Le film sera projeté samedi dans le cadre d'une journée spéciale consacrée à l'Inde, qui est le pays "invité" cette année aux Paysages de cinéastes avec 3 autres des 6 films annoncés dans le billet du jeudi 4 juin.
Les cinéphiles pourront se concocter une journée non-stop au Rex puisqu'à l'heure du déjeuner le chef du restaurant voisin, le Chateaubriand, livrera ses secrets de fabrication et les fera déguster. La gastronomie indienne est une féérie de saveurs qui occupe une place d'honneur au panthéon de mes souvenirs gustatifs. C'était très loin, il y a très longtemps, un moment imprévu, dans le district de Ghirardelli, au cœur du quartier Fisherman's Wharf. J'avais découvert dans une ancienne chocolaterie reconvertie en galerie marchande un restaurant, probablement le Gaylord India restaurant, qui semble toujours exister. Jamais depuis je n'ai éprouvé pareille émotion culinaire ... L'idée de relier la cuisine et le cinéma est un temps fort du festival. C'est un principe que je salue car j'apprécie tous les ponts qui sont jetés entre nourriture intellectuelle et nourriture physique. La ligne éditoriale du blog en témoigne (même si cette quinzaine est résolument plus cérébrale que morphale)
Né au Bengale, dans une famille aisée, d’un père écrivain et poète, Satyajit Ray (1921-1992) reçoit une bonne éducation, et étudie à l’université. D’abord maquettiste publicitaire, il fonde en 1942 un ciné-club à Bombay, puis la Calcutta Film Society en 1947. La rencontre du cinéaste français Jean Renoir, lors du tournage en Inde du film Le Fleuve (1950) et le visionnage du film italien néo-réaliste Le Voleur de bicyclette, lors d’un voyage à Londres le décident à se lancer dans la réalisation cinématographique.
Sorti en 1973, ours d'or au festival de Berlin, Tonnerres lointains n'est pas une avant-première mais il peut encore être une découverte. Résumons l'histoire : un brahmane vit avec sa femme dans un village du Bengale, en 1942, profitant tranquillement de la crédulité des villageois et de leur ignorance pour maintenir son pouvoir sur les esprits, comme sa caste l'autorise à le faire. Sa subsistance et celle de son épouse est assurée contre consultations, remèdes et enseignement magistral. Mais la guerre gronde au loin. La Birmanie, grenier de l'Inde, a été prise par les Japonais. Le riz devient rare. Les forces se renversent. L'épicier du village devient un homme puissant. Chacun lutte pour assurer une maigre ration quotidienne … Survivre devient une obsession.
Le sujet est dur : comment rester humain dans un monde dont les valeurs s'effondrent pour une raison exogène au système ... C'est un cinéma réaliste , emprunt de compassion et d’émotion, avec une conscience politique remarquable. Il offre plusieurs niveaux de lecture. Macroéconomiquement parlant on déplore que l'Inde soit dépendant de la Birmanie pour son alimentation. Micoréconomiquement parlant les forces du village sont équilibrées.Chacun y a sa place même si on peut critiquer le fait que le brahmane perçoive un salaire sous forme de dons. Il n'empêche qu'il remplit le rôle social que tous attendent de lui.
Notre point de vue d'occidental est conditionné par nos différences culturelles et religieuses. Sans remettre en cause le système des castes Satyajit Ray pointe ce qu'il a de pervers et célèbre aussi la condition féminine. Les hommes se battent, font la guerre. Censés représenter la force et les institutions ce sont les femmes qui pourtant assurent la survie. Quitte à devoir braver les interdits quand la nourriture est une question de survie, qu'il faille pénétrer dans la forêt des tigres pour déterrer une racine d'igname, travailler malgré l'interdit social, et même se prostituer pour un sac de riz. Tout cela en conservant sa dignité quand les hommes frappent par derrière, violent et saccagent.
Satyajit Ray ne dénonce pas l'appartenance du brahmane au monde des notables. Mais il suggère que sa dépendance économique n'est pas une bonne chose. On le salue bien bas d'un Monsieur le Pandit (que j'entends comme Monsieur le bandit ...). La situation des femmes est encore plus catastrophique. Socialement inférieurs, les paysans ont par contre "la chance" de pouvoir vivre grâce à leurs terres.
Le titre, Tonnerres lointains, est une allusion au bruit des armes qui résonne dans le pays voisin. le ciel est régulièrement traversé par une escadrille d'avions, comparable au début du film à une nuée de grues. Véritables oiseaux de mauvaise augure, ils surgissent à des moments dramatiques et leur vrombissement couvre d'autres bruits (scènes de la tentative de viol, et de prostitution).
Le film aurait pu s'intituler la main. Premier plan sur une main de femme se baignant dans la rivière. Dernier plan sur celle d'une intouchable, mourante au pied d'un énorme banian, frôlant une feuille de bananier gonflée de riz. On aura entre temps suivi la main qui prépare la nourriture, qui lave le linge, qui ramène le voile, qui travaille aussi, quand cela devient permis. Comment faire autrement ? Avec le pied bien sur ...
Tonnerres lointains est un beau voyage mais il n'est pas certain que le thème ne vous dissuade d'avoir envie de manger.
Le Musée Albert-Kahn présente d'ailleurs actuellement sa collection unique d'autochromes dans le cadre de l'exposition Infinitivement Indes.
