C'est à l'invitation de l'association Lire c'est Libre que je me suis rendue le 19 novembre à l'Olympic Entrepôt pour un débat entre deux auteurs Dominique Maisons pour On se souvient du nom des assassins un thriller publié en octobre dernier aux éditions de La Martinière, et Dominique Sylvain pour Kabukicho, un roman noir publié chez Viviane Hamy.
Si l'on croit aux concours de circonstances on trouvera cela normal. Il y a trop de concordances pour que ce soit anodin. Me voilà (encore) en contact avec quelqu'un qui connait parfaitement le pays de la courtoisie et de la politesse, régi par une haute valeur morale (on peut laisser son ordinateur sur la table du café le temps d'aller aux toilettes avec la certitude de le retrouver), où la patience et la retenue sont des vertus partagées par tout le monde dans une société extrêmement verticalisée. Car ce pays est une gigantesque usine à règles. (p. 81)
Le Japon est fascinant. Car c'est aussi un endroit où la violence peut trouver un terreau très fertile.
Dominique Sylvain s'est intéressé à ce pays bien avant d'y vivre. C'est probablement l'influence cinématographique de Bruce Lee qui l'a décida à s'initier au karaté. Elle approuve son mari quand il exprime le souhait de s'y installer pour raisons professionnelles. Elle vivra treize ans en Aise avec sa famille. L'environnement lui fournit le cadre d'un premier roman où il est question d'une fille qui ne maitrise ni la langue ni les codes culturels. C'était en 1995 et le roman est intitulé Baka ! (« idiot » en japonais). Le couple est depuis revenu en France mais Dominique est restée écrivain et a déjà publié une quinzaine d'ouvrages, toujours des policiers ou des romans noirs. Elle habite actuellement à Paris mais reste très attachée à l’Asie où elle se rend régulièrement.
Kabukicho est le nom d'un quartier qui existe réellement au coeur de Tokyo, sorte d'équivalence au Pigalle parisien. Après la seconde Guerre Mondiale, le maire aurait voulu bâtir sur les ruines un théâtre de kabuki mais les américains s'y sont opposés car l'heure n'était pas au renforcement de la culture japonaise. Au contraire, on a préféré permettre aux GI (ainsi désigné en référence à l’inscription "Galvanized Iron" – fer galvanisé, en anglais – figurant sur tous les objets en métal propriétés de l’US Army) de disposer d'un quartier où se distraire.
Ce sont des rues aveuglées par les néons jusque vers 5 heures du matin. Les bars et love hôtels qui occupent des étages d'immeubles ne désemplissent pas et la mairie considère aujourd'hui que cela peut constituer un handicap en terme d'image au moment des futurs jeux olympiques. En attendant de savoir s'il survivra ou sera détruit, Dominique Sylvain en a fait le théâtre de son roman.
Ses personnages principaux exercent le métier d'hôte et hôtesse, car l'emploi n'est pas réservé aux femmes. Leur rôle est de faire boire la clientèle en assurant une conversation avec empathie qui compense, en quelque sorte le faible développement de la psychanalyse. Le commerce charnel est autorisé mais jamais indispensable. La fréquentation de ces bars est composée de salarymen (les cadres ) et aussi pour partie de prostitués qui trouvent le moyen d'évacuer ainsi le stress des heures précédentes. On pourrait considérer que ce type de commerce a des vertus équivalentes au carnaval des sociétés occidentales, à ceci près que les moments de soupape sont plus réguliers.
Les femmes ont le choix entre un hôte de type prince charmant, ou glam rock, à moins qu'elles ne préfèrent passer la soirée en compagnie d'un bas boy. Il est facile de choisir sur photo, à l'instar d'un plat sur un menu. Le nombre de fans de chaque hôte est affiché. On sait d'emblée que Yudai et Kate, les deux héros de Dominique Sylvain, sont en tête du classement de leur établissement.
La construction du roman, d'ailleurs sous-titré la Cité des mensonges, s'appuie sur la recherche de la vérité par des personnes qui pratiquent l'art de la conversation émaillée de compliments et de faux semblants.
Le débat a été mené de main de maitre par Christophe de Jerphanion, alias Joyeux Drille (car tel est son nom de bloggeur), alternant les interrogations entre les deux auteurs et faisant émerger leurs spécificités. Il a ainsi souligné les multiples hommages que Dominique Sylvain rend à Patricia Highsmith qui reconnait aimer infiniment Monsieur Ripley, un roman que l'américaine a publié en 1955.
Au cinéma il fut adapté en 1960 sous le titre Plein soleil avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, par René Clément qui ajoute une fin morale alors que dans l'original le coupable ne se laisse pas prendre. La question de l'identité est au coeur du roman de Dominique Sylvain comme elle l'est dans un autre film qu'un des personnages apprécie, la Sirène du Mississipi de François Truffaut, sorti en 1969.
L'ambiguïté sexuelle qui est suggérée dans la version américaine du Talentueux Mr. Ripley, réalisé par Anthony Minghella, en 1999 trouve aussi un certain écho dans les pages du livre.
