La couverture de ce premier roman, Le bal des folles, me rappela aussitôt le film de Stéphanie Di Giusto, La danseuse, racontant l'histoire de Loïe Fuller (magnifiquement interprétée par Soko), née dans le grand ouest américain que rien ne destinait à devenir la gloire des cabarets parisiens de la Belle Epoque et encore moins à danser à l’Opéra de Paris.
Cachée sous des mètres de soie, les bras prolongés de longues baguettes en bois, Loïe réinventa son corps sur scène. Les efforts physiques lui brisèrent le dos, et les éclairages brûlèrent ses yeux, mais quel génie...
Victoria Mas restaure l'histoire d'un étrange bal qui se tenait, chaque année, à la mi-carême. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris venait s’encanailler sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires, réparties sur deux salles, d’un côté les idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques, les folles et les maniaques. Ce bal était en réalité l’une des dernières expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de la Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie, Louise et Geneviève, dont le lecteur découvre le parcours heurté.
Déjà couronné de trois prix, repéré comme Talent Cultura (avec deux autres romans de la sélection des 68, A crier dans les ruines et Ceux que je suis), ce livre étonnant nous plonge dans la difficile condition féminine du XIXe siècle.
L'auteure décrit la Salpétrière sous un angle inédit. Comment croire que le cadre bucolique de cet hôpital était déjà depuis deux siècles le théâtre de tant de souffrance (P. 101) ... Pour une parisienne il n'existe pas pire sort que d'être envoyée au sud-est de la capitale (...) d'abord les pauvres, les mendiantes, les vagabondes, les clochardes qu'on sélectionnait sur ordre du roi. Puis ce fut au tour des débauchées, des prostituées (...) les folles, les séniles, les violentes (...) jusqu'à ce que, au XVIII°, par éthique ou par manque de place, seules les femmes atteintes de troubles neurologiques furent désormais admises.
On s'en doutait, mais il est terrible d'en avoir la certitude : libres ou enfermées les femmes n'étaient en fin de compte en sécurité nulle part (p. 102). Victoria Mas nous dresse un bref mais très intéressant historique des pratiques médicales jusqu'à l'emploi de l'hypnose par Charcot à la moitié du XIX°.
Les histoires de Louise, Geneviève, Eugénie et Thérèse sont terribles même si le frère d'Eugénie est plus empathique et plus bienveillant que celui de Camille Claudel, à qui on pense inévitablement. Les pères sont épouvantables de misogynie, les mères sont souvent des coquilles vides. On est épouvanté des règles de cette société même si la nôtre n'est pas parfaite.
Je ne garderai pas de ce roman un souvenir impérissable car il relève pour moi davantage du documentaire. Il est cependant très intéressant à découvrir et m’incite à une autre interrogation : comment “soignait-on” les hommes atteints de folie ?
Le bal des folles de Victoria Mas, chez Albin Michel et Prix Première Plume
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