Quelqu'un m'a dit avoir recensé plus de 500 spectacles en une seule soirée rien que sur la région parisienne. Alors j'ai beau sortir beaucoup il sera toujours impossible de voir ne serait-ce que l'essentiel. Quand mon amie Isabelle m'a proposé de chroniquer Vladimir Jankélévitch : la vie est une géniale improvisation j'ai pensé que ce serait un début de solution pour couvrir davantage de pièces de théâtre.
Sa plume se glissera régulièrement dans le blog et vous retrouverez ses billets avec le libellé "Isabelle". Voilà son avis sur ce spectacle, étant précisé que je partage son opinion car j'ai passé moi aussi un excellent moment.
Le Lucernaire nous offre le plus merveilleux des cadeaux avec cette reprise du spectacle de Bruno Abraham-Kremer et de Corine Juresco qui nous fait partager 60 ans de correspondances entre Vladimir Jankélévitch et son grand ami Louis Beauduc.
Rien qu’en découvrant le titre de la pièce, je me doutais qu’un esprit positif la traverserait et je n’ai pas été déçue. Cette pièce rayonne de questionnements, de tendresse amicale et d’humour. L’une des raisons de mon enthousiasme vient probablement du lien particulier qui unit le comédien à la philosophie et à Jankélévitch. D’entrée de jeu il nous dit : « Il faut que je vous fasse une confidence: j'ai commencé la philosophie à 4 ans. Ma mère était professeur de philosophie et donnait des cours particuliers ». Lui jouait aux soldats de plomb sous son bureau et écoutait.
C’est ainsi qu’il va découvrir le grand Jankélévitch qui a accepté de superviser la thèse de sa mère sur Novalis. Lui-même ira l’écouter lors d’une conférence sur Ravel et ressort fasciné par le personnage « sa pensée virevoltait » ! Quand la mère de Bruno Abraham-Kremer apprend le sujet de la pièce montée par son fils, elle lui écrit une lettre dans laquelle elle décrit qui était « Janké » comme l’appelaient ses élèves et en quoi il a compté pour elle : « C’était un séducteur, il possédait une grâce qui provenait de sa richesse intérieure. La mère que j’ai été pour toi est en partie forgée par Jankélévitch ».Touchantes révélations qui donnent une dimension très personnelle à ce spectacle.
Coup de tonnerre, crépitement de pluie et tout à coup on entend la voix de Jankélévitch lui-même envahir la scène. On ne verra aucune vidéo de lui mais sa parole reviendra à plusieurs reprises habiter l’espace. Le public est ultra concentré, cette résurrection de la voix du philosophe né en 1903 a quelque chose de magique.
A jardin, un bureau encombré de livres avec un appareil pour écouter de la musique (celui de Jankélévitch autant musicien que penseur), à cour un bureau plus simple (celui de Beauduc).
Bruno Abraham-Kremer nous fait entendre une partie des lettres de Janké à Beauduc rassemblées dans Une vie en toutes lettres aux éditions Liana Levi. Il regarde et se dirige vers le bureau de l’un ou de l’autre selon que la parole est à l’un ou à l’autre. Toutes les missives sont datées. Nous comprendrons plus tard la triste raison pour laquelle on ne dispose des lettres de Louis à Vladimir qu’à partir de 1944. Mais je ne vais pas tout vous révéler.
Les deux hommes étaient coturnes, c'est ainsi qu'on désigne les compagnons de chambrée à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm à Paris, où ils étaient entrés en 1922. A l'agrégation de philosophie, en 1926, Jankélévitch est reçu premier, Beauduc, second ! Ils garderont une amitié indéfectible l’un pour l’autre et ne cesseront de s'écrire jusqu'à la mort de Louis Beauduc en 1980, cinq ans avant celle de Jankélévitch.
Après l’agrégation, le service militaire. Sa description du monde militaire est un nectar d'humour : « Je ne souris plus à cause de mon faux-col et de mon képi qui répriment tout débordement de ma personnalité. Le matin, j'ai les plus grandes difficultés à entrer dans mes bottes. Je pousse. Mon frère me tient. Ma mère m’encourage. Et je finis par pénétrer en criant : "C'est pour la France!" »
Ces anecdotes dites par le comédien avec toute la maîtrise qu’on lui connait alternent avec des réflexions plus profondes telle cette interrogation qui le hante : « Comment vivre en se sachant mortel ? » Le vieillissement est agonie dit Louis. Et Vladimir de lui répondre : « Tu me demandes pourquoi je fais un livre sur la mort ? Le non-sens de la mort donne un sens à la vie. Ce qui ne meurt pas ne vit pas. Quand on pense à quel point la mort est familière, et combien totale est notre ignorance, et qu’il n’y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé ! »
A travers ces grands questionnements, ce sont tous les évènements historiques du XXème que nous découvrons dans cet échange. Blessé lors de l'avance allemande, évacué dans un l'hôpital militaire, il apprend sa révocation de son poste de professeur à la Faculté des lettres de Lille. « Juif par ma mère, métèque par mon père (Russe), trop d’impuretés ! ». Il survit dans la clandestinité en donnant quelques cours particuliers, de tout, même d’orthographe qu’il « a assez bonne pour un métèque » et participe à la Résistance à Toulouse.
