Il fallait bien que ça arrive, la saga que Catherine Bardon a commencée avec Les déracinés s'achève sur ce quatrième tome, Un invincible été.
Les titres choisis par Catherine sont toujours pertinents. La République Dominicaine est sans nul doute le pays de l’été éternel. Il y fait un temps magnifique à longueur d’année. C’est aussi une référence assumée à Albert Camus puisqu’il est mentionné en exergue. Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. On retrouve ces mots gravés sur la pierre tombale d’Almah : A l’hiver de ma vie, j’ai découvert en moi un invincible été (p. 406) allusion explicite à sa force de caractère, faisant fi des obstacles, à l’instar de son ami Markus.
La construction de leurs vies est exemplaire, traçant une destinée extraordinaire. Une des qualités de cette saga est d’être centrée autour de trois femmes parmi des hommes qui sont eux aussi de belles personnes et qui jouent souvent un rôle de soutien. Comme Domingo rassurant Ruth : tu transformeras toujours tes rêves en réalité (p. 345).
Qu’on ne s’y trompe pas. Le soleil n’efface pas les difficultés. Ni là-bas, ni ailleurs. Les quatre pays, la République Dominicaine, les Etats-Unis, Israël et l’Autriche, où se joue l’histoire familiale sont secoués de tragédies que l’auteure nous fait revivre, comme l’attentat terroriste du World Trade Center new-yorkais qui parle à chacun d’entre nous. Ces évènements que nous avons traversés, et qui ont un rôle de marqueurs, ponctuent le déroulé des faits et solidifient les fondations du scénario.
Est-ce pour cela que, dans cet opus, davantage que dans les autres, je me suis sentie plus proche des protagonistes ? Je l’ai lu, certes sans me balancer dans une mecedora, mais sous un soleil très chaud. Les personnages me sont devenus si familiers que je me sentais incluse dans cette famille. J’ai perçu la vie s’écouler et venir la fin d’une épopée, qui coïncide avec celle de la fin de la vie d’Almah qui, jusqu’au bout, aura été une femme forte. Elle mourra à 101 ans, âge symbolique en référence à celui où le pionnier qui a raconté cette épopée à Catherine a quitté notre terre. Bien sûr, elle éprouve toujours une reconnaissance infinie à son égard. Et elle lui rend hommage dans la postface.
L’émotion s’installe dès le prologue, qui lève le voile, et qui, clin d’œil aux fidèles lecteurs, s‘achève sur le titre du précédent volume. On reconnaît bien le caractère volontaire de Catherine avec le recours à la formidable injonction de Gide : il ne tient qu’à moi (p. 16).
C’est Ruth qui raconte, elle dont Catherine nous confie qu’elle aime écrire (p. 33). Pas question de démarrer avec la nostalgie. C’est une fête qui se profile d’abord, comme un écho joyeux au Bal des débutantes vécu par Almah dans son pays natal, celle de la Quinceañera (p. 17). Ce quinzième anniversaire est un moment exceptionnel dans la vie d’une jeune fille en Amérique du Sud. J’en ai constaté l’importance au Mexique, même si l’arrivée des 30 ans y est aussi un cap dans la vie des « jeunes » gens. Beaucoup de comportements sont communs aux deux pays, comme l’habitude de ne jamais poser un sac sur le sol car cela éloignerait la prospérité (p. 310).
Pour le moment, et depuis son retour à Sosúa, Ruth se bat aux côtés d’Almah pour les siens et pour la mémoire de sa communauté, alors que les touristes commencent à déferler sur l’île tandis qu’Arturo et Nathan mènent leurs vies d’artiste aux Etats-Unis. Gaya affirme son indépendance et part dans ce pays comme le fit sa mère. Elle poursuivra son propre combat, écologique, et son activité dans la biodiversité sous-marine, inspirée de personnes que l’auteure a connues, dans ce pays qui est malgré tout un des plus vulnérables du monde au changement climatique (p. 276). La République dominicaine est très affectée par les cyclones, plus de pluies, ses côtes qui se redessinent.
