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mardi 13 décembre 2016

Le vin et moi de Jacques Dupont

A force de chroniquer des livres, d'en recevoir beaucoup, d'aller en chercher aussi à la manière des amateurs de champignons qui ne peuvent freiner leur désir de récolte dans le moindre sous-bois, j'avoue que mon appétit était rassasié. C'est sans doute à mon sixième sens, semble t-il hyper développé, que je dois d'avoir sollicité le Vin et moi d'un certain Jacques Dupont dont le nom ne me disait pourtant rien.

Ce n'est pas la couverture qui m'avait motivée et qui, l'auteur le reconnaîtra, n'est pas plus alléchante qu'une de ces étiquettes dont il fait le procès dans son livre. Le flair sans doute. Quelle riche idée ! Je lui dois d'intenses fous rires. Sa manière de raconter les voyages de presse relève du chef d'œuvre. Le livre entier se boit comme du petit lait. Je me demande si je vivrais semblable plaisir au cours d'un moment de dégustation en sa compagnie ... A-t-il à la vie un humour aussi dense et aussi virevoltant ?

L'auteur décrypte les abus stylistiques qui égarent le consommateur lambda à qui on veut faire avaler qu'une piquette serait "minérale" (p. 35), ou qu'un breuvage par trop astringent vibre d'une tension dans les tanins. Mon père, qui avait développé son propre lexique, qualifiait ce genre de vin d'un jugement sans appel : c'est de la Watermann ! allusion à la couleur (et à l'acreté) de l'encre que son vieil instituteur versait dans les godets des pupitres d'écolier.

Pour éviter de vexer un ami persuadé d'avoir dégoté la meilleure bouteille de derrière ses fagots, alors que l'impétrant avait attendu bien trop longtemps pour ouvrir ladite bouteille, il s'extasiait sur la madérisation du breuvage. En clair, il avait perdu ses arômes. Tous les vins n'ont pas le talent de bien vieillir. J'ai appris avec lui à reconnaître un vin bouchonné. On le gardait alors pour le jour suivant confire un canard et on s'empressait d'ouvrir une autre bouteille.

Avoir du vocabulaire est une aide précieuse. J'ai si souvent fureté en forêt en compagnie de mon grand-père, que je distingue la différence entre une effluve de girolle et un parfum de cèpe. Un tapis de feuilles de chêne n'a pas de rapport avec une couche d'aiguilles de pin. Mais pour un citadin l'expression "feuille humide" ne doit pas évoquer le moindre souvenir heureux. Astringent est alors plus parlant que fougère, néanmoins plus poétique. Quand à la famille des empyreumatiques, pour désigner le pain grillé, l'amande torréfiée, le feu de camp, on se doute que "brûlé" serait moins glamour.

Je peux prétendre m'y connaître en poivre. Un chef étoilé avait envisagé de se moquer (gentiment) de moi en me mettant au défi de nommer un Timut. Quand on a humé une seule fois son arôme de pamplemousse on s'en souvient sa vie durant. Alors quand Jacques Dupont évoque le minéral poivré du Morgon, forcément cela me parle. Tout autant que les liens qu'il trace entre silex et Chenin ou craie et Champagne. J'ignore tout cependant du goût de souris (p.51), non pas que cet animal me soit étranger mais sans doute que ai-je été épargnée de rencontrer un vin exhalant cette caractéristique, qui vous l'aurez deviné, est un défaut majeur.

J'ai (déjà) eu le bonheur de goûter le meilleur vin de toute ma vie. Un Chardonnay 2014, Sous l'arbre penché de Sylvain Ravier, que j'ai bu à Annecy l'été dernier et qui s'est inscrit pour longtemps dans ma mémoire olfactive.
Cet arbre penché ... est perché sur un rocher où pousse une vigne de Chardonnay. Il est élevé en demi-muid de 600 litres. Il a une robe d'or aux reflets verts, un nez complexe de fruits exotiques et de badiane qui évoque puissamment un caramel au lait vanillé. Sa bouche est ronde, longue et puissante. Mon père aurait dit : le bon Dieu en culotte de velours.