Pour connaitre tous les horaires et le programme du Festival : Le Rex, 364 avenue de la Division-Leclerc, 92290 Châtenay-Malabry - Renseignements : 01.40.83.19.81 Site du Rex : http://cinema.lerex.free.fr/
Les cinéphiles pourront se concocter une journée non-stop au Rex puisqu'à l'heure du déjeuner le chef du restaurant voisin, le Chateaubriand, livrera ses secrets de fabrication et les fera déguster. La gastronomie indienne est une féérie de saveurs qui occupe une place d'honneur au panthéon de mes souvenirs gustatifs. C'était très loin, il y a très longtemps, un moment imprévu, dans le district de Ghirardelli, au cœur du quartier Fisherman's Wharf. J'avais découvert dans une ancienne chocolaterie reconvertie en galerie marchande un restaurant, probablement le Gaylord India restaurant, qui semble toujours exister. Jamais depuis je n'ai éprouvé pareille émotion culinaire ... L'idée de relier la cuisine et le cinéma est un temps fort du festival. C'est un principe que je salue car j'apprécie tous les ponts qui sont jetés entre nourriture intellectuelle et nourriture physique. La ligne éditoriale du blog en témoigne (même si cette quinzaine est résolument plus cérébrale que morphale)
Né au Bengale, dans une famille aisée, d’un père écrivain et poète, Satyajit Ray (1921-1992) reçoit une bonne éducation, et étudie à l’université. D’abord maquettiste publicitaire, il fonde en 1942 un ciné-club à Bombay, puis la Calcutta Film Society en 1947. La rencontre du cinéaste français Jean Renoir, lors du tournage en Inde du film Le Fleuve (1950) et le visionnage du film italien néo-réaliste Le Voleur de bicyclette, lors d’un voyage à Londres le décident à se lancer dans la réalisation cinématographique.
Sorti en 1973, ours d'or au festival de Berlin, Tonnerres lointains n'est pas une avant-première mais il peut encore être une découverte. Résumons l'histoire : un brahmane vit avec sa femme dans un village du Bengale, en 1942, profitant tranquillement de la crédulité des villageois et de leur ignorance pour maintenir son pouvoir sur les esprits, comme sa caste l'autorise à le faire. Sa subsistance et celle de son épouse est assurée contre consultations, remèdes et enseignement magistral. Mais la guerre gronde au loin. La Birmanie, grenier de l'Inde, a été prise par les Japonais. Le riz devient rare. Les forces se renversent. L'épicier du village devient un homme puissant. Chacun lutte pour assurer une maigre ration quotidienne … Survivre devient une obsession.
Le sujet est dur : comment rester humain dans un monde dont les valeurs s'effondrent pour une raison exogène au système ... C'est un cinéma réaliste , emprunt de compassion et d’émotion, avec une conscience politique remarquable. Il offre plusieurs niveaux de lecture. Macroéconomiquement parlant on déplore que l'Inde soit dépendant de la Birmanie pour son alimentation. Micoréconomiquement parlant les forces du village sont équilibrées.Chacun y a sa place même si on peut critiquer le fait que le brahmane perçoive un salaire sous forme de dons. Il n'empêche qu'il remplit le rôle social que tous attendent de lui.
Notre point de vue d'occidental est conditionné par nos différences culturelles et religieuses. Sans remettre en cause le système des castes Satyajit Ray pointe ce qu'il a de pervers et célèbre aussi la condition féminine. Les hommes se battent, font la guerre. Censés représenter la force et les institutions ce sont les femmes qui pourtant assurent la survie. Quitte à devoir braver les interdits quand la nourriture est une question de survie, qu'il faille pénétrer dans la forêt des tigres pour déterrer une racine d'igname, travailler malgré l'interdit social, et même se prostituer pour un sac de riz. Tout cela en conservant sa dignité quand les hommes frappent par derrière, violent et saccagent.
Satyajit Ray ne dénonce pas l'appartenance du brahmane au monde des notables. Mais il suggère que sa dépendance économique n'est pas une bonne chose. On le salue bien bas d'un Monsieur le Pandit (que j'entends comme Monsieur le bandit ...). La situation des femmes est encore plus catastrophique. Socialement inférieurs, les paysans ont par contre "la chance" de pouvoir vivre grâce à leurs terres.
Le titre, Tonnerres lointains, est une allusion au bruit des armes qui résonne dans le pays voisin. le ciel est régulièrement traversé par une escadrille d'avions, comparable au début du film à une nuée de grues. Véritables oiseaux de mauvaise augure, ils surgissent à des moments dramatiques et leur vrombissement couvre d'autres bruits (scènes de la tentative de viol, et de prostitution).
Le film aurait pu s'intituler la main. Premier plan sur une main de femme se baignant dans la rivière. Dernier plan sur celle d'une intouchable, mourante au pied d'un énorme banian, frôlant une feuille de bananier gonflée de riz. On aura entre temps suivi la main qui prépare la nourriture, qui lave le linge, qui ramène le voile, qui travaille aussi, quand cela devient permis. Comment faire autrement ? Avec le pied bien sur ...
Tonnerres lointains est un beau voyage mais il n'est pas certain que le thème ne vous dissuade d'avoir envie de manger.
Le Musée Albert-Kahn présente d'ailleurs actuellement sa collection unique d'autochromes dans le cadre de l'exposition Infinitivement Indes.
Pour connaitre tous les horaires et le programme du Festival : Le Rex, 364 avenue de la Division-Leclerc, 92290 Châtenay-Malabry - Renseignements : 01.40.83.19.81 Site du Rex : http://cinema.lerex.free.fr/
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