fête agricole.

Louise Courvoisier a donné comme titre à son oeuvre une exclamation que j’ai beaucoup entendue dans les milieux ruraux de l’Est de la France pour exprimer aussi bien la colère que l’admiration ou une grande surprise. Ceux qui ne veulent pas choquer emploient grands dieux et d’autres s’écrient sacrebleu ou crevindiou.

Quoiqu’il en soit Vingt dieux a été créé par opposition à un dieu unique (et tout puissant) ou encore vain dieu (indiquant que dieu n’existe pas en réalité). Mais ce juron blasphématoire peut aussi s’écrire "vin dieu". Il résonne alors vivement avec le travers des personnages de boire plus que de raison mais je ne sais pas si la réalisatrice avait noté cette collusion.

En tout cas le ton est donné dès les premières images. On fume et on boit jusqu’à l’enivrement et les conséquences vont vite être désastreuses, provoquant la perte de contrôle de ses pulsions, entraînant de violentes bagarres et, pire que tout, un accident mortel. Et ce ne sont pas les parents qui donneront le bon exemple !

Comme on le voit sur l’affiche du film, Totone (Clément Faveau), 18 ans, est plus intéressé par l'idée de s’exhiber sur une table et d'amuser la galerie les fesses à l'air en chantant la danse du Limousin, que par celle d'aider son père à la fruitière familiale.  Pour le moment la fête est ensoleillée mais la façade va se fendre.

A l’instar des contes de fées dans lesquels les héros doivent surmonter des épreuves, les personnages n’ont personne sur qui prendre appui, si ce n’est les amis de leur génération, et nous verrons que leur soutien n’est pas acquis d'avance ni infaillible. Les familles sont éclatées, devenues majoritairement monoparentales, sans grands-parents, oncles et tantes ni mères de famille pour donner un cadre éducatif un peu stable. C’est la pire des catastrophes lorsque le père meurt prématurément, changeant brutalement la donne, obligeant Totone à prendre soin de sa petite sœur Claire (Luna Garret), et à gagner sa vie. Il lui faudra alors se recentrer sur le premier cercle, à savoir les amis.

Née à Genève en 1994, Louise Courvoisier est fille de musiciens professionnels (qui signent la bande du film) reconvertis dans l'agriculture. Elle a grandi à Cressia, petit village du sud du Jura (39). Adolescente, elle s'en est éloignée pour apprendre le cinéma et travaillera plus tard sur plusieurs tournages avant de se lancer dans la réalisation d'un court-métrage très remarqué, Mano a Mano, qui plonge dans l'intimité d'un couple d'acrobates circassiens après un accident qu'elle filme en témoignant de leurs efforts et de leur créativité. Il a obtenu le prix du jury Ciné Fondation du festival de Cannes 2019. Dans un moyen-métrage documentaire, Roule ma poule (2020), elle suivait, à travers les villages jurassiens, le quotidien de la petite troupe de cirque fondée avec ses parents, ses frères et sa soeur.

La voilà ensuite à Cannes avec son premier long, dans lequel on retrouve l'authenticité, la ruralité, la jeunesse, la liberté et la vitalité réjouissante qui sont en quelque sorte sa carte de visite. Sa caméra capte au même niveau la joie communicative de la fête de village, la banalité avec laquelle une fille accepte de suivre un garçon dans la nuit, le fiasco relatif des relations amoureuses … et la brume qui s’effiloche au petit jour dans le fond de la vallée.

Quand les ébats amoureux ont lieu dans la paille ce n'est pas pour faire pittoresque et la caméra n'est jamais impudique. Le sexe masculin est plus valeureux en paroles qu'en actes et la charge érotique est davantage suggérée que montrée. Les sentiments s'expriment avec une certaine rugosité, comparable à la rudesse des paysages géographiquement bouchés qui, loin de composer un simple décor, représentent l'expression visuelle des caractères humains.