Entre mensonges et pseudo-vérités, il peut s'avérer difficile de démêler les fils d’une manipulation démoniaque. Les morts vivent en nous. (p. 161) Les indices sont nombreux et j'ai très vite deviné l'issue sans que cela ne gâche mon plaisir de lecture. La construction psychologique est plus importante que l'énigme policière et c'est une des forces de cette écriture. Dominique Sylvain rappelle (p. 63) qu'au coeur même du tourbillon net de la catastrophe existe une zone de paix absolue, qui est l'oeil du cyclone. Toujours est-il que l'on doute que ses héros puissent atteindre cet endroit ... dans leur propre vie ou dans celle qu'ils songeraient à emprunter.
A l'instar d'Elmore Leonard dont elle est une grande admiratrice, chaque chapitre est écrit du point de vue d'un des personnages ce qui entraine le lecteur à ne pas prendre parti définitivement. Lorsque Marie parait, les pages sont ponctuées d'extraits de la Cité des Mensonges, qui est le titre du livre titanesque (p. 55) qu'elle rêve de publier pour témoigner de ce dont elle est capable.
Par ailleurs, et c'est bien entendu parce que l'auteur connait très bien la culture japonaise, on oublie que nous sommes sur le terrain de la fiction. Suivre l'intrigue nous fait réellement partir en voyage au pays du Soleil levant. On arpente Kabukicho. On tremble à l'apparition d'un yakusa appartenant à la mafia japonaise. On reste proche de l'univers manga. On se glisse dans l'eau chaude et relaxante d'un onsen.(p. 201) On découvre l'île d'Oshima et le volcan des amours perdus. On visite une des dernières maisons traditionnelle, une minka qui subsiste encore malgré toutes les catastrophes naturelles que le pays subit. Et on se remémore une matsuri. (p. 235)
J'ignore si Dominique Sylvain sera présente au prochain Salon que Lire c'est libre organisera, sous la houlette de sa dynamique présidente, Régine Heindryckx, le samedi 28 janvier dans la mairie du 7ème arrondissement de 14 à 18 heures. N'attendez pas la réponse officielle pour découvrir son roman.
Kabukicho de Dominique Sylvain chez Viviane Hamy, collection Chemins Nocturnes, en librairie de puis le 6 octobre 2016
Dominique Sylvain s'est intéressé à ce pays bien avant d'y vivre. C'est probablement l'influence cinématographique de Bruce Lee qui l'a décida à s'initier au karaté. Elle approuve son mari quand il exprime le souhait de s'y installer pour raisons professionnelles. Elle vivra treize ans en Aise avec sa famille. L'environnement lui fournit le cadre d'un premier roman où il est question d'une fille qui ne maitrise ni la langue ni les codes culturels. C'était en 1995 et le roman est intitulé Baka ! (« idiot » en japonais). Le couple est depuis revenu en France mais Dominique est restée écrivain et a déjà publié une quinzaine d'ouvrages, toujours des policiers ou des romans noirs. Elle habite actuellement à Paris mais reste très attachée à l’Asie où elle se rend régulièrement.
Kabukicho est le nom d'un quartier qui existe réellement au coeur de Tokyo, sorte d'équivalence au Pigalle parisien. Après la seconde Guerre Mondiale, le maire aurait voulu bâtir sur les ruines un théâtre de kabuki mais les américains s'y sont opposés car l'heure n'était pas au renforcement de la culture japonaise. Au contraire, on a préféré permettre aux GI (ainsi désigné en référence à l’inscription "Galvanized Iron" – fer galvanisé, en anglais – figurant sur tous les objets en métal propriétés de l’US Army) de disposer d'un quartier où se distraire.
Ce sont des rues aveuglées par les néons jusque vers 5 heures du matin. Les bars et love hôtels qui occupent des étages d'immeubles ne désemplissent pas et la mairie considère aujourd'hui que cela peut constituer un handicap en terme d'image au moment des futurs jeux olympiques. En attendant de savoir s'il survivra ou sera détruit, Dominique Sylvain en a fait le théâtre de son roman.
Ses personnages principaux exercent le métier d'hôte et hôtesse, car l'emploi n'est pas réservé aux femmes. Leur rôle est de faire boire la clientèle en assurant une conversation avec empathie qui compense, en quelque sorte le faible développement de la psychanalyse. Le commerce charnel est autorisé mais jamais indispensable. La fréquentation de ces bars est composée de salarymen (les cadres ) et aussi pour partie de prostitués qui trouvent le moyen d'évacuer ainsi le stress des heures précédentes. On pourrait considérer que ce type de commerce a des vertus équivalentes au carnaval des sociétés occidentales, à ceci près que les moments de soupape sont plus réguliers.
Les femmes ont le choix entre un hôte de type prince charmant, ou glam rock, à moins qu'elles ne préfèrent passer la soirée en compagnie d'un bas boy. Il est facile de choisir sur photo, à l'instar d'un plat sur un menu. Le nombre de fans de chaque hôte est affiché. On sait d'emblée que Yudai et Kate, les deux héros de Dominique Sylvain, sont en tête du classement de leur établissement.
