La rentrée littéraire est désormais une réalité. Elle s'incarne dans ce livre de Brigitte Giraud, qui nous sert un nouveau roman que l'on prendrait volontiers à première vue pour un récit.
L'auteure l'avait évoqué lors d'une rencontre à Antony et j'avais hâte de le lire.
Tous ceux qui connaissent et apprécient Brigitte Giraud vont se jeter dessus et ils vont être surpris, vraiment. Parce qu'on sent tout de suite qu'elle se situe constamment sur l'étroite ligne qui sépare la fiction de la réalité, bien davantage que dans ses autres livres.
Le style aussi est différent. Mais ce n'est pas pour autant que je n'ai pas apprécié. Je dirais même que j'ai été emportée, très vite et que ce roman est un de mes coups de coeur.
Je suis de plus en plus sensible au travail d'écriture et ici la mise à distance est si parfaitement dosée que l'on ne cherche pas stupidement ce qui peut être autobiographique de ce qui relèverait de l'invention. On vit ce roman à fond, comme on suivrait un film, sans se poser de question.
Avoir un corps est la trajectoire d’une enfant qui devient fille, puis femme, racontée du point de vue du corps, une traversée de l’existence, véritable aventure au quotidien où il est question d’éducation, de pudeur, de séduction, d’équilibre, d’amour, de sensualité, de travail, de maternité, d’ivresse, de deuil et de métamorphoses. L’écriture au réalisme vibrant, sensible et souvent drôle, interroge ce corps qui échappe parfois, qui ravit ou qui trahit. Un roman qui rappelle que la tête et le corps entretiennent un dialogue des plus serrés, des plus énigmatiques.
Je m'attendais à un récit exhaustif démarrant avec une naissance et s'achevant sur une fin de vie. Ces étapes ne sont pas absentes mais elles n'interviennent pas de manière aussi normative. Avoir un corps c'est se souvenir ... de lui, comme de celui des autres, et forcément les premières prises de conscience ne peuvent se situer que vers 4-5 ans.
Au commencement je ne sais pas que j'ai un corps (p. 11). Evidemment ! C'est quand il fait défaut, quand il lâche que le corps signifie d'abord sa réalité. Le luxe c'est de n'avoir pas de corps, nous dira-t-elle plus loin (p. 216) quand les épreuves l'auront malmené.
En attendant, pour la petite fille, ce sera l'assaut de la scarlatine. Plus tard ce seront les paumes creusées à vif par les barres asymétriques (p. 48) et les hématomes qui sont les seules médailles que la jeune fille ramène alors de ses entrainements.
De toute évidence, ce personnage est Brigite Giraud. Il est aussi chacune de nous, non pas dans ce qui nous arrive de particulier, mais dans la succession des étapes que nous traversons de manière universelle. Car l'auteure n'est pas le moins du monde nombriliste. Elle écrit "je" mais sans jamais exclure les autres qui, eux aussi ont un corps, avec ses propres forces et ses faiblesses.
Elle décline les transformations conjuguées par l'âge, des évènements "naturels" qui accompagnent l'adolescence ou la maternité, et puis la maladie et le deuil en se situant le plus possible au niveau des émotions. Ce que la tête peut faire au corps (p. 202) l'obsède. L'inverse également quand le corps n'écoute pas, comme s'il trahissait (p. 46).
Tout n'est pas rose, loin de là, mais il y a suffisamment de décalage et de drôlerie pour qu'on se surprenne à sourire, voire même à franchement rire. Et puis surtout il y a de la pudeur à revendre pour traiter de la mort, qui est d'abord un corps qui disparait. (p. 206). Elle aborde ce rivage sans faux semblant, et avec distinction. Les images sont fortes, sans paroles inutiles, avec de constants mouvements, fussent-ils infimes, à l'instar d'une chorégraphie de Pina Bausch. La référence s'impose.
Brigitte Giraud s'était expliquée sur les conditions dans lesquelles le livre a vu le jour et elle le précise en dernière page. Il est né des nombreux échanges et du travail réalisé avec la chorégraphe Bernadette Gaillard, (Cie Immanence), avec qui elle a créé une "lecture dansée" intitulée "BG/BG Parce que je suis une fille", initiée par le grand R-scène nationale de la Roche-sur-Yon, pendant la saison 2011/2012.
Avoir un corps, c'est aussi le récit d'une victoire et un hommage vibrant à la vie. Depuis le commencement, en passant par les premières fois, çà commence, je deviens, en traversant les étapes, les épreuves, en subissant les douleurs qu'on oubliera (p. 92) jusqu'au retour des premières fois (p. 228) après le grand vide qu'on aura réussi à mettre à distance puisque rien ne nous aura tué.
Il se pourra alors qu'un ami devienne au fil des pages "mon ami" sans chasser le souvenir de celui qu'elle avait nommé le garçon, pour désigner l'amoureux, puis l'homme qui fut le père de l'enfant.
C'est l'enfant qui dégage le plus de force et de vitalité. Il ne pouvait donc pas demeurer anonyme. Pour lui conférer malgré tout un statut de personnage c'est un subterfuge d'écriture qui le désigne par le prénom inattendu de Yoto.
Et c'est l'enfant lui-même qui se nomme et dit Yoto (p. 169) au moment où il acquiert le langage. Brigitte est alors l'écrivain suffisamment bonne pour accorder à son personnage le droit de se désigner lui-même alors qu'elle aurait pu choisir gars, kid, gosse ou gamin.
Pas son vrai prénom donc, mais celui qui va rester...
Le livre se termine avant la fin de l'histoire, ce qui, là encore, est heureux. L'harmonie s'est installée dans ce corps où cohabitent le petit animal en short de l'enfance qui escalade le toboggan, la gymnaste marchant sur la poutre, l'adolescente qui danse sur Imagine, l'amoureuse qui monte derrière la moto, la libraire en équilibre sur un escabeau, la mère qui maintient Yoto contre sa hanche.(p. 233)
Le récit peut se clore sur un futur, ... toujours en mouvement.
Avoir un corps de Brigitte Giraud chez Stock, ISBN 978 2234 0748 04, sortie en librairie le 21 août 2013.
En lice pour le Prix Femina, le Prix décembre et le Prix Wepler.
En lice pour le Prix Femina, le Prix décembre et le Prix Wepler.
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