Kim Thúy est une tornade heureuse qui suscite l'enthousiasme avec tout ce qu'elle fait, que ce soit la cuisine ou l'écriture. Après Ru qui était un récit très largement autobiographique elle plonge dans le roman avec Mãn, dans un style qui crépite avec la même musique.
On pourrait croire que, dans sa vraie vie, Kim soit "parfaitement comblée" ... Pourtant elle a son lot de soucis, car outre la fuite de son pays d'origine elle a un fils autiste. Tout le monde s'accorde néanmoins à dire qu'elle irradie de bonheur. Et c'est la traduction de cette expression "parfaitement comblée" qu'elle a choisie comme titre du roman.
Le livre est, comme le précédent, empreint d'une grande délicatesse doublée d'une belle érudition. Elle explique comment beaucoup de livres en français ou en anglais ont survécu au Vietnam pendant les années de chaos politique (p. 57) en "pièces détachées", leurs pages arrachées servant à emballer un pain ou un bouquet de liserons d'eau. La nourriture intellectuelle produite par Maupassant, Sagan, Verlaine, Kafka, Camus, ou Hugo protégeait la nourriture terrestre comme "des fruits interdits tombés du ciel".
Dans Mãn, elle met en scène une jeune vietnamienne envoyée au Québec par sa mère pour la protéger. Une fois arrivée, cette femme devra épouser un restaurateur vietnamien. Un jour elle découvrira le coup de foudre. Le terme n'a pas d'équivalent en vietnamien mais c'est pourtant de cela qu'il s'agit.
Sans être autobiographique Kim Thúy nous livre beaucoup de ce qui est la spécificité de la culture vietnamienne. Elle le fait de telle manière que nous pouvons comprendre sans juger ni chercher à comparer avec ce que l'on connait. Chaque page décrit, à la manière d'un polaroïd, un moment, une scènette, qui se cristallise autour d'un mot-clé que l'on découvre en vietnamien, et traduit en français dans la marge. Les paragraphes sont ainsi ponctués de mots placés là en exergue comme des épices qui seraient disposés sur le bord d'une assiette pour assaisonner un plat.
La cuisine occupe une place prépondérante. Chaque recette devient un message. On hume, on goute et on se surprend à savourer. D'apparence simple, chaque plat est en fait d'une grande complexité, requiert de la dextérité et souvent plusieurs heures de préparation et de cuisson.
C'est que, dans une de ses vies antérieures, Kim a tenu un restaurant qui fut un succès populaire, mais un gouffre financier. Son mari lui offrit un temps de repos après cette expérience et à force de noter les idées qui lui passaient par la tête dans un calepin elle a écrit un premier livre puis un autre ... Il est amusant de noter d'ailleurs que son restaurant montréalais de la rue Notre-Dame s'appelait : Ru de Nam, et qu'il lui inspira deux titres de roman.
Ecrit à la première personne, et tout en étant une fiction, ce dernier livre relate des images qui ne s'inventent pas. Comme la noix de coco râpée à l'aide d'une capsule de boisson gazeuse qui tombe en grandes lamelles comme une frise décorative sur une feuille de bananier. (p.10)
J'ai appris que la langue vietnamienne ignore les conjugaisons. Tous les verbes sont à l'infinitif. On ne parle généralement pas de tout ce qui dérange alors que les occidentaux n'en finissent jamais de se plaindre de la météo. Il ne viendrait pas à l'idée d'évoquer la température dans le sud du Vietnam. Et pourtant Kim Thúy trouve les mots pour dire celle qui régnait dans le restaurant québécois (p. 36) la chaleur implacable qui déheurait les jours, qui détournait les vents.
La pureté de l'abnégation est culturelle. On souhaite prudemment le bonheur à un jeune couple plutôt que l'amour. Avoir les dents couleur de jais étaient autrefois un signe de grande beauté. (p. 98) Porter un bracelet de jade oblige à des gestes ralentis et élégants. Le rouge est toujours la couleur de la chance. On pleure en silence, à moins d'être pleureuse professionnelle.
On ne dévoile pas ses sentiments par des mots mais par des actions. La préparation de bons petits plats en est la forme la plus expressive. Qu'il s'agisse de faire comprendre que l'on aime ou que l'on est malheureux. Ainsi, son héroïne préparera pour son mari malade un poulet aux graines de lotus, au ginkgo et aux gojis (p. 39). Plus tard, elle supportera la séparation d'avec son amoureux en se réfugiant dans la confection de plats exigeants en temps (...) passant des nuits entières à retirer les os des poulets sans les abîmer avant de les farcir et de les recoudre. (p.137)
C'est que, dans une de ses vies antérieures, Kim a tenu un restaurant qui fut un succès populaire, mais un gouffre financier. Son mari lui offrit un temps de repos après cette expérience et à force de noter les idées qui lui passaient par la tête dans un calepin elle a écrit un premier livre puis un autre ... Il est amusant de noter d'ailleurs que son restaurant montréalais de la rue Notre-Dame s'appelait : Ru de Nam, et qu'il lui inspira deux titres de roman.
Ecrit à la première personne, et tout en étant une fiction, ce dernier livre relate des images qui ne s'inventent pas. Comme la noix de coco râpée à l'aide d'une capsule de boisson gazeuse qui tombe en grandes lamelles comme une frise décorative sur une feuille de bananier. (p.10)
J'ai appris que la langue vietnamienne ignore les conjugaisons. Tous les verbes sont à l'infinitif. On ne parle généralement pas de tout ce qui dérange alors que les occidentaux n'en finissent jamais de se plaindre de la météo. Il ne viendrait pas à l'idée d'évoquer la température dans le sud du Vietnam. Et pourtant Kim Thúy trouve les mots pour dire celle qui régnait dans le restaurant québécois (p. 36) la chaleur implacable qui déheurait les jours, qui détournait les vents.
La pureté de l'abnégation est culturelle. On souhaite prudemment le bonheur à un jeune couple plutôt que l'amour. Avoir les dents couleur de jais étaient autrefois un signe de grande beauté. (p. 98) Porter un bracelet de jade oblige à des gestes ralentis et élégants. Le rouge est toujours la couleur de la chance. On pleure en silence, à moins d'être pleureuse professionnelle.
On ne dévoile pas ses sentiments par des mots mais par des actions. La préparation de bons petits plats en est la forme la plus expressive. Qu'il s'agisse de faire comprendre que l'on aime ou que l'on est malheureux. Ainsi, son héroïne préparera pour son mari malade un poulet aux graines de lotus, au ginkgo et aux gojis (p. 39). Plus tard, elle supportera la séparation d'avec son amoureux en se réfugiant dans la confection de plats exigeants en temps (...) passant des nuits entières à retirer les os des poulets sans les abîmer avant de les farcir et de les recoudre. (p.137)
On comprend que la cuisine prenne des heures. Un bol peut contenir un repas entier comme cette soupe au poisson poché avec des vermicelles, rehaussée de porc et de crevettes caramélisées dans des oeufs de crevette. Ne restera qu'à verser dessus une cuillerée d'ail mariné au vinaigre pour en relever le goût.
Les contrastes de saveurs sont recherchés et l'amertume n'est pas un défaut. On a envie de goûter un verre de limonade à la lime salée, un velouté d'igname, un bouillon aux feuilles de chrysanthème après un poisson caramélisé, et surtout les crêpes vietnamiennes au curcuma, au porc et aux crevettes qui exigent une grande dextérité (p. 128).
Kim Thúy ne balance pas entre les deux cultures. Elle est la preuve qu'on peut en acquérir une nouvelle sans abandonner la sienne. Un peu à la manière des bilingues qui s'expriment parfaitement dans deux langues elle enrichit la vie de ses personnages de souvenirs familiaux et de traditions ancestrales.
Elle applique ce principe à la cuisine en associant (p. 80) le saumon grillé avec la mangue ou le gingembre, la sauce de poisson et le sirop d'érable pour mariner des côtelettes.
Mon gâteau aux bananes à la vietnamienne était un délice mais effrayait par son air costaud, presque rustre. En un tournemain, Philippe l'a attendri avec une écume de caramel au sucre de canne brut. Il avait ainsi marié l'Est et l'Ouest, comme pour ce gâteau dans lequel les bananes s'inséraient toutes entières dans la pâte de baguettes de pain imbibées de lait de coco et de lait de vache. les cinq heures de cuisson à feu doux obligeaient le pain à jouer un rôle protecteur envers les bananes, et inversement, ces dernières lui livraient le sucre de leur chair. Si on avait la chance de manger de gâteau fraichement sorti du four, on pouvait apercevoir, en le coupant, le pourpre des bananes gênées d'être ainsi surprises en pleine intimité. (p.71)
Il en résulte un livre touchant, où les mots pèsent lourds comme celui de catastrophe dont on se prend à rêver qu'un jour prochain il changera de sens.
Mãn, de Kim Thúy, chez Liana Levi, mai 2013
Pour relire ce que j'avais écrit à propos de Ru, cliquer sur l'image.
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