J'ai vu le spectacle cet été alors que je me trouvais aux rencontres de la Mousson d'été en Lorraine qui sont le ferment de la découverte, la formation et la promotion des nouvelles écritures dramatiques. il faut rendre hommage à son créateur Michel Didym pour la qualité de ces rencontres qui perdurent depuis plus de dix ans et qui sont des moments d'échanges de haute qualité.
Le type d'écriture de Moi, Corinne Dadat en faisait un spectacle qui avait toute sa place dans ce type de manifestation. J'ai eu aussi la chance de pouvoir discuter du propos avec le metteur en scène Mohamed El Khatib. Autant le dire tout de suite je lui ai exprimé beaucoup de réserves. J'ai pu échanger avec lui sur chacun des points qui ont heurté ma sensibilité. Néanmoins il ne m'a pas apporté de réponse qui puisse me faire changer d'avis, bien au contraire et c'est par discrétion et par respect pour les personnes en cause que je ne reproduirai pas les termes de notre conversation.
Par contre je vous livre un avis, qui n'est que le mien, même si le lendemain de la représentation beaucoup de personnes émettaient des réserves semblables aux miennes. Il n'y a pas de raison que je me taise puisque lorsque je suis enthousiaste vous le savez tout autant.
Mohamed El Khatib emploie le terme de "poème scénique" pour caractériser ce spectacle qu'il a eu l'idée de monter à force de côtoyer Corinne Dadat, femme de ménage dans la salle de travail où Mohamed animait un atelier théâtre à Bourges. Tous deux ont ce qu'on appelle un fort tempérament. Un soir le metteur en scène présente ses excuses de laisser une salle un peu en désordre. On n'a pas eu le temps de serpiller dit-il. Corinne le chambre aussitôt en se moquant de ce néologisme : serpiller ça n'existe pas ! Ils commencent à se parler. Il décide d'écrire sur sa vie le jour où elle lui confie : vous n'imaginez pas le nombre de fois où mes bonjours se sont perdus dans le vide, alors je ne parle plus.
Sans doute aussi parce que sa propre mère est ou a été femme de ménage, l'homme de théâtre a perçu qu'il tenait là un sujet intéressant. Il a eu envie de donner la parole à une de ces personnes que l'on écoute insuffisamment et jusque là je trouve son intention excellente.
Ce qui me gêne par contre c'est de lui faire jouer son propre rôle sur la scène. Ses difficultés seraient touchantes si on se trouvait face à un film documentaire. Elles sont d'un autre ordre quand on la compare, et c'est inévitable, au second personnage de la pièce, une danseuse contorsionniste beaucoup plus jeune, mais elle aussi usée par le travail.
Le malaise grandit quand on réalise qu'elle interprète une femme de 55 ans qui n'a plus de rêve alors qu'elle est en train de réaliser le sien, en étant sur scène, parce que cela lui permet de gagner enfin plus d'argent, et d'acquérir une forme de reconnaissance.
Depuis sa création il y a exactement deux ans sur la Scène Nationale d’Orléans il ne cesse de tourner, en France mais aussi à l'étranger. Après l'Angleterre une représentation serait programmée à New York. On peut le voir cet automne au Monfort. Il sera au théâtre de la Colline au printemps. mais après ? Qu'adviendra-t-il des rêves de Corinne quand les feux de la rampe seront définitivement éteints ? On sait combien le retour à la réalité a été rude pour les non-acteurs qui ont gravi les marches de Cannes avant de sombrer dans l'oubli. Je pense notamment à la situation dramatique d'Osman Elkharraz qui a été si bien racontée dans Confessions d'un acteur déchu.
Ce sont des petits détails qui construisent l'adhésion (ou le rejet) du public. Car le spectateur est binaire : il aime ou il rejette. On pourra ensuite analyser, concéder, admettre, convenir, mais la première impression persistera, celle-là même dont Talleyrand prévenait qu'il fallait s'en méfier, parce que c'est ... la bonne.
Vingt-quatre heures après avoir vu Moi, Corinne Dadat, je restais sur la colère et je ne m'inquiétais pas de la dire, persuadée que d'autres que moi encenseraient le spectacle. Voici quelques-unes de mes réserves. Elles ne sont pas de l'ordre de l'impression mais la conséquence de faits concrets.
L'agacement commence avec le titre, Moi, Corinne Dadat ... qui rappelle Moi, Président de la république je vous promettrai la lune, sauf que pour Corinne la lune ne brille pas dans le ciel.
Il a continué en remarquant que l'interprète principale lisait son texte sur un prompteur avec un manque de naturel contrastant avec la situation puisque ce sont à peu près ses propres mots qu'elle redit à chaque représentation. Ceci étant ne pensez pas que je lui jette une quelconque pierre. Etre comédienne est un métier difficile qui ne s'improvise pas, surtout au théâtre où il faut être parfait tous les soirs. Une seule prise ne suffit pas comme au cinéma.
Mohamed El Khatib est sur scène lui aussi, rejouant la scène d'anthologie où Corinne lui fait remarquer que serpiller n'existe pas. Est-ce pour démontrer que cela existe qu'il fait "serpiller" le sol de la scène par la danseuse qui s'exécute avec sa très longue chevelure dans un premier moment d'une obscénité pour moi insoutenable. Le boulot ne doit pas être satisfaisant puisque Corinne repasse derrière, avec "sa" grosse machine, laquelle la conduit plus qu'elle ne la pousse.
Deuxième scène horrible quand Corinne balaie au sens propre le corps de sa rivale.
Les clichés sont des caricatures : blonde versus brune, vieille versus jeune. Tout alimente un machisme insupportable. Dans un long monologue, Elodie la danseuse, s'excuse de ne pas s'être (pas encore) fait sodomiser comme si c'était un rituel essentiel pour être une vraie femme ... La question soulève le coeur : c'est quoi une femme ... de ménage, ... ou pas.
A la fin Corinne avale devant nous en fond de scène le contenu des flacons de produits d'entretien. On se doute que ce n'est que de l'eau mais l'image est là, terrible, à l'instar de l'avaleur de sabre ou du cracheur de feu. Corinne flambe sa vie et le spectateur se sent voyeur. Comment sourire, applaudir et poursuivre notre route comme si de rien n'était ?
J'ai senti les deux femmes salies et je me suis sentie sale aussi. Michel Didym soulignait combien la Mousson d'été avait pour fonction de maintenir des espaces de rêve. Et ce soir là avait un goût de cauchemar.
Moi, Corinne Dadatun spectacle de Mohamed El Khatib
avec Corinne Dadat, Élodie Guezou, Mohamed El Khatib
Les 18, 19, 25 et 26 nov. 2016 à 21h
Monfort en collaboration avec le théâtre d ela Ville
Au Monfort en collaboration avec le théâtre de la Ville
106 rue Brancion, 75015 Paris, 01 56 08 33 88
Du 22 mars au 1er avril 2017
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
Au théâtre national de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris, 01 44 62 52 52
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