Le syndrome de la vitre étoilée est annoncé comme un roman mais le livre tient plutôt du journal, même s'il n'est pas rigoureusement autobiographique et que les dates ne sont pas le fil conducteur de la narration.
Sophie Adriansen explique très vite le choix du titre (p. 11) : La vitre étoilée, c'est celle du flipper qui, sous les coups des joueurs frustrés d'avoir laissé échapper la bille, se brise sans se disloquer. Les fissures lui confèrent un aspect céleste. C'est quand tout est brisé à l'intérieur alors qu'à l'extérieur tout semble tenir. On peut même trouver ça joli. Après généralement, ça fait tilt.
C'est le yoga qui lui permettra de toucher (p. 234) tous les bumpers, de faire s'évanouir toutes les cibles tombantes. Pour que ça sonne et ça clignote à tout rompre. Le compteur de points s'emballe. Jackpot.
Quelques autres autres clés figurent au début de l'ouvrage. La référence à Martin Winckler, immense médecin et auteur du Choeur des Femmes (que nous avions découvert Sophie et moi lorsque nous étions jurés du Grand Prix des Lectrices de ELLE), et qui a depuis écrit En souvenir d'André sur le thème délicat de la fin de vie. Son analyse de la série du Dr House n'est pas moins passionnante.
Citer ce praticien, aujourd'hui installé au Québec, témoigne d'un regard particulier sur la relation médecin-patient. Les points d'accord entre Sophie et moi à ce titre sont nombreux.
Enfin la couverture réalisé par Mélanie, talentueuse graphiste Chez Gertrud évoque artistiquement et avec pudeur l'attente d'enfant dans un couple.
Ce livre parle de désir d'enfant et de procréation, naturelle ou assistée. Mais c'est avant tout une histoire de renaissance. En commençant par devenir le personnage principal de sa propre vie (p. 252).
Sophie a glissé (évidemment) des éléments vécus (trop drôles les quelques lignes sur les grandes jambes ... p. 245) et revendique clairement l'autofiction, ce qui ajoute de la force à la démonstration. Si elle n'a pas fait de travail d'enquête préalable à l'écriture il est probable que le sujet va donner lieu à une suite parce qu'il résonne intimement dans l'histoire de beaucoup de femmes et provoque des confidences.
Tomber enceinte (l'expression n'est pas des plus élégantes comme le souligne Sophie dans une page récapitulative assez amusante) est une catastrophe dans la vie de certaines femmes. Mais il faut savoir qu'un couple sur cinq rencontre des difficultés pour avoir un enfant. Le parcours du combattant est un parcours de combattante car c'est toujours la femme qui est traitée même si l'infertilité est masculine. Outre les désagréments des traitements, les conséquences à long terme sont souvent catastrophiques, comme la multiplication des cancers hormono-dépendants. Bien entendu le "corps" médical est muet à ce titre, tirant gloire de l'arrivée d'un bébé Amandine ...
Je ne dis pas que la PMA est inhumaine, quoique ... Il y a une grande marge de progression à faire en terme de progrès sur le plan de l'accompagnement psychologique, réduit à zéro encore aujourd'hui (peut-être même plus que dans les années 90).
La question du pouvoir de l'esprit sur le corps est au centre du "roman". Rien d'étonnant à ce que le yoga prenne une place si importante dans la seconde moitié du livre.
L'ouvrage est original. Les niveaux de lecture sont multiples. Une histoire se déroule au fil des chapitres intitulés "maintenant". Entre temps Sophie aura intercalé des citations prélevées dans des livres, des films ou des chansons, dont elle donnera les références à la fin (p. 349). Plusieurs émanent sans surprise du livre de Julie Bonnie, Chambre 2. J'ai adoré retrouver cette phrase de Louis Aragon : je suis pleine du silence assourdissant d'aimer.
On y découvre si on est de nature fidèle ... ou pas (p. 172). On peut comparer des listes. Celle des expressions avec tomber (comme tomber enceinte ... p. 216) avec celles qui signifient être enceinte (p. 109).
Elle m'a donné envie de découvrir la cuisine tibétaine, sans me convaincre sur le yoga parce que je sais (hélas) que je n'ai pas le don pour. Sophie a l'art de l'analyse et on a toujours à gagner quelque chose à la lire. Un exemple (p. 255) : Réaliser ne veut pas dire admettre ni accepter. Mais réaliser est la première étape.
J'ai chroniqué presque tous les livres de Sophie Adriansen. Celui-ci est sans nul doute le plus particulier et il mérite d'être dégusté plusieurs fois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire