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mercredi 27 juillet 2016

Le Mont Saint Michel a retrouvé son caractère maritime, épisode #1

S'il y a un endroit mythique c'est bien le site du Mont Saint Michel, inscrit au Patrimoine de l'Unesco depuis presque 40 ans, et que tout le monde devrait voir au moins une fois dans sa vie, à l'instar de la Tour Eiffel.

Et sans doute plus encore parce qu'il présente de multiples facettes que je fais tenter de partager avec vous : comment y aller, où dormir, où se restaurer, que visiter ... de jour comme de nuit ...

Commençons par le commencement, à savoir comment l'aborder ? On aurait tort de penser que le monument est devenu inaccessible depuis que la digue a été démolie. C'est en fait tout le contraire. Il faut certes abandonner sa voiture dans un parking (immense, et bien organisé) qui se trouve à deux-trois kilomètres mais c'est pour gagner en liberté.

Car les navettes (on dit passeur) sont gratuites et fréquentes. Et même la nuit il suffit d'un coup de fil pour qu'on vienne vous chercher si votre dîner ou votre balade s'est éternisé.
Il y a bien d'autres façons d'arriver. On peut faire le trajet en suivant le chemin de halage à pieds, ou à vélo, et même à cheval. C'est magique de découvrir le Mont se dresser au détour.
Un de mes conseils est de ne pas poursuivre pour le moment et de s'attarder sur le ponton du barrage comme nous allons le faire ici.
Et puis, mais ce sera dans quelques jours, d'entreprendre la traversée de la baie pieds nus pour faire le tour du Mont.
 
Je vous invite à cliquer sur "plus d'info" pour suivre le déroulé entier de ce billet consacré au caractère maritime du site et bien sûr aussi sur la première photo pour regarder les clichés en diaporama plein écran.

Que l'on arrive par la route depuis Fougères, après avoir roulé direction Nord, ou depuis Avranches, en ayant progressé fers l'Ouest, on est saisi par le surgissement du triangle gris sur fond bleu qui signale la "relative" proximité du Mont. La route ensuite semble s'enfoncer dans les terres et on se demande si on n'a pas rêvé cette apparition.
Il ne s'imposera que beaucoup plus tard, quand on approchera de Pontorson et que l'on commencera à chercher un parking. A ce stade il semble posé sur les cultures de primeurs ou échoué au milieu d'un pré, selon l'angle de vue.
Il n'est pas rare de voir débouler des moutons affamés pour brouter, ou impatients de rentrer au bercail, créant des embouteillages de touristes étonnés de voir la meute traverser dans un nuage de poussière.
Le parking est une bonne solution pour les automobilistes sachant qu'on peut accéder à la zone commerciale et aux derniers hôtels à condition d'avoir reçu un code de 5 chiffres. C'est de mon point de vue juste utile quand on dort sur place.

Les quatre kilomètres se feront agréablement à pieds. Vous pourrez toujours reprendre la navette au retour puisque il n'y a pas de billetterie à prévoir. Mon conseil est alors d'emmener de quoi pique-niquer pour le premier repas (je vous ferai une autre recommandation pour le soir) et de le prendre sur l'immense ponton du barrage, avec une vue imprenable sur le spectacle des marées. Avec ses 100 mètres carrés de surface on ne risque pas de souffrir de la promiscuité avec d'autres touristes. On y est parfaitement à l'abri du vent. On peut s'asseoir sur les bancs de bois et sans être gêné par la barre de sécurité qui ne coupe pas la vue sur le monument. On y est aux premières loges pour apprécier les jeux de lumières. C'est en quelque sorte le balcon de la baie avant le pèlerinage.
Nous voilà donc à hauteur du ponton (si vous avez pris la navette, descendez devant le relais Saint Michel, vous remonterez plus tard). L'effet est encore plus saisissant les jours de fort coefficient. A 90, le Mont devient, je devrais dire redevient, une île. Ce phénomène a été rendu possible par la démolition de la jetée de béton dont la présence accélérait gravement et irrémédiablement l'ensablement de la baie. Désormais la marée remporte au reflux les sédiments qu'elle charrie à l'aller.

C'est Dominique, guide depuis 25 ans, qui m'a expliqué le phénomène. Il a suivi toutes les étapes du projet. On doit cette réussite à la volonté d'un enfant du pays, Monsieur Vannier qui n'a eu de cesse de restaurer l'image qui s'était imprégnée dans son cerveau quand il venait visiter sa grand mère à l'âge de 7-8 ans.