Le spectateur se sent à la fois invité et impuissant face aux difficultés qui empêtrent ce monde rural. Certes il y a l'alcool qui est un facteur aggravant mais il y a bien d'autres contraintes, sociales, financières, éducatives, culturelles … et les engins agricoles sont parfois antiques.
Plusieurs membres de sa famille sont au générique. Et c’est parmi ses anciens camarades de la CinéFabrique de Lyon où elle a fait ses études, que la réalisatrice a trouvé une grande partie de son équipe. Le choix de confier les rôles à des comédiens non-professionnels, recrutés lors de castings sauvages dans les courses de motocross ou de stock-cars et les comices agricoles de la région, confère au film un formidable accent de vérité et de naturel. Leur authenticité est à la hauteur de l’AOP comté qu’ils défendent dans leur real life et qui occupe la place d'un personnage principal. Le résultat est hurlant de vérité faisant oublier qu’on est devant un écran.

dimanche 1 décembre 2024

Chronicles of Time : Tango, Jazz & Beyond, un album de Patricia Bonner

J’ai rarement écouté un album en boucle aussi longtemps. J’aurais parié qu’il s’agissait de reprises des meilleurs standards de jazz. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que c’était Jean Michel Proust qui en avait composé la musique et Patricia Bonner écrit les paroles pour la plupart des chansons.

J’ai remis comme on dit mon métier sur l’ouvrage pour comprendre et j’ai mieux repéré et isolé les instants d’hommage aux grands artistes que sont Michel Legrand, Astor Piazzola, Billie Holiday, Edith Piaf, Nina Simone… Chronicles of Time : Tango, Jazz & Beyond est très bien fait mais je reprocherais tout de même que ce ne soit pas mentionné sur le livret, pas davantage que Joseph Kosma auquel on pense dès les premières notes de Dis te souviens-tu ? (piste 1) qui fait directement référence aux Feuilles mortes écrites par Jacques Prévert et dont l'évocation réapparaitra nettement dans Foolish Dreams (piste 13).

Comment ne pas penser au pianiste Gérard Jouannest qui a écrit et composé pour Jacques Brel Ne me quitte pas en écoutant Soy (piste 3) ?

Quoiqu’il en soit, j’adore et je regrette de n’avoir pas eu la disponibilité pour assister au concert qui a eu lieu à Paris le 27 novembre 2024 au Studio de l’Ermitage.

Il s'agit, je crois de son troisième album. Et comme pour les précédents, l'interprète a collaboré avec le compositeur Jean-Michel Proust. Il signe ici la composition des seize titres pour lesquels il s’est entouré de deux orchestrateurs : Chloë Pfeiffer (cheffe d’orchestre et arrangeuse de tango) et Jean-Marc Fritz (chef d’orchestre et arrangeur de jazz).

Patricia Bonner s'est exprimée sur sa volonté de marier jazz et tango : "Si l’on regarde leurs parcours, jazz et tango ont des univers très croisés, ils viennent de la rue, je les retrouvais à Buenos Aires où j’allais très souvent dans les années 80. Le tango, comme le jazz, évoque la sensualité, la suavité, la sentimentalité avec, en plus pour le tango, une note de gouaille et de fatalité".

Il est vrai que ces deux genres font bon ménage avec sa voix, qu'elle s'exprime en français, en espagnol ou en anglais. Et on imagine danser Catherine et Françoise, les demoiselles de Rochefort sur l'air de La chanson des troubadours (piste 12) qui doit beaucoup à Michel Legrand.

Elle a écrit majoritairement les chansons de l'album mais No rush (piste 14) a été rédigée en commun avec Jean-Michel Proust. L'album parle de souvenirs (Dis, Te Souviens-tu ?, Memories - pistes 1 et 6), et la quête de soi (Soy, Je M'aime, I'm ready - pistes 3, 5 et 16), évoque le printemps ou l'été (Verano, It is Spring - pistes 4 et 11) et toujours la nostalgie du temps qui s'enfuit (It's a good Day, Cette larme à l'instant - pistes 10 et 15).

La voix est agréable et l'ensemble est harmonieux, démontrant que même si elle s'inspire des plus grands, Patricia Bonner parvient à les inviter dans un univers forgé à partir de toute la musique qui l'a entourée depuis toute petite. Ses grands parents interprétait pour le plaisir des air d'opéra. Sa mère chantait dans l'orchestre de Ray Ventura. Un de ses frères était passionné de musique classique et l’autre de jazz, ce qui explique comment elle a découvert ce genre. Elle a rencontré le pianiste de jazz américain Bud Powell et finalement il était logique qu'elle finisse par chanter, pour commencer en amateur pendant quelques années. Jusqu'à ce que sa route croise en 2009 celle de Jean Michel Proust avec qui elle travaille encore aujourd’hui.

Chronicles of Time : Tango, Jazz & Beyond
Sortie le 29 novembre 2024 chez Teranga Production

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