Kent Haruf est décédé en 2014 quelques mois après la publication du roman et Nos âmes la nuit a presque valeur de message. Pour résumer à l'extrême les sentiments ont une infinité de nuances et il n'y a pas d'âge pour aimer et être aimé.
Il nous offre un roman lumineux d'une très grande délicatesse où la pudeur n'est jamais conformiste.
L'histoire se passe dans l'Amérique profonde et refermée sur elle-même où le qu'en dira-t-on peut être paralysant. Nous sommes dans la petite ville de Holt, Colorado. Addie, septuagénaire, veuve depuis des décennies, fait une étrange proposition à son voisin, Louis, également veuf et comme elle vivant seul : voudrait-il bien passer de temps à autre la nuit avec elle, pour parler et se tenir compagnie ? La solitude est parfois si dure...
Louis se rendra régulièrement chez Addie. Ainsi débute une très belle histoire, lente et paisible, composée de confidences chuchotées dans la nuit, de mots de réconfort et d'encouragement. Ensemble ils cultivent le bonheur tout simple de vieillir ensemble.
Le petit-fils d'Addie arrive dans le ménage avec ses angoisses de petit garçon tiraillé par la mésentente de ses parents. Louis apprivoise et apaise l'enfant qui renait dans ce foyer heureux. Jusqu'à ce que le père du garçonnet mette leur mode de vie en cause.
Kent Haruf raconte aussi les ravages que laisse au sein d'un couple une indifférence polie et néanmoins invisible aux yeux de la société. Les confidences d'Addie sont poignantes quand elle dit en parlant de son mari : oui j'ai pris soin de lui. je ne sais pas ce que j'aurais pu faire d'autre. Nous avions eu cette longue existence conjointe, même si elle n'avait été bonne ni pour l'un ni pour l'autre. Voilà quelle a été notre histoire. (p. 108)
Il décrit très bien la prude Amérique soucieuse de l'entretien de ses pelouses et du respect des rituels sociaux. Il fait vivre avec autant d'intensité les gestes du quotidien ou un pique-nique au bord de l'eau en nous faisant partager quelques heures d'une intensité parfaite (p. 110).
Une des originalités de son style est d'insérer les dialogues sans prévenir de cette parole par un tiret, ce qui a pour effet de placer le lecteur au plus près des personnages, comme en témoigne cet extrait (p. 95) :
On dirait que, comme pour moi, la vie n'a pas très bien tourné pour toi, en tout cas pas comme on l'espérait, dit-il.
Sauf qu'elle me parait douce aujourd'hui, en cet instant.
Plus douce que je ne mérite, en tout état de cause.
Oh mais si, tu mérites d'être heureux. Tu ne crois pas ?
Le roman se lit vite, trop vite. On quitte Addie et Louis à regret en se murmurant qu'ils ont raison de nous alerter : le bonheur n'attend pas à demain.
Ils m'ont donné envie de découvrir très vite Le Chant des plaines dont on m'a dit que c'était le grand succès international de Kent Haruf, (Robert Laffont, collection "Pavillons", en 2001).
Nos âmes la nuit de Kent Haruf, traduction de Anouk Neuhoff chez Robert Laffont, en librairie depuis le 1er septembre 2016
1 commentaire:
Quel beau livre, effectivement ! Merci pour le conseil de lecture !
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