Depuis que Sarah-Jane Sauvegrain avait présenté son travail à l'occasion de l'annonce de la saison de La Tempête au printemps dernier, j'avais très envie de découvrir la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia et la déception fut à la hauteur de mes espérances.
C'est l'impression qui m'envahissait à la fin du spectacle même si la rencontre qui a eu lieu ensuite avec les comédiens m'a permis de nuancer mon point de vue. Sauf que comprendre et aimer ... n'obéissent pas au même processus.
C'est l'impression qui m'envahissait à la fin du spectacle même si la rencontre qui a eu lieu ensuite avec les comédiens m'a permis de nuancer mon point de vue. Sauf que comprendre et aimer ... n'obéissent pas au même processus.
Ceux qui estiment que je suis très (trop ?) enthousiaste dans mes chroniques admettront que je ne suis pas systématique.
Commençons par le positif. Le jeu des comédiens est sans reproche. L'idée du metteur en scène d'avoir demandé à Jan Hammenecker (qui joue le mari, mais à ce stade on ne le sait pas encore) de commencer par quelques-unes des questions que Max Frisch a proposé dans son "Journal" est excellente.
Habillé en costume gris anthracite, comme on peut en porter aujourd'hui, il interroge le public devant un voile blanc qui occulte totalement le décor. Les interrogations attisent la curiosité du spectateur qui se demande si c'est bien à Musset qu'on les doit.
Il commence par un timide bonjour. On pense qu'il appartient au théâtre et qu'il va nous rappeler d'éteindre nos portables. Pas du tout. Il nous demande qui nous aurions préféré ne jamais rencontrer. A peine avons-nous digéré cette question inattendue qu'une autre arrive : Quel mort aimeriez-vous revoir ? Puis une suivante : Quel âge aimeriez-vous atteindre ?
L'interrogatoire prend une tournure surréaliste qui provoque des réactions dans l'assistance, quelques rires et parfois même des réponses. Max Frisch est un romancier, essayiste et auteur dramatique suisse de langue allemande parmi les plus traduits dans le monde. Plus de 250 questions ont été publiées dans son journal (1966 – 1971) autour de sujets comme le mariage, les femmes, l’espoir, l’humour, l’argent, la propriété… Elles n’appellent sans doute aucune réponse mais provoquent une introspection à l'intérieur de chacun de nous.
La musique monte et le comédien fait tomber le voile qui révèle un chaos. Pourquoi avoir choisi une cheminée demandera-t-on à l'équipe après le spectacle ? Ce n'est pas cela que le scénographe a voulu représenter mais une sorte de théâtre écroulé et figé dans une coulée de lave du Vésuve puisque l'action se situe à Naples.
On découvre effectivement un cadre qui évoque un linteau surmontant un foyer devant lequel les personnages semblent minuscules, comme au cinéma suite à un effet spécial. Cette image lilliputienne est si forte qu'il est difficile de voir autre chose. De plus la scène est glissante, parsemée d'irrégularités et d'anfractuosités (avec une sorte de grande flaque d'eau où les comédiens iront s'asperger) et on souffre un peu de les voir évoluer dangereusement.
Il parait que c'est voulu. Ce qui me semble dommage c'est de n'avoir pas poussé plus loin le parallèle avec Max Frisch (dont Frédéric Bélier-Garcia connait bien l'oeuvre puisqu'il a monté plusieurs de ses pièces). L'homme a été architecte avant d'être écrivain et il y aurait eu, de mon point de vue, un lien intéressant à faire avec ses croquis.
Monter les Caprices de Marianne dans la version originale (non censurée de 1833) d'Alfred de Musset est à mettre au crédit du metteur en scène. La pièce n'avait été jouée qu'en 1852, massacrée par la plume même de l'auteur pour convenir aux censeurs.
On annonce une comédie mais c'est un drame qui se déroulera, comme le funeste décor le suggère. Il suffit d'écouter le texte, sombre dès les premiers mots : Il n'y a plus d'amour, plus de gloire, qu'une épaisse nuit sur la terre.
Quand la vieille Ciuta (magistralement interprétée par Yvette Poirier) révèle à Marianne (Sarah-Jane Sauvegrain) l'amour que lui porte Coelio ( Sébastien Eveno) on sent tout de suite poindre la tragédie. Un je ne sais quoi de shakespearien s'est infiltré. Est-ce la proximité phonétique du nom du héros avec le duc Orsino, de la Nuit des Rois ou celle d'Hermia, sa mère, qui rappelle Hermione du Songe d'une nuit d'été ?
On se doute que les amours seront contrariés et que tout cela finira mal. Alors deviner le fredonnement de la chanson Jour de neige qui fut le grand succès d'Elsa en 1988 et plus tard les paroles de la Solitude m'ont autant dérangée que la chorégraphie rockissime accompagnant la scène de l'assassinat.
Je m'attendais presque à entendre les paroles de Michel Delpech Dieu que Marianne était jolie ... alors qu'à tout prendre j'aurais choisi un So long Marianne qui aurait été d'actualité avec la mort de Léonard Cohen (et la puissance des sentiments que le chanteur lui a témoigné jusqu'à ses derniers instants).
Peut-être suis-je réfractaire à ce romantisme là. J'ai très envie de vérifier en allant lire le texte original de Musset dont, j'en conviens, on se fait une idée fausse. Il a écrit en pensant d'abord être lu. Et j'aimerais mieux comprendre cette maladie d'idéalité qui conduit Coelio au sacrifice de soi. Et puis enchainer avec Léonce et Léna puisqu'il est ressorti de la conversation qui a eu lieu en bord de plateau après la représentation que Buchner se serait inspiré de Musset pour l'écrire.
En tout cas, Frédéric Bélier-Garcia, qui a une formation de philosophe, est parvenu à surprendre le spectateur et c'est bien une des premières fonctions du théâtre.
Les caprices de Marianne
d'Alfred de Musset
mise en scène Frédéric Bélier-Garcia
avec Marie-Armelle Deguy en alternance avec Laurence Roy, Sébastien Eveno, Denis Fouquereau, Jan Hammenecker, David Migeot, Yvette Poirier, Sarah-Jane Sauvegrain et la participation de Lucie Collardeau en alternance avec Daphné Achermann et de Jean-Christophe Bellier, Olivier Blouineau, Jean-Pierre Prudhomme
décor Jacques Gabelau Théâtre de la Tempête - salle Serreau
Du 10 novembre au 11 décembre 2016
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
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