Il sera en 1983 le plus jeune maire de France, bien décidé à lutter contre la prolifération des herbeux, c'est comme cela qu'on appelle les terres gagnées sur la mer, qui abolissent la frontière entre la terre et la mer. Il n'a alors eu de cesse de redonner au Mont Saint Michel son caractère maritime.

Il a fallu pour cela effectuer deux opérations gigantesques :

1. La construction d'un nouveau barrage sur le Couesnon
Le Couesnon est ce fleuve qui se jette dans la baie mais qui est si "faible" que dans l'ancien temps on disait que selon les marées ses eaux arrivaient vers le Mont par la gauche (le site était alors normand) ou par la droite (et il devenait breton). Cela amusait les enfants de sauter d'une rive à l'autre en criant qu'ils passaient d'une région à l'autre.
Un barrage, dit barrage de la Caserne, édifié en 1969, a stabilisé le cours et le Mont est définitivement resté en Normandie. Les portes en bois bloquaient les poussées d'eau comme elles le pouvaient. Il n'était plus assez efficace, l'envasement progressait, et il fallut le remplacer. La Caserne est restée, toujours visible (bâtiment en longueur sur la photo ci-dessus). Les travaux ont été colossaux car ils devaient être effectués dans un temps assez court, tout de même de trois années, de 2006 à 2009.

Contrairement aux idées reçues un barrage n'a pas forcément vocation à produire de l'électricité. Par sa fonction hydraulique de régulation des eaux, l'ouvrage (associé en aval à d'autres aménagements hydrauliques destinés à faciliter les courants) redonne au fleuve suffisamment de force pour chasser les sédiments vers le large, loin du Mont, pour éviter donc son envasement.

Avant la pleine mer, les vannes s'ouvrent une à une en vue de remplir le Couesnon pendant la marée montante. Plus tard, les vannes se refermeront et seront progressivement ouvertes par le dessous créant un lâcher d'eau efficace pour transporter les sédiments loin dans la baie. Elles fonctionnent donc dans les deux sens, aval et amont.
Celui-ci est large de 72 mètres, comprenant 8 passes dans lesquelles des vannes s'actionnent au gré des marées. Leur forme s'inspire d'instruments de marine ou d'astronomie et l'ensemble dégage un certain ésotérisme. En effet, les plaques de bronze sont frappées de chiffres dans 4 écritures. Sur la première on reconnait le 2, et sur la seconde le 7, en hébreu (haut à droite), grec (bas à gauche) et arabe (bas à droite.)
Le pupitre du garde-corps, lui aussi en bronze, conçu comme l'ensemble par l'architecte Luc Weizmann, comporte des lettres des quatre alphabets latin, grec, hébreu et arabe, symbolisant l'entrelacement des civilisations occidentale et orientale tout en faisant référence à l'époque du scriptorium de l'abbaye et au travail de calligraphie des moines copistes, ainsi qu'au brassage culturel qu'a connu le Mont depuis des siècles.
A l'extrémité sont moulées des pétoncles et des coques et deux coquilles Saint-Jacques, dont une petite présentée en creux comme un bénitier, en mémoire des pèlerins qui en ramassaient pour preuve de leur passage. Enfin, de part et d'autre figurent les blasons de la Bretagne et de la Normandie, respectivement à l'Ouest et à l'Est, rappelant les tensions séculaires entre les deux régions quant à l'appartenance administrative du Mont et que j'évoquais précédemment.

Vous pouvez suivre une visite commentée et en extérieur de 45 minutes à 15 H 30 (gratuite et sans réservation), au départ du pont-promenade pour comprendre le fonctionnement des vannes au nombre  8 avec une écluse à poissons à chaque extrémité. La dimension écologique est déclinée dans toutes les directions et on peut voir passer les anguilles, saumons, plies ou truites jusqu'à Pontorson.
Trois rivières se rassemblent ici, le Couesnon, la Sée et la Selune, derrière Tombelaine. On est à 9 mètres du point zéro sur ce ponton qui ressemble à un devant de bateau. La marée remonte tout de même à 4 kilomètres dans les polders.

