Le 18 octobre, je vous ai présenté le cadre du Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix. Le billet publié le lendemain concernait les quatre expositions temporaires que l'on peut y voir jusqu'en février 2020.
Le jour suivant nous sommes allés à Hem, voir cette chapelle dont la visite est totalement complémentaire de l'exposition Traverser la lumière.
Cette fois c'est à Tourcoing que je vous emmène, au MUba Eugène-Leroy voir l'exposition Picasso Illustrateur.
Tourcoing fut la capitale mondiale des négoces de laines et cette matière spéculative a amené une prospérité fabuleuse à la région jusqu’aux années 70-80 quand les pays émergents ont commencé à exporter leur textile. Après la période industrielle puis commerçante elle renait avec le tertiaire. Je ne donnerai qu’un exemple avec booking.com qui employait 70 personnes il y a 10 ans et 850 aujourd’hui.
Ce Musée a reçu en 2009 une exceptionnelle donation des fils de l'artiste Eugène Leroy (né à Tourcoing en 1910) de 44 tableaux, 13 sculptures, 140 dessins, 27 œuvres de la collection personnelle de l’artiste, 18 carnets, 99 gravures, 98 plaques de cuivre, le tout jalonnant son œuvre des années 1930 à 2000, année de sa mort. Le musée est devenu depuis le lieu de référence du peintre, un lieu d’exposition de ses œuvres, de consultation de ses archives, enfin, un centre de recherche scientifique, artistique et historique pleinement dédié à l'artiste. Les collections permanentes sont évidement composées de nombreux artistes et leur présentation est pensée comme une exposition temporaire.
Il accueille aussi régulièrement des expositions sur des thèmes particuliers. Depuis le 19 octobre et jusqu’au 13 janvier il s’agit de Picasso illustrateur. Et comme la volonté est d'amener le spectateur à revenir dans les collections permanentes celles-ci sont réaccrochées à chaque exposition temporaire en correspondance, en lien selon les thématiques, et selon les techniques. Voilà pourquoi je consacrerai une grande partie de cet article à une visite des collections permanentes.
Picasso illustrateur
Pablo Picasso (1881-1973) est un artiste prolixe qui a réalisé 60 000 oeuvres au cours de sa vie; on connait ses grandes toiles mais moins son travail autour de l’illustration. L’exposition met en lumière l’importance de ses relations avec les écrivains, les poètes et les philosophes en mettant en avant la diversité des techniques et innovations plastiques de ce grand artiste dans son oeuvre illustrée.
Pablo Picasso - Pignate décorée d'une farandole et de personnages portant une colombe géante, Vallauris, 11 août 1950 - Terre rouge culinaire, décor à l'engobe noir
Pierre Reverdy (1889-1960) Pablo Picasso, Paris NRF 1924, édition originale avec l'épreuve du portrait de Picasso d'après un dessin de l'artiste, gravée sur bois par G. Aubert I Exemplaire sur papier vergé pur fil Lafuma, n°174. Picasso s’est défendu d’être abstrait et pourtant sa manière d’illustrer le Chant des morts, qui est l’un des ensembles poétiques majeurs de Pierre Reverdy, publié en 1948, a quelque chose à voir avec l’abstraction, avec ses 125 lithographies ponctuées de grands signes rouges nerveux et majestueux qu’il a déposés en réponse à l’écriture manuscrite.
La Source, été 1921 est une oeuvre maitresse, de par ses dimensions, plus de 150 sur 200 cm, à portée iconique et qui est en quelque sorte le point d'ancrage de l'exposition.
Le livre est un défi à exposer. Le commissaire a pris le parti de déployer Les Métamorphoses dans la grande nef du musée de manière à ce que le visiteur ait le sentiment d’entrer dans le livre. Dans une autre salle on découvre le travail de Picasso autour du Chef d’œuvre inconnu, qui est une nouvelle de Balzac datant de 1837 qui le fascinait et dont il dira qu’il le hantait.
Honoré De Balzac (1799–1850) et Pablo Picasso, Taureau et cheval dans l'arène
Illustration pour Le Chef-d'œuvre inconnu Paris, Ambroise Vollard, 1931, eau-forte sur vélin de Hollande Van Gelder
On peut aussi voir les gravures que Picasso a réalisé pour La Tauromaquia. L’exposition présente aussi de superbes céramiques sur le thème de la corrida, un rituel que l’on réprouve aujourd’hui.
