Johanna Adorjan est née en 1971 à Stockholm et maitrise un grand nombre de langues, dont le français, qu'elle dit avoir appris en lisant le magazine ELLE. Elle est journaliste du Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung et travaille depuis 2001 au supplément culturel.
Intriguée par l'histoire de ses grands-parents paternels elle décide de mener une enquête fouillée et de construire un livre, son premier (on peut être certain qu'il y en aura d'autres parce que son talent est manifeste) autour de sa famille. Elle s'est exprimée sur le sujet à Nancy en septembre dernier, dans le cadre d'un débat autour des secrets de famille organisé au Livre sur la place et sa sincérité m'avait touchée.
Intriguée par l'histoire de ses grands-parents paternels elle décide de mener une enquête fouillée et de construire un livre, son premier (on peut être certain qu'il y en aura d'autres parce que son talent est manifeste) autour de sa famille. Elle s'est exprimée sur le sujet à Nancy en septembre dernier, dans le cadre d'un débat autour des secrets de famille organisé au Livre sur la place et sa sincérité m'avait touchée.
Je pensais que le livre m'arriverait dans une des sélections de ELLE car je savais que la rédaction du magazine l'avait apprécié mais mois après mois je dus me résoudre à l'évidence. Il allait falloir que je tende la main. Je n'étais pas très pressée, estimant que c'était "encore" un livre sur le deuil. J'avais lu Eric Fottorino (l'Homme qui m'aimait tout bas), Dany Laferrière, (l'Enigme du retour), Brigitte Giraud (Une année étrangère), je me disais qu'Un amour exclusif pouvait bien attendre un peu ...
Alors dire que cette lecture m'a enchantée va surprendre mais c'est le mot exact : on tombe sous le charme du récit, qui est à mi-chemin entre vérité et fiction.
Ce livre raconte l’histoire de Vera et de Pista, deux Juifs hongrois survivants de la Shoah, qui ont fui les émeutes de Budapest en 1956, ont trouvé refuge au Danemark et se sont donné la mort à Copenhague en 1991. C’est l’histoire d’un amour hors du commun. L’histoire de ses grands-parents.
Johanna exprime avec retenue et pudeur combien l'intrusion dans l'intimité de ses grands-parents a été bouleversante. Elle a appris des choses qu'elle aurait préféré ne pas savoir (comme le fait qu'ils se soient trompés une fois l'un et l'autre alors que c'était un couple qui offrait un modèle d'union). Mais de toute évidence elle ne pouvait pas deviner quelles confidences il aurait mieux valu ne pas entendre.
Elle avait 20 ans à la mort de ses grands-parents. Donc elle avait forcément beaucoup de souvenirs personnels. Elle connaissait leur maison, leur façon de vivre, leurs tempéraments. Elle n'a eu qu'à les faire resurgir.
Par contre elle ne connaissait pas leur pays d'origine, la Hongrie qu'elle a entrepris de découvrir. Internet a été aussi une formidable source d'information. Et puis elle a eu une certaine chance : les amis proches de ses grands parents étaient encore en vie et pouvaient lui apporter des éléments "de première main". Elle a pu croiser les témoignages et se rendre compte aussi des erreurs d'interprétation. Quand on lève un secret, on dissipe une contre-vérité. J'ai longtemps cru que ma grand-mère avait accouché chez elle à cause de l'occupation allemande et que mon père a été caché bébé dans un tiroir. En fait il est né à l'hôpital parce qu'elle avait de faux papiers. Comment les avait-elle obtenus, je n'ai pas réussi à le savoir. It was a crazy time (une époque de folie) comme le soulignait sa meilleure amie.
Pas question de juger sur le fond : que ce qui est relaté se soit rigoureusement déroulé de la manière que Johanna a choisi importe peu. Ce qui compte c'est de marcher dans ses traces et de débusquer ce qui est universel dans son récit. Ne serait-ce qu'en termes de décor, de mode de vie ...
Ce qui est formidable dans ce livre c'est que l'auteur livre vraiment toutes les bribes qu'elle a récoltées et que finalement elle n'invente que le ciment indispensable pour faire tenir les évènements entre eux. J'imagine ... j'imagine ... J'imagine ... écrit-elle dès les premières pages. comme quelqu'un qui ferait d'intenses efforts de mémoire. Elle interroge le non-dit sans relâche et partout, puisant dans les actualités de l'époque et dans l'inconscient familial et collectif ce qui peut donner chair au récit. Elle relate des sentiments, place des dialogues. Du coup tout semble vrai. En fait on devrait dire que c'est aussi vrai que possible.
C'est aussi un roman qui questionne sa propre existence alors qu'elle se trouve encore au seuil de sa jeunesse. C'est formidablement vivifiant de sentir combien cette réflexion va infléchir le cours de sa vie. Ses grands-parents étaient juifs mais pour survivre ils ont préféré abandonner leur religion. En devenant danois ils ont poussé l'assimilation jusqu'à ne plus pratiquer du tout. Les interrogations de Johanna sur ce qui est ou non typiquement juif sont souvent extrêmement comiques.
La visite du camp de Mauthausen est éclairante à bien des égards sur cette période de l'histoire. A l'instar de ce que relate Bruno Tessarech dans les Sentinelles, elle fait dire à un témoin : quand on n'a pas vu cela de ses propres yeux on n'y croit pas. Beaucoup disaient que c'était des contes à dormir debout. Personne n'arrive à y croire.