La tribu Rosenheck-Soteras a fait sienne la maxime de la poétesse Salomé Ureña : « C’est en continuant à nous battre pour créer le pays dont nous rêvons que nous ferons une patrie de la terre qui est sous nos pieds ». Mais la grande histoire, comme toujours, les touchera de près. De l’attentat des tours jumelles au terrible séisme de 2010 en Haïti, en passant par les émeutes en République dominicaine. Chacun tracera néanmoins son chemin, malgré les obstacles et la folie du monde, nous donnant par là-même un message de résilience et d’espoir.
Chaque tome de cette saga aura été un roman et c’est bien plus agréable à lire qu’une fresque historique qui n’aurait pas eu ce panache, ces accents d’envolées lyriques qui nous ont pris au coeur. En refermant le quatrième volet de cette impressionnante fresque romanesque, j’ai le sentiment d’avoir davantage suivi des « enracinés » que le contraire. Catherine Bardon a vraisemblablement mis beaucoup d’elle dans ses personnages et bien lui en a pris. On sent tout l’amour qu’elle porte à ce pays dont elle a sillonné chaque kilomètre carré depuis une trentaine d’années. Elle va jusqu’à rebaptiser (et elle ne le cache pas) une plage plus belle qu’un paysage de Klimt (p. 296) en lui donnant le prénom d’Almah. Et le récit est émaillé d’évènement régionaux, la construction d’une nouvelle route, du Faro à Colon, qu’elle qualifie de mausolée stalinien, censé contenir les ossements de Christophe Colomb, la création du banco de la planta, afin de protéger les baleines, …
Beaucoup de citations et de références, de fils croisés entre les chapitres, font de cette lecture un parcours très enrichissant, ponctué d’expressions locales savoureuses comme des ornementations. On aurait envie de noter une infinité de phrases prononcées par Almah, comme celle-ci : Quand on est en exil, la patrie, c’est la famille (p. 302). Ou cette autre empruntée à Alfred de Musset : Je ne sais pas où va mon chemin, mais je marche mieux quand ma main serre la tienne (p. 299). Ou encore, plus légère, Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis (p. 58), une réplique d’Autant en emporte le vent.
Un épilogue, une postface, les play-lists de chaque roman (p. 417), des remerciements. On sent combien il est difficile pour Catherine de poser le crayon. La postface fourmille de conseils de visite pour celui qui voudra aller sur place, de lieux à voir, mais pour l’émotion rien de plus car son ultime recommandation est de ne « pas chercher à savoir où est la réalité et où est la fiction. Car dans cette histoire, tout est vrai » (p. 415).
Une chose est sûre : une romancière est née. On peut aussi comprendre que Catherine Bardon s’impatiente de se confronter à ses propres envies et qu’elle brûle d’écrire en toute indépendance. Car même si elle a parfois un peu enrubanné l’histoire, en prenant quelques libertés avec la réalité, mais toujours avec respect puisqu’une note de bas de page rétablit la vérité, il m’a semblé qu’elle avait acquis (et rien de plus logique) une maturité croissante au fil des pages. On sent combien il lui est difficile de lâcher les protagonistes de cette aventure qui ont fait d’elle une véritable auteure.
Cette aventure éditoriale de 4 ans n’est pas tout à fait terminée. Elle se prolonge par un cinquième, que vous aurez remarqué sur la photo, qui est la déclinaison du premier tome en bande dessinée. Je vous en parle très vite. Et puis il faut espérer que la série soit prochainement traduite en anglais, en espagnol et en hébreu pour la rendre lisible à la grande diaspora de cette communauté de Sosúa installée maintenant aux USA et en Israël. Et, pourquoi pas, rêver à une adaptation cinématographique dont je parierais que Catherine a déjà le casting idéal en tête.
Un invincible été de Catherine Bardon, Les Escales, en librairie le 8 avril 2021
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