Pase de muleta (L 104) 1959, Plat rond, terre de faience blanche, décor aux engobes sous couverte partielle au pinceau, patine beige
Le peintre et son modèle, Mougins, 10 avril 1967
Cette huile sur toile est sobre en couleurs et se rapproche de la période d'inspiration cubiste. Elle pourrait aussi bien s'appeler "L'Artiste face à la création". Ici, Picasso s'interroge sur la manière de représenter le monde et sur la place de l'artiste. Ce n'est pas un autoportrait, mais une représentation de l'artiste en train de créer. L'œuvre semble séparer deux mondes, dans un jeu de formes géométriques : celui du modèle féminin à gauche, de couleurs claires et celui de l'artiste, à droite, de couleurs sombres. Malgré cette séparation, les deux figures se retrouvent dans un échange de regard. C'est la rencontre de ces deux mondes qui permet la création.
Michel Leiris et Pablo Picasso, balzacs en bas de casse et picassos sans majuscule, exemplaire sur papier Vélin d'Arches accompagné de 8 lithographies
Rembrandt tenant par la main une jeune femme au voile, Paris, 31 janvier 1934, eau-forte sur cuivre. Épreuve sur papier
Foulard pour le Congrès du peuple de Paris. 22-23 novembre 1952 et le Congrès des peuples pour la Paix. Vienne 1952 foulard, coton sérigraphié
L’exposition pointe, et cela on le savait, l’amour du peintre pour les animaux. On ne s’étonne pas qu’il ait illustré Le bestiaire ou cortège d’Orphée qui est le premier recueil de poèmes publié par Guillaume Apollinaire en 1911. On peut admirer les dessins qu’il a fait à la plume d’un seul trait, en particulier un poussin qu’on a l'illusion de voir marcher d’un air déterminé vers son destin. Il a fait énormément de dessins d’animaux, des chèvres, des chevaux, de colombe aussi que plus tard Aragon utilisa pour l’affiche du congrès de la Paix en avril 1949 à Paris.
L'Aigle. Paris, mai–juillet 1907, bois gravé au ciseau. Épreuve sur papier tiré à la gouache en bleu de Prusse, par l'artiste
Aigle et poussin. Paris, 1907. Bois fruitier gravé au ciseau et peint
André Villers (1930-2016) Chèvre de profil, Cannes–Vallauris, 1954–1961. Tirage d'époque, épreuve gélatino–argentique.
Aucun support ne lui résistait, y compris les plus singuliers ou modestes comme les enveloppes, cartes postales, briques, céramiques, tôle, nappes, papier découpé ou arraché, magazine… et bien entendu les affiches avec lesquelles l’exposition s’achève. Car Picasso fut aussi le graphiste de ses propres expositions.
Cette exposition révèle un Picasso oscillant entre classicisme et modernité. Elle confirme sa capacité à inventer et se renouveler sans cesse, comme s’il s’agissait d’un jeu. Il disait et on peut souhaiter que cela donne des idées à chacun de nous : j’essaie toujours de faire ce que je ne sais pas faire, c’est ainsi que j’espère apprendre à le faire.
Il faut dire aussi qu’une programmation culturelle très riche accompagne cette exposition avec des nocturnes, des conférences, des projections, des concerts et du théâtre. N’hésitez donc pas à consulter le site du Muba
Les collections permanentes
Au centre, sculpture d'Humberto Poblete Bustamante (Santiago de Chile, 1966) Pregnant 2014 boisHumberto Poblete Bustamante (Santiago de Chile, 1966) Triunfadora, 2011, huile sur bois
Eugène Leroy, la toile centrale s'intitule Deux grands nus en automne, 1998, huile sur toile
Eugène Leroy, La Grande blanche, 1995, huile sur toile
Eugène Leroy, Douceur, 1995, huile sur toile
Jean Fautrier (1896-1964 à Chatenay-Malabry) Le portrait de ma concierge, 1922, huile sur toile
Camille Claudel, Mon frère, 1886, buste en bronze et de part et d'autre, Hervé Jamen (Lyon,1959) Autoportrait, 1996, huile prégycolle et à droite, Jacques Des Rousseaux (1600-1638) Portrait de jeune homme avec un hausse-col, 1630, huile sur bois
Georg Baselitz (1938) Selbsportrât Dummkopf Autoportrait imbécile 1997, huile sur toile
Alain séchas (Colombes, 1955) Heureux le visionnaire dont la seule arme est le stylet du graveur, sans titre, 1996, sérigraphie sur papier d'Arches
Eugène Leroy (Tourcoing 1910, Wasquehal 2000) Le Buisson , vers 1950, huile sur toile
Alfred Jarry (1873, 1907, à vérifier) Répertoire des pantins, 1898, la chanson du décervelage, Ouverture d'Ubu roi, lithographies sur vélin
Je ne le savais pas mais la région des Hauts-de-France est celle qui a le plus de musées. Et cette journée si dense qu'il me fallut quatre articles pour en rendre compte le démontre bien. N'hésitez pas à y aller. En attendant je vous invite à écouter Une journée à ... qui sera programmée sur Needradio.fr le dimanche 17 novembre à 16 heures.
MUba Eugène-Leroy, 2 Rue Paul Doumer, 59200 Tourcoing
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