D'ailleurs ses grands-parents n'ont jamais rien raconté sur ce qu'ils avaient vécu. En un an ce sont les deux tiers des juifs hongrois qui ont été exterminés. Le monde était alors vraiment fou. A propos de leur installation au Danemark elle écrit : mes grands-parents avaient quitté leur ancienne vie comme on ôte une veste qu'on n'aime plus.
Petit à petit on sent Johanna se rapprocher surtout de sa grand-mère dont elle s'aperçoit qu'elle lui ressemble physiquement et psychiquement, ce qui la rend paradoxalement à la fois fragile et forte. Cette grand-mère qui craignait tant de n'être pas assez aimée s'est inquiétée à tort. L'amour circule fort dans cette famille.
Un amour exclusif de Johanna Adorjàn,
Traduit de l’allemand par Françoise Toraille, Presses de la Cité, 2009, 180 pages
Une année étrangère et l'Énigme du retour seront prochainement chroniqués sur le blog.
Alors dire que cette lecture m'a enchantée va surprendre mais c'est le mot exact : on tombe sous le charme du récit, qui est à mi-chemin entre vérité et fiction.
Ce livre raconte l’histoire de Vera et de Pista, deux Juifs hongrois survivants de la Shoah, qui ont fui les émeutes de Budapest en 1956, ont trouvé refuge au Danemark et se sont donné la mort à Copenhague en 1991. C’est l’histoire d’un amour hors du commun. L’histoire de ses grands-parents.
Johanna exprime avec retenue et pudeur combien l'intrusion dans l'intimité de ses grands-parents a été bouleversante. Elle a appris des choses qu'elle aurait préféré ne pas savoir (comme le fait qu'ils se soient trompés une fois l'un et l'autre alors que c'était un couple qui offrait un modèle d'union). Mais de toute évidence elle ne pouvait pas deviner quelles confidences il aurait mieux valu ne pas entendre.
Elle avait 20 ans à la mort de ses grands-parents. Donc elle avait forcément beaucoup de souvenirs personnels. Elle connaissait leur maison, leur façon de vivre, leurs tempéraments. Elle n'a eu qu'à les faire resurgir.
Par contre elle ne connaissait pas leur pays d'origine, la Hongrie qu'elle a entrepris de découvrir. Internet a été aussi une formidable source d'information. Et puis elle a eu une certaine chance : les amis proches de ses grands parents étaient encore en vie et pouvaient lui apporter des éléments "de première main". Elle a pu croiser les témoignages et se rendre compte aussi des erreurs d'interprétation. Quand on lève un secret, on dissipe une contre-vérité. J'ai longtemps cru que ma grand-mère avait accouché chez elle à cause de l'occupation allemande et que mon père a été caché bébé dans un tiroir. En fait il est né à l'hôpital parce qu'elle avait de faux papiers. Comment les avait-elle obtenus, je n'ai pas réussi à le savoir. It was a crazy time (une époque de folie) comme le soulignait sa meilleure amie.
Pas question de juger sur le fond : que ce qui est relaté se soit rigoureusement déroulé de la manière que Johanna a choisi importe peu. Ce qui compte c'est de marcher dans ses traces et de débusquer ce qui est universel dans son récit. Ne serait-ce qu'en termes de décor, de mode de vie ...
Ce qui est formidable dans ce livre c'est que l'auteur livre vraiment toutes les bribes qu'elle a récoltées et que finalement elle n'invente que le ciment indispensable pour faire tenir les évènements entre eux. J'imagine ... j'imagine ... J'imagine ... écrit-elle dès les premières pages. comme quelqu'un qui ferait d'intenses efforts de mémoire. Elle interroge le non-dit sans relâche et partout, puisant dans les actualités de l'époque et dans l'inconscient familial et collectif ce qui peut donner chair au récit. Elle relate des sentiments, place des dialogues. Du coup tout semble vrai. En fait on devrait dire que c'est aussi vrai que possible.
C'est aussi un roman qui questionne sa propre existence alors qu'elle se trouve encore au seuil de sa jeunesse. C'est formidablement vivifiant de sentir combien cette réflexion va infléchir le cours de sa vie. Ses grands-parents étaient juifs mais pour survivre ils ont préféré abandonner leur religion. En devenant danois ils ont poussé l'assimilation jusqu'à ne plus pratiquer du tout. Les interrogations de Johanna sur ce qui est ou non typiquement juif sont souvent extrêmement comiques.
La visite du camp de Mauthausen est éclairante à bien des égards sur cette période de l'histoire. A l'instar de ce que relate Bruno Tessarech dans les Sentinelles, elle fait dire à un témoin : quand on n'a pas vu cela de ses propres yeux on n'y croit pas. Beaucoup disaient que c'était des contes à dormir debout. Personne n'arrive à y croire.
D'ailleurs ses grands-parents n'ont jamais rien raconté sur ce qu'ils avaient vécu. En un an ce sont les deux tiers des juifs hongrois qui ont été exterminés. Le monde était alors vraiment fou. A propos de leur installation au Danemark elle écrit : mes grands-parents avaient quitté leur ancienne vie comme on ôte une veste qu'on n'aime plus.
Petit à petit on sent Johanna se rapprocher surtout de sa grand-mère dont elle s'aperçoit qu'elle lui ressemble physiquement et psychiquement, ce qui la rend paradoxalement à la fois fragile et forte. Cette grand-mère qui craignait tant de n'être pas assez aimée s'est inquiétée à tort. L'amour circule fort dans cette famille.
Un amour exclusif de Johanna Adorjàn,
Traduit de l’allemand par Françoise Toraille, Presses de la Cité, 2009, 180 pages
Une année étrangère et l'Énigme du retour seront prochainement chroniqués sur le blog.
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