J’ai été très touchée par Les nuits d’été. J’ai choisi d’illustrer cet article avec une photo qui fait écho aux dernières pages du livre, que je découvrais alors que deux minuscules rainettes se baladaient près de moi sur une feuille de yucca. Voilà une coïncidence émouvante comme je les aime. Vous en saisirez toute la saveur quand vous serez rendus page 158.
J’ai beaucoup aimé ce roman qui, hasard du calendrier, est en fait le premier que Thomas Flahaut ait écrit, au cours de sept années pendant lesquelles il travaillait de nuit en usine. Alors, il n’y a rien de curieux à ce qu’un certain Thomas en soit un des personnages principaux. Et j’ai très envie de relire Ostwald avec lequel je l’avais découvert.
Il me faudra pour cela attendre de revenir à la maison pour tendre la main dans ma bibliothèque. Je suis sur l’île d’Oléron. L’histoire se passe à l’autre bout de la France, dans le pays de Montbéliard, l’été 2016. A croire que l’Est est le territoire des usines dans la sélection actuelle des 68 Premières fois dont trois ouvrages ont pour cadre cette zone particulière.
Thomas, Mehdi et Louise se connaissent depuis l’enfance. À cette époque, Les Verrières étaient un terrain de jeux inépuisable. Aujourd’hui, ils ont grandi, leur quartier s’est délabré et, le temps d’un été, l’usine devient le centre de leurs vies. L’usine, où leurs pères ont trimé pendant tant d’années et où Thomas et Mehdi viennent d’être engagés.Ces enfants des classes populaires aspiraient à une vie meilleure. Ils se retrouvent dans un monde plus violent encore que celui de leurs parents où les machines brillent d’une étrange beauté. Mais pour combien de temps ?
L’usine est le véritable personnage principal du récit. Il existe évidemment plusieurs entités derrière ce singulier qui est un terme générique pour signifier bien plus qu’un lieu de travail. L’usine s’apprend, comme une langue étrangère (p. 8). Et il est probable qu’il faut l’avoir pratiquée pour appréhender la mélancolie qui suinte au fil des pages.
Thomas la connaît de l’intérieur. L’usine appartient à son ADN. Son grand-père a reçu le premier prix des Métallos de France et il a lui-même travaillé dans un atelier comparable à celui des Nuits d’été. Une autre caractéristique de son patrimoine est d’être issu d’une famille d’ouvriers frontaliers. C’est donc "naturellement" qu’il a écrit à propos de frontières, certaines tangibles comme les limites nationales, d’autres psychologiques, économiques, ou encore sociologiques.
Il écrit que L’usine est le terrain où se dispute une sorte de guerre froide (p. 22). J’ai souvent eu le sentiment d’assister à la dégringolade d’un monde bientôt révolu et dont il ne restera rien, si ce ne sont que des témoignages comme on peut en lire dans des livres. Ou qui seront le coeur de thèses de doctorat comme celle que Louise écrit sur les ouvriers frontaliers du Doubs.
Thomas Flahaut rend en quelque sorte hommage à Un monde qui a aboli le soleil par le sommeil. Un monde où n’existe que la succession infinie des nuits d’été (p. 27). Un monde où s’opère un combat inégal entre l’homme et la machine, dont les deux seront au final perdants.
Est-ce pour cela que ce livre est à ce point teinté de mélancolie ? D’immenses trouées de lumière traversent pourtant les chapitres, en particulier avec la description d’une nature très présente, quoique elle aussi menacée par les prochains dérèglements climatiques dont le manque de neige du dernier hiver n’est qu’un signal parmi d’autres.
Nous sommes nombreux à avoir subi, petits, ce qui s’apparentait à une menace que Thomas a entendu lui aussi maintes fois : Au pire si tu sais plus quoi faire tu vas à l’usine (p. 41).
Finalement c’est tout qui part à vau l’eau, l’usine, le travail, la nature, les relations familiales avec les « darons » … à l’exception peut-être des sentiments qu’on entretient entre copains depuis l’enfance. Pourra-t-on encore le dire dans quelques années ? Et faut-il s’en réjouir ou en pleurer ?
Quand je lis Il faut se crever au travail pour espérer être embauché la fois prochaine (p. 76) je sens les personnages proches de l’emprise que l’on dénonce à propos des femmes engluées dans un processus de maltraitance ou de harcèlement dont elles ne parviennent pas à s’extraire. Surtout quand on fixe aux ouvriers des objectifs conçus pour être inatteignables (p. 93). Et ce n’est pas du roman ! Quand l’auteur souligne (p. 75) la puissance de ceux qui possèdent et dirigent l‘usine (on pourrait entendre un pluriel) on pense aux pouacres que pointe Christophe Perruchas dans Sept gingembres et à la révolte des ouvriers de Danse avec la foudre.
J’ai eu le sentiment que le point de vue de l’auteur hésitait entre respect et regret. Entre fierté et dégoût. Il a connu la vie de ses personnage même si l’écriture l’a désormais affranchi des soucis matériels, sans le débarrasser de l’angoisse d’être lu, et donc d’un besoin de reconnaissance. Il pose la question du statut d’ouvrier pour ceux qu’on peut désigner de la x ième génération et qui ont été élevés par des parents qui rêvaient pour eux d’une autre vie, sans savoir que de toute façon il ne leur serait pas possible d’atteindre le même résultat qu’eux.
On t’a dressé pour que tu puisses pas envisager la vie autrement qu’en étant diplômé (p.148). Comme s’il était honteux d’être ouvrier, pardon … opérateur, puisque même le lexique a été modifié, sans pour autant gommer l’asservissement, pas plus que le terme de technicien de surface n’a anoblit la fonction de femme de ménage. Qu’est-ce que c’est que d’être ouvrier ? La question est subtilement posée (p. 157) et ces interrogations me sont familières parce que je les ai entendues tant de fois dans la bouche de mon père …
La façon dont Louise appréhende le monde ouvrier est différente puisque, outre un sujet de thèse, ce n’est qu’un travail saisonnier pour lui permettre de financer ses études, même si elle ne le fait pas en dilettante malgré un coté exotique (j’ignorais qu’on cultivait du tabac en Suisse).
Je partage l’analyse de l’éditeur annonçant ce roman comme une grande fresque sur la puissance et la fragilité de l’héritage social, composant le roman d’une génération, avec ses rêves, ses espoirs, ses désillusions. On sent bien que l’auteur aurait pu écrire le double tant il maitrise le sujet.
Né en 1991 à Montbéliard (Doubs), Thomas Flahaut a étudié le théâtre à Strasbourg avant de s’installer en Suisse pour suivre un cursus en écriture à l’Institut littéraire suisse de Bienne. Diplômé en 2015, il vit aujourd’hui à Bienne. Il s’initie à l’écriture de scénario et a cofondé le collectif littéraire franco-suisse Hétérotrophes, avec des auteurs issus de la filière biennoise.
Les Nuits d'été de Thomas Flahaut, éditions de l'Olivier, en librairie depuis le 27 aout 2020
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