L'ouvrage est truffé de références. Certaines inattendues (comme Montesquieu ou Seneque, Cicéron ou George Sand). La plupart érudites mais beaucoup humoristiques. Après l'allusion au bon Dieu, je ne résiste pas à cette citation de Pierre Desproges : Jésus changeait l'eau en vin et tu t'étonnes que douze mecs le suivaient partout. (p. 83).

D'autres sont évidentes avec en premier lieu Marcel Proust (p. 47), maître absolu en matière de mémoire olfactive, dont l'apprentissage est hélas absent des programmes de l'Education nationale. Aucune surprise également à l'apparition de noms d'illustres amateurs de vin, pour ne pas dire alcooliques notoires, en majorité des écrivains. L'auteur avance avec sagesse (c'est une manière de dire qu'il vaut mieux consommer avec modération) que l'alcool ne rendra pas talentueux.

L'homme raille beaucoup, depuis l'étiquette (et la contre aussi, vous savez, cette seconde étiquette, souvent bavarde, rarement explicite), en passant par les confusions les plus fréquentes (un cru est un terroir, un millésime est une année) mais il est toujours sérieux et il pointe avec justesse les multiples compétences que requiert désormais le métier de vigneron (p. 18), viticulteur depuis le XIX° siècle. Son livre nous apprend beaucoup de choses. J'ignorais le sens de la caudalie (p. 56), et je place abusivement une majuscule aux crus alors que seuls les noms de lieu la méritent. J'ai du mal à ecrire que je bois un saint-émilion, alors que le correcteur orthographique l'admet volontiers.

Jacques Dupont ne fait pas l'impasse sur l'ivresse, un mal auquel il consacre un chapitre entier. On y croise, c'était inévitable, Bukowski dont j'ai chroniqué récemment le carnet taché de vin. Mais Il conseille pourtant comme lieu de cure Bourgueil, Irancy ou Julienas.

Il rappelle le sens de Carpe diem (p.84) formule d'Horace, tant empruntée, qui traite le vin comme instrument de sociabilité, capable de soigner et de rendre heureux. A condition d'en faire un usage raisonné, intelligent. Sa formule Carpe diem ne signifie pas autre chose qu'une préconisation à apprécier le moment présent et non une injonction à la débauche qui s'accompagnerait d'une formule du type après moi le déluge !

Il a la bonne idée de consacrer un chapitre à ces héros anonymes de la vigne qui effectuent un parcours exemplaire de reconversion dans l'univers du vin. Ils contribuent à moderniser ce que Jacques Dupont appelle la légende des ceps dans un chapitre plutôt émouvant.

L'auteur ratisse la polysémie du terme "naturellement" (chapitre VI) en nous rappelant que le Porto n'aurait jamais eu le goût qu'il a si le vin était resté "dans son jus" (p. 148) puisqu'il est le résultat d'un ajout d'alcool au vin pendant la fermentation. Et ce sont les Hollandais qui ont découvert, bien avant Pasteur, qu'en brûlant un bâtonnet de soufre à l'intérieur d'un tonneau celui ci s'en trouvait assaini.

C'est sans surprise que  l'on voit arriver le nom de Jules Chauvet, l'initiateur des vins naturels et son fils spirituel Marcel Lapierre.

Son propos semble honnête et sagement à l'écart d'une mode dogmatique. Son credo est simple et imparable : goûter à l'aveugle. Si le vin est bon, en parler. Avec pour règle d'or que le plaisir doit dépasser les défauts.

Il termine en toute logique en fustigeant les travers marketing du sourcing et autres diktats anglo-saxons en se moquant tout autant que précédemment à propos des voyages de presse, des mails (pardon, courriels) dont l'objet est un Save the date péremptoire. Je parie que nous avons reçu tous les deux la même invitation à ce Cheese Day qui n'aura plus lieu en 2017 au Pavillon Ledoyen (mais le 20 février à L'intercontinental), pris d'assaut par une horde d'affamés pique-assiettes sous l'oeil furieux d'un Yannick Alléno jurant qu'on ne l'y reprendrait plus. Je comprends que Jacques Dupont ne souhaite pas s'y précipiter. Dommage pour moi.

Le vin et moi de Jacques Dupont, chez Stock, en librairie depuis le 2 novembre 2016

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