Ses lettres de guerre de 1943 à la fin de la guerre ne seront plus signées. Il veut éviter de mettre Louis en danger. « Ton amitié me redonne des raisons de vivre ». On entend plusieurs fois la voix de Jankélévitch : « Dire oui ou non ? Capitulerons nous ou résisterons nous ? »
Après la guerre, il retrouve sa chaire à Lille puis à la Sorbonne. Mais il est changé. Il est travaillé par la question du pardon. Il rejette désormais tout ce qui s’apparente à l’Allemagne, choqué que les philosophes allemands n’aient pas eu un mot de repentir pour les crimes commis. Il faudra attendre 1981 pour qu’un évènement incroyable change sa décision. Mais là encore, je vous laisse le découvrir par vous-même !
Arrivent les années 60… Jankélévitch passe beaucoup de temps à discuter avec ses étudiants pour essayer de comprendre les idées de Mai 68 : « Il n’y a plus de place que pour les troupeaux. » On sent son inquiétude concernant l’avenir de sa fille Sophie qui veut devenir elle aussi professeur de philosophie dans un monde où il se bat pour maintenir la classe de philosophie. Il assiste à l’arrivée des nouvelles technologies : « Place aux ordinateurs et au Dieu Business »…
Son humour est omniprésent. Alors qu’il s’apprête à publier un « pavé » à un âge avancé, il écrit à son ami : « Un bonhomme qui promet un bouquin de 1500 pages ressemble à un octogénaire qui prend une maitresse ! »
On se délecte avec le comédien de ces lettres du philosophe. On y découvre son rapport fondamental à la musique : « La musique c’est toute ma vie », et puis sa simplicité : « Etre philosophe c'est douter sans se prendre au sérieux. » « Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes. »
C'est aussi cette amitié sans borne pour Louis qui m’a émue. Lui qui passe sa vie à rédiger, à donner des cours et des conférences, dirigeant jusqu’à 120 mémoires d’étudiants en 1969, cherche à encourager son ami à publier davantage : « Prends garde aux pantoufles et à l'ornière provinciale » ; «Viens à Paris, délaisse cet éternel Limoges où tu mijotes depuis trente ans… ». Avec une tendresse indéfectible « Je te serre les deux mains. Je suis ton vieux. »
Vladimir Jankélévitch disait dans sa première lettre à Louis avec beaucoup de malice : « Ne l'oublie pas, nous écrivons pour la postérité, et nos futurs éditeurs réserveront sans doute pour le dernier volume de nos œuvres philosophiques (comme on l'a fait pour Descartes, Kant, etc.) la Correspondance de MM. V. Jankélévitch et L. Beauduc ».
Se doutait-il vraiment que l'avenir lui donnerait raison ? On doit une fière chandelle à Bruno Abraham-Kremer qui, depuis près de 200 représentations, transmet la pensée vivifiante de Jankélévitch. La qualité de l’écoute est sa récompense, il la qualifie de « petit miracle ». Et il ajoute « Si vous passez par l'île de la Cité au 1 quai aux fleurs (où vivait Jankélévitch), arrêtez-vous un instant en vous-même. »
Le mot de la fin est dit par Jankélévitch « il y aura donc la vie, elle mérite qu’on la vive ! ».
Les deux hommes étaient coturnes, c'est ainsi qu'on désigne les compagnons de chambrée à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm à Paris, où ils étaient entrés en 1922. A l'agrégation de philosophie, en 1926, Jankélévitch est reçu premier, Beauduc, second ! Ils garderont une amitié indéfectible l’un pour l’autre et ne cesseront de s'écrire jusqu'à la mort de Louis Beauduc en 1980, cinq ans avant celle de Jankélévitch.
