Il est lourd mais pas pesant. Savant mais pas pédant. Précis mais accessible. Riche mais simple. Autobiographique mais pas nombriliste.
La Promesse de l’art est une invitation que nous fait Patrice Trigano à partager ses passions, du moins beaucoup d’entre elles, car je ne suis pas certaine qu’il ait épuisé les confidences qu’il excelle à distribuer.
Né en 1947, il a arpenté la scène de l'art et observé les artistes comme nul autre et c'est avec son regard que nous allons nous approcher de ceux qui ont représenté la scène artistique dans la deuxième moitié du XX° siècle. Il a obtenu le prix littéraire Drouot pour La Canne de Saint-Patrick en 2010.
Il se penche sur les grands moments de sa carrière de galeriste débutée en 1973, raconte ses réussites, ses craintes, ses doutes, ses échecs, et fait revivre les moments d’exception passés aux côtés des artistes qu’il a exposés et admirés : César, Mathieu, Matta, Hartung, Schneider, Zao Wou-Ki, Michaux, Chu Teh-Chun, Masson, Hélion, Clergue, Hiquily… et point n'est besoin d'être soi-même spécialiste pour apprécier ses confidences.
Les chapitres se découvrent l’un après l’autre à moins que, comme moi, vous ne résistiez pas à chercher dans la table des matières à propos de quel grand nom de la peinture ou de la sculpture vous avez envie d’entendre le point de vue du galeriste. Ou encore scruter dans l’index des noms quelques-uns que vous pourriez avoir approchés de près.
Je me suis ainsi réjouie d’apprendre tout le bien que Patrice Trigano pensait du festival d’Avignon, le in bien entendu dont il cite la formidable mise en scène du désormais célébrissime Thomas Jolly pour Thyeste mais aussi le off avec William Mesguisch dont il salue l’interprétation magistrale qu’il a faite avec Nathalie Lucas de la pièce Artaud Passion qu’il a lui-même écrite, une histoire librement inspirée de la rencontre de la jeune Florence Loeb, fille du galeriste Pierre Loeb avec le poète Antonin Artaud après ses neuf années d’internement (p. 569). Je ne serais pas étonnée qu’elle soit reprise dans le théâtre des Gémaux parisiens que la comédienne vient de reprendre avec Serge Paumier.
J'ai beaucoup aimé le chapitre consacré à Daniel Buren (p. 111), que j'ai eu l'honneur de côtoyer alors qu'il donnait ses ordres à une équipe de 7 assistants en combinaison blanche de coller, positionner, puis à la fin de déchirer. Cette oeuvre renvoyait le spectateur à lui-même, et le public de La Piscine de Châtenay-Malabry avait suivi, une heure durant, comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre, une chorégraphie dont personne sauf (peut-être) l'artiste ne maitrisait pas les codes mais qui nous enchantait.
Il ne sera jamais rassasié et nous fait la confidence que l'insatisfaction lui donne des ailes (p. 23). Est-ce une raison supplémentaire pour avoir choisi comme couverture le tableau de Magritte intitulé La promesse ? Par fidélité aussi puisque c'est le premier artiste avec lequel il a correspondu, en 1967.
Quelques séries de photos en noir et blanc, pratiquement toutes prises sur le vif, sont une autre forme de témoignages.
Patrice Trigano connait quasiment tous les grands artistes de notre époque. Jusqu'à Robert Tatin dont il a bien entendu visité la propriété fantastique de Cossé-le-Vivien (p. 474), et sa Maison des champs qui m'a charmée autant que l'Allée des Géants a pu me stupéfier.
Ne manquez pas de vous promener dans ce musée à ciel ouvert qui est chaque année le cadre d'un spectacle du festival Les Nuits de la Mayenne.
Ce livre est presque un dialogue tant on a le sentiment que Patrice s’est installé dans le fauteuil d’à côté pour nous livrer ses souvenirs.
Galeriste, écrivain, homme de théâtre, il est l'auteur de nombreux livres qui, tous, mettent en lumière la relation passionnée de l'auteur avec la création sous toutes ses formes. Je rappelle d'ailleurs que j'avais lu de lui L’amour égorgé que je recommandais de lire, et relire …
La Promesse de l’art, Mémoire d’un galeriste de Patrice Trigano, aux Editions du Canoë, en librairie depuis le 1er novembre 2024
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