La visite est plus ou moins impressionnante selon le niveau de la marée. Mais quel que soit le moment on remarque l'élégance du profil de l'ouvrage que Monsieur Vannier voulait efficace, mais beau. De fait, le barrage se fond dans le nouveau parcours d’approche du Mont-Saint-Michel de près comme de loin.
  
L'horizon est en perpétuel remodelage, bien que ce soit imperceptible. Derrière nous les agriculteurs s'activent dans les zones de polders, surexploitant des sols qui n'en peuvent plus (la progression des cancers chez les habitants devrait alerter sur l'emploi massif des phytosanitaires). C'est dans un de ces champs que la statue de Saint Michel a été déposée par hélitreuillage pour être restaurée au mois de mai dernier.
On observe les allers et venues incessantes des oiseaux dont les médisants prévoyaient la disparition. Ils ont simplement déplacés leurs zones d'habitat. L'écologie est préservée car un des objectifs était  bien de redonner l'aspect originel en respectant l'environnement. On a creusé des mares spécifiquement pour qu'un crapaud très rare, le pélodyte ponctué, puisse continuer à s'y reproduire sans risque de noyade.
On surveille aussi les populations de phoques et d'oiseaux. Des suivis topographiques des fonds vérifient l'impact des lâchers de manière à ce que la baie retrouve totalement son caractère maritime d'ici 2025. Ce qu'on appelle les herbeux sont donc encore appelés à diminuer.
Les paysages sont en constant remodelage, donnant envie de revenir régulièrement, et à différentes heures et saisons.
Pour scruter à 360°, aussi bien du coté des terres, pour vérifier que le Couesnon est quasiment à sec à marée basse que depuis le Mont où un des derniers périscopes existant au monde permet de voir l'horizon différemment. Cela fera l'objet d'un prochain article.

2. La démolition de la digue-pont
A l'origine, l'apport du Couesnon suffisait à maintenir le Mont Saint Michel dans l'eau 150 jours par an. Et puis on a construit la digue qui a tout bouleversé, réduisant le nombre à 50. Le barrage de la Caserne ne parvint qu'à limiter un peu les dégâts. On vient de voir qu'il a été remplacé. Mais ça n'aurait pas suffit. il fallait démolir la digue.
Aujourd'hui on arrive en navette et vous vous étonnerez qu'on vous dépose à quelques centaines de mètres de la porte d'entrée, à l'endroit où la jetée devient un pont passerelle.
Il ne faut pas y voir de sadisme. C'est au contraire une sage mesure qui permet la fluidité des promeneurs et évite les risques d'attroupements. On le comprend très vite à l'arrivée d'un afflux de touristes.
La passerelle est tellement plus gracieuse que l'ancienne digue qui faisait du Mont une presqu'ile d'ailleurs. Elle semble se fondre dans le paysage, et bien sûr disparait les jours de fort coefficient de marée.
Et au risque de me répéter on peut parfaitement rejoindre le site à pieds. C'est encore plus émouvant.
Arrivé à destination les promeneurs restent au final plus longtemps que lorsque leur véhicule était garé tout près. Deux solutions pour un séjour : choisir un hébergement à proximité comme par exemple le Relai Saint Michel depuis lequel on aura une vue éblouissante et sans vis à vis sur le Mont, ce qui est magique à la nuit tombée. L'établissement se fond dans le décor mais c'est un point d'observation extraordinaire.
Ou carrément un hôtel sur le Mont, depuis lequel on arpentera les rues à toute heure. c'est la seconde option que j'ai suivie et vous voyez, entre les deux drapeaux, l'Auberge de la Mère Poulard que je vous ferai visiter dans un prochain billet.
Nous traverserons bien entendu la baie pieds nus, dans la tangue. L'expérience vaut le détour. La photo ci-dessous n'est pas truquée. L'homme est enfoncé dans une poche de sables mouvants (mais il sait en sortir).
Je termine avec cette vue sur Tombelaine à marée haute, avec au loin la cote normande de Granville où le Prince Albert de Monaco vient rituellement passer deux nuits, parce que la ville située sur un promontoire rocheux, a été surnommée la Monaco du Nord. J'irai d'ailleurs dans quelques jours visiter une saumonerie et les jardins suspendus de la villa de Christian Dior.

1 commentaire:

Céline a dit…

Très bel article, superbement détaillé ! Bravoooo !!
Ca se voit que tu y as mis du coeur à l'ouvrage et surtout beaucoup d'amour et de partage ! Yeeees <3

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