Après l’agrégation, le service militaire. Sa description du monde militaire est un nectar d'humour : « Je ne souris plus à cause de mon faux-col et de mon képi qui répriment tout débordement de ma personnalité. Le matin, j'ai les plus grandes difficultés à entrer dans mes bottes. Je pousse. Mon frère me tient. Ma mère m’encourage. Et je finis par pénétrer en criant : "C'est pour la France!" »
Ces anecdotes dites par le comédien avec toute la maîtrise qu’on lui connait alternent avec des réflexions plus profondes telle cette interrogation qui le hante : « Comment vivre en se sachant mortel ? » Le vieillissement est agonie dit Louis. Et Vladimir de lui répondre : « Tu me demandes pourquoi je fais un livre sur la mort ? Le non-sens de la mort donne un sens à la vie. Ce qui ne meurt pas ne vit pas. Quand on pense à quel point la mort est familière, et combien totale est notre ignorance, et qu’il n’y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé ! »
A travers ces grands questionnements, ce sont tous les évènements historiques du XXème que nous découvrons dans cet échange. Blessé lors de l'avance allemande, évacué dans un l'hôpital militaire, il apprend sa révocation de son poste de professeur à la Faculté des lettres de Lille. « Juif par ma mère, métèque par mon père (Russe), trop d’impuretés ! ». Il survit dans la clandestinité en donnant quelques cours particuliers, de tout, même d’orthographe qu’il « a assez bonne pour un métèque » et participe à la Résistance à Toulouse.
Ses lettres de guerre de 1943 à la fin de la guerre ne seront plus signées. Il veut éviter de mettre Louis en danger. « Ton amitié me redonne des raisons de vivre ». On entend plusieurs fois la voix de Jankélévitch : « Dire oui ou non ? Capitulerons nous ou résisterons nous ? »
Après la guerre, il retrouve sa chaire à Lille puis à la Sorbonne. Mais il est changé. Il est travaillé par la question du pardon. Il rejette désormais tout ce qui s’apparente à l’Allemagne, choqué que les philosophes allemands n’aient pas eu un mot de repentir pour les crimes commis. Il faudra attendre 1981 pour qu’un évènement incroyable change sa décision. Mais là encore, je vous laisse le découvrir par vous-même !
Arrivent les années 60… Jankélévitch passe beaucoup de temps à discuter avec ses étudiants pour essayer de comprendre les idées de Mai 68 : « Il n’y a plus de place que pour les troupeaux. » On sent son inquiétude concernant l’avenir de sa fille Sophie qui veut devenir elle aussi professeur de philosophie dans un monde où il se bat pour maintenir la classe de philosophie. Il assiste à l’arrivée des nouvelles technologies : « Place aux ordinateurs et au Dieu Business »…
Son humour est omniprésent. Alors qu’il s’apprête à publier un « pavé » à un âge avancé, il écrit à son ami : « Un bonhomme qui promet un bouquin de 1500 pages ressemble à un octogénaire qui prend une maitresse ! »
On se délecte avec le comédien de ces lettres du philosophe. On y découvre son rapport fondamental à la musique : « La musique c’est toute ma vie », et puis sa simplicité : « Etre philosophe c'est douter sans se prendre au sérieux. » « Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes. »
C'est aussi cette amitié sans borne pour Louis qui m’a émue. Lui qui passe sa vie à rédiger, à donner des cours et des conférences, dirigeant jusqu’à 120 mémoires d’étudiants en 1969, cherche à encourager son ami à publier davantage : « Prends garde aux pantoufles et à l'ornière provinciale » ; «Viens à Paris, délaisse cet éternel Limoges où tu mijotes depuis trente ans… ». Avec une tendresse indéfectible « Je te serre les deux mains. Je suis ton vieux. »
Vladimir Jankélévitch disait dans sa première lettre à Louis avec beaucoup de malice : « Ne l'oublie pas, nous écrivons pour la postérité, et nos futurs éditeurs réserveront sans doute pour le dernier volume de nos œuvres philosophiques (comme on l'a fait pour Descartes, Kant, etc.) la Correspondance de MM. V. Jankélévitch et L. Beauduc ».
Se doutait-il vraiment que l'avenir lui donnerait raison ? On doit une fière chandelle à Bruno Abraham-Kremer qui, depuis près de 200 représentations, transmet la pensée vivifiante de Jankélévitch. La qualité de l’écoute est sa récompense, il la qualifie de « petit miracle ». Et il ajoute « Si vous passez par l'île de la Cité au 1 quai aux fleurs (où vivait Jankélévitch), arrêtez-vous un instant en vous-même. »
Le mot de la fin est dit par Jankélévitch « il y aura donc la vie, elle mérite qu’on la vive ! ».
Vladimir Jankélévitch, La vie est une géniale improvisation, d'après sa Correspondance
Adaptation et mise en scène de Bruno Abraham-Kremer et de Corine Juresco
Avec Bruno Abraham-Kremer
Au Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs - 75006 Paris
Métro : Notre-Dame des Champs - Vavin
Adaptation et mise en scène de Bruno Abraham-Kremer et de Corine Juresco
Avec Bruno Abraham-Kremer
Au Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs - 75006 Paris
Métro : Notre-Dame des Champs - Vavin
Tel : 01 45 44 57 34
Depuis le 19 octobre jusqu'au 11 décembre 2016
Du mardi au samedi à 19 heures
Le dimanche à 15 heures
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