Quand nous avions abordé le thème de son prochain livre, au moment de la sortie de La Promesse de l'océan, Françoise Bourdin m'avait annoncé que le personnage principal était victime d'un burn-out. Elle tient beaucoup à écrire en étant en prise directe avec les réalités contemporaines et elle a voulu explorer les ressorts de ce qu'on annonce comme le mal du siècle.
Je salue ce principe tout comme sa manière de situer ses romans dans un environnement géographique bien défini. La promesse de l'océan m'avait donné envie d'aller à Erquy, ce que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de faire peu de temps après avoir terminé le livre. Cette fois elle suscite un vif intérêt pour Manhattan-sur-Mer (comme l'appelle l'écrivain Christophe Ono-dit-Biot) à savoir Le Havre dont j'ignorais l'inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2005.
J'avais de la cité une image assez négative, comme pour toutes ces villes reconstruites avec une symétrie glaciale après les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Et voilà que je me verrais bien scruter l'église Saint-Joseph qui me semble avoir été inspirée par l'Empire State building. Fruit de la collaboration avec l'artiste verrier, Marguerite Huré, elle s'élève majestueusement en bordure d'océan comme un phare culminant à 107 mètres.
C'est à Auguste Perret que l'on doit la reconstruction de la ville et on peut même visiter un appartement-témoin d'époque années cinquante au premier étage du 186 boulevard Clemenceau. Sur ce même boulevard on découvrira une des premières collections impressionnistes de France (Boudin, Monet, Renoir, Sisley, Pissarro, Degas ...) au MuMa, dans une architecture moderne laissant pénétrer la lumière naturelle de l’estuaire. Il faut savoir que Monet a peint au Havre Impression de Soleil levant qui a donné son nom au mouvement pictural. Raoul Dufy a aussi puisé une forte inspiration dans cette ville.
Je m'étonne de n'avoir jamais assisté à une première au Volcan (que je cite régulièrement dans mes chroniques théâtrales et dont Françoise Bourdin m'apprend le surnom de "pot de yaourt" ). D’abord Maison de la Culture (la première créée par André Malraux en 1961), ce bâtiment conçu par l'architecte brésilien Oscar Niemeyer est aujourd’hui une des plus importantes scènes nationales en France.
Le Havre a séduit de nombreux cinéastes (comme Aki Kaurismäki ) et beaucoup d'écrivains y ont planté leur décor. Une promenade littéraire, inaugurée en septembre 2014, atteste de cette inspiration artistique de Linda Lê à Maylis de Kerangal, en passant par Julia Deck.
Je flânerais volontiers dans les Jardins Suspendus et je me sens prête à aller boire un verre à Sainte-Adresse dans ce café joliment nommé Au Bout du monde (p. 49) et qui existe dans la réalité. On peut faire confiance à Françoise. Elle a toujours de bonnes recommandations à faire.
Face à la mer n'est pas un guide touristique. C'est un (vrai) roman qui a toutes les qualités qu'on aime chez cette auteure populaire (ce n'est pas ironique de ma part) : un sujet qui interroge, des personnages au caractère bien trempé mais qui se trouvent à un tournant de leur vie, une famille un peu compliquée, un décor qui a un rôle à jouer.
Mathieu tient une librairie indépendante depuis plus de vingt ans. Il a consacré sa vie à son entreprise, et le succès est là. Un divorce l'a empêché de voir grandir sa fille, Angélique. Mais sa fille est de retour depuis quelque temps et c'est elle d'ailleurs qui intervient quand son père décide de tout plaquer. Malgré sa jeunesse et son manque d'expérience, elle décide de veiller sur la librairie et de motiver chaque jour les employés, quitte à négliger ses études.
Déprimé, apathique, Mathieu a trouvé refuge à Sainte-Adresse, dans la maison de son vieil ami César qui vient de mourir et qu'il a acquise en viager. Tess, sa compagne amoureuse est impuissante à l'aider. Son ex-femme, comme ses quatre frères, ne comprennent pas les raisons de sa crise. Tandis que Mathieu tente de trouver dans son passé l'origine du mal qui l'anéantit, les cousins de César débarquent d'Afrique du Sud, bien décidés à récupérer l'héritage dont ils s'estiment spoliés.
Françoise Bourdin nous a habitué à mettre en lumière un métier. Cette fois c'est celui de libraire, dont elle ne cache pas les faiblesses, consécutivement à la progression des ventes en ligne. Elle en révèle les contraintes économiques mais sans occulter l'angle de la passion et du partage, qui sont des conditions nécessaires pour arriver à tenir face à la concurrence.
A l'instar de Marc Welinski dans Sortie de piste, elle laisse Mathieu s'adresser régulièrement en pensée et même à voix haute à un ami décédé, comme si son âme bienveillante était disposée à lui venir en aide. le thème de l'au-delà semble devenir récurrent.
Dès les premières pages Françoise Bourdin donne une clé pour expliquer la subite dépression de Mathieu, un libraire dont les affaires sont pourtant prospères et dont la petite amie est une adorable jeune femme : il a toujours senti que sa mère ne l'aimait guère et aurait compensé ce déficit par une hyperactivité dont le but aurait été de prouver sa valeur.
J'ai apprécié cette lecture mais je n'ai pas été totalement convaincue par l'analyse du burn-out. Je suis d'accord avec elle quand elle souligne que même les plus forts sont des candidats potentiels. J'approuve aussi qu'elle pointe la grosse incompréhension de l'entourage qui attribue la manifestation à un excès de travail alors que ce n'est qu'un déclencheur.
De là à conclure que la racine est à débusquer dans l'enfance comme si la cause ne pouvait qu'être interne il y a un énorme pas que je ne franchis pas. Et puis il me semble qu'après être descendu très bas au fond du trou Mathieu s'en sort finalement assez vite en repartant de plus belle, ce qui empêche qu'on se projette sur lui. Ce n'est qu'un homme de papier, je l'avais un instant oublié ... ce qu'on peut voir comme une forme d'hommage à l'écriture.
Face à la mer de Françoise Bourdin chez Belfond, en librairie le 15 septembre 2016
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