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jeudi 13 novembre 2014

On aurait dit une femme couchée sur le dos de Corine Jamar

J'ai pensé à un roman autobiographique, et puis, au premier quart (p. 56) j'ai espéré qu'il ne le soit pas parce que le drame qui nous est raconté est trop horrible, même si Corine Jamar ne cède pas à une tendance pathologique.

Son livre est un assaisonnement équilibré de sel et de sucre. Il est paru à la fin du mois d'août mais le lire sous le soleil de l'été indien fut très agréable. Je me trouvais en bord de mer, certes pas sur le rivage idyllique de la Crète, mais mes paysages marins étaient sublimes à mes yeux.

L’auteure a des talents de dessinatrice. Rien d’étonnant donc à ce que sa plume décrive un corps de femme dans le galbe d’une montagne, ce qui justifie le titre. (p. 25)

Le paysage joue plusieurs rôles, successivement apaisant, excitant, révoltant, attisant les jalousies, faisant comprendre le sens de la tragédie grecque.

On apprend des choses sur le mode de vie des crétois, leurs coutumes, comme celle du perpatissao (p. 35) consistant à pouvoir s’approprier n’importe quel bout de terre du moment qu’il n’appartenait à personne et qu’on y avait posé avant l’aube le toit de sa maison, forcément rudimentaire. On salive à la lecture des tomates farcies, les gémistes, ou du gâteau au kadaif. On aimerait siroter la boisson à base de tsikoudia et de jus d’orange à laquelle l’acteur Anthony Quinn a fini par donner son nom (p. 74).

C'était lui Zorba, Alexis Zorba, vous savez … l’homme qui, face aux coups du sort, dansait et jouait de la musique, et qui pourrait servir d’exemple, de modèle face à la crise. (p. 37) Car nous sommes sur la plage de Stavros où a été tourné le film de Zorba le Grec en 1964, j’espère que vous suivez … Le chef opérateur en était Walter Lassally. Son travail fut couronné par un oscar. Il vit encore aujourd'hui en Crète et Corine Jamar fait du "vieux chef op" un de ses personnages principaux.  Forcément il sera question de lumière.

Moi qui passe des quarts d’heure à regarder le soleil levant (toujours plus surprenant que le couchant, et plus dynamisant puisqu’il augure d’une nouvelle journée) j'ai apprécié les descriptions. L'homme fait preuve de beaucoup de patience. Passer sa vie à attendre la bonne lumière forge le caractère. Il est de bon conseil.

Corine le présente aussi comme un vieil égoïste qui a fait passer son métier (un art) avant tout. Elle en parle comme de quelqu'un qui aurait conclu un pacte étrange avec son père et la mer (p. 81) sans que l'on comprenne à ce moment là quel est le rapport avec le drame dont il sera question peu après. Une tragédie qui touche la mère, Samira. Une mère étrangère, comparable à la prêle géante, envahissante, mais aux vertus cicatrisantes, qui était surtout une femme qui posait sur la montagne le même regard que son père et qui avait des talents de cuisinière, ayant su faire le couscous avant d’apprendre à lire (p. 113).

Elle faisait preuve d'une jalousie apaisante car elle rassurait son mari sur son potentiel de séduction. Un père amoureux fou de la Crète, ce jardin de l’univers (p. 41), à l’humeur changeante comme ses paysages, nostalgique d’avant le béton et le tourisme de masse, quand il n’y avait que la mer, le sable, les rochers et la montagne en forme de femme couchée sur le dos.

Ce roman est un peu difficile à suivre. Le lecteur s'égare parmi les personnages secondaires comme Ulysse, le beau-fils du chef op, Hélène la jeune autiste. Mais dans notre vie aussi toutes les rencontres ne sont pas, comment dire, essentielles …

Le narrateur raconte l'enfance entre son père et sa mère, animateurs d'une sorte de petite cantine. On désigne ces endroits sous le terme de "cafénéon". Et le leur est situé à quelques mètres de la plage mythique où le sirtaki a été inventé pour les besoins du film. Ce que l'on croyait authentique n'était donc qu'un coup de bluff. Nous voilà de nouveau perdus.

On sait bien que la vie ce n'est pas du cinéma. Celle de Samira est entachée de trahison, d'inceste et de crimes. Rien n'est simple et les rebondissements s'enchainent. On espère que l'esprit des dieux veille sur elle pour rétablir un bonheur qui ne devrait pas rester éphémère et se concrétiser peut-être par une nouvelle naissance.

Corine Jamar vit à Bruxelles. Née en 1962, elle se met d’abord à dessiner puis à écrire. Après un long détour par la publicité, elle écrit sept albums pour la jeunesse et une BD en trois tomes, Les filles d’Aphrodite (Glénat, avec André Taymans). Son premier roman, Emplacement réservé, paraît chez Fayard en 2003, suivi par La Reine de la fête, chez NiL en 2006. Les deux premiers tomes de Mermaid Project, écrits en collaboration avec Léo et dessinés par Fred Simon, paraissent chez Dargaud en 2012 et 2013. Le troisième tome paraît en juin 2014. Déjà paru au Castor Astral : Soit dit entre nous, j'ai peur de tout (2012).

On aurait dit une femme couchée sur le dos de Corine Jamar
Le Castor Astral, éditeur, en librairie depuis le 30 août 2014
52, rue des Grilles – 93500 Pantin
www.castorastral.com

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