La construction du roman, d'ailleurs sous-titré la Cité des mensonges, s'appuie sur la recherche de la vérité par des personnes qui pratiquent l'art de la conversation émaillée de compliments et de faux semblants.
À la nuit tombée, Kabukicho, est un théâtre où l’art de séduire se paye à coup de gros billets et de coupes de champagne. Deux personnalités dominent la scène : le très élégant Yudai, dont les clientes goûtent la distinction et l’oreille attentive, et Kate Sanders, l’Anglaise fascinante, la plus recherchée des hôtesses du Club Gaïa, l’un des derniers lieux, dirigé par Sanae, la mama-san, où les fidèles apprécient plus le charme et l’exquise compagnie féminine que les plaisirs charnels.La disparition d'une gaijin (Kate est une étrangère) est l'accélérateur d'un processus qui a commencé bien avant. L'inspecteur de police est un peu atypique par rapport au mode opérationnel habituel au Japon. A la suite d'une blessure à la tête et d'un coma profond, Yamada a perdu une partie de sa mémoire, ce qui a pour effet de provoquer des omissions qui s'additionnent aux mensonges des protagonistes qui auraient, pour une raison ou une autre, quelque chose à cacher.
La jeune femme disparaît un après-midi. À Londres, son père reçoit sur son téléphone portable une photo qui la montre les yeux clos, avec pour légende "Elle dort ici." Bouleversé, mais déterminé à retrouver sa fille, Sanders prend le premier avion pour Tokyo, où Marie, colocataire et amie de Kate, l’aidera dans sa recherche. Yamada, l’imperturbable capitaine de police du quartier de Shinjuku, est quant à lui chargé de l’enquête officielle.
Le débat a été mené de main de maitre par Christophe de Jerphanion, alias Joyeux Drille (car tel est son nom de bloggeur), alternant les interrogations entre les deux auteurs et faisant émerger leurs spécificités. Il a ainsi souligné les multiples hommages que Dominique Sylvain rend à Patricia Highsmith qui reconnait aimer infiniment Monsieur Ripley, un roman que l'américaine a publié en 1955.
Au cinéma il fut adapté en 1960 sous le titre Plein soleil avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, par René Clément qui ajoute une fin morale alors que dans l'original le coupable ne se laisse pas prendre. La question de l'identité est au coeur du roman de Dominique Sylvain comme elle l'est dans un autre film qu'un des personnages apprécie, la Sirène du Mississipi de François Truffaut, sorti en 1969.
L'ambiguïté sexuelle qui est suggérée dans la version américaine du Talentueux Mr. Ripley, réalisé par Anthony Minghella, en 1999 trouve aussi un certain écho dans les pages du livre.
Entre mensonges et pseudo-vérités, il peut s'avérer difficile de démêler les fils d’une manipulation démoniaque. Les morts vivent en nous. (p. 161) Les indices sont nombreux et j'ai très vite deviné l'issue sans que cela ne gâche mon plaisir de lecture. La construction psychologique est plus importante que l'énigme policière et c'est une des forces de cette écriture. Dominique Sylvain rappelle (p. 63) qu'au coeur même du tourbillon net de la catastrophe existe une zone de paix absolue, qui est l'oeil du cyclone. Toujours est-il que l'on doute que ses héros puissent atteindre cet endroit ... dans leur propre vie ou dans celle qu'ils songeraient à emprunter.
A l'instar d'Elmore Leonard dont elle est une grande admiratrice, chaque chapitre est écrit du point de vue d'un des personnages ce qui entraine le lecteur à ne pas prendre parti définitivement. Lorsque Marie parait, les pages sont ponctuées d'extraits de la Cité des Mensonges, qui est le titre du livre titanesque (p. 55) qu'elle rêve de publier pour témoigner de ce dont elle est capable.
Par ailleurs, et c'est bien entendu parce que l'auteur connait très bien la culture japonaise, on oublie que nous sommes sur le terrain de la fiction. Suivre l'intrigue nous fait réellement partir en voyage au pays du Soleil levant. On arpente Kabukicho. On tremble à l'apparition d'un yakusa appartenant à la mafia japonaise. On reste proche de l'univers manga. On se glisse dans l'eau chaude et relaxante d'un onsen.(p. 201) On découvre l'île d'Oshima et le volcan des amours perdus. On visite une des dernières maisons traditionnelle, une minka qui subsiste encore malgré toutes les catastrophes naturelles que le pays subit. Et on se remémore une matsuri. (p. 235)
J'ignore si Dominique Sylvain sera présente au prochain Salon que Lire c'est libre organisera, sous la houlette de sa dynamique présidente, Régine Heindryckx, le samedi 28 janvier dans la mairie du 7ème arrondissement de 14 à 18 heures. N'attendez pas la réponse officielle pour découvrir son roman.
Kabukicho de Dominique Sylvain chez Viviane Hamy, collection Chemins Nocturnes, en librairie de puis le 6 octobre 2016
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