Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 24 avril 2019

Caroline Vigneaux croque la pomme

Quel tempérament ! Caroline Vigneaux défend la cause des femmes avec humour, pertinence et talent. C’est notre meilleure avocate ! Chacun de ses mots fait mouche.

Cette ancienne avocate (je pense qu'on reste dans l'âme avocat toute sa vie) ne fait pas d’effet de manche mais sa manière de tirer sur sa veste de smoking rouge signifie bien qu'elle ne va pas se laisser impressionner.

Elle a mis tout de suite les points sur les i en intervenant sur le message d’accueil du Grand Point Virgule : nous n'allons pas assister à un One-Man-Show mais à un One-Woman-Show. La précision est motivée par les 6023 années de domination masculine que les femmes subissent à cause de deux culs nus qui ont bouffé une pomme.

Le ton est donné. L'humoriste pratique le parler vrai, sans crainte de choquer et elle a raison. On passe en sa compagnie une soirée décoiffante. Il est probable que les trentenaires actuelles vont tomber de leur fauteuil et penser qu’elle fabule, ou qu'au minimum elle exagère. Pourtant non, inutile de courir vérifier ses propos à la BNF (elle semble y avoir mené ses recherches pour écrire le spectacle). Je suis sûre que tout est exact, ... et même pire encore.

C'est un coup de coeur absolu. Alors à partir d'ici soit vous me faites confiance et vous allez la voir. Je suis prête à recueillir vos doléances ... étant certaine qu'il n'y en aura pas. Soit vous avez besoin de preuves et je vais vous en donner, mais n'allez pas vous plaindre que j'en dise trop, même si, évidemment je ne raconterai pas tout. Et puis vous perdriez ses mimiques, ses intonations, ses chorégraphies ... et ses dialogues avec la salle car elle a l'art d'interroger les témoins que nous sommes de notre époque. Elle plaide le droit de toutes les femmes. Y compris celui de vieillir, sans pour autant  devenir débile.

Je ne vous donnerai que la définition féminisme : ça veut dire avoir les mêmes droits sur l’ensemble de la planète. On ne peut qu'être d'accord avec elle qui est femme, féministe, avocate : on frôle la perfection ... ce qui n'empêche pas l'humour, évidemment. Alors Wake-up les garçons !

L’intelligence de la femme est historique. La pomme est bien entendu la pomme de la connaissance qu'Eve a croqué la première et que, en bonne fille, elle a partagée avec son compagnon. Dommage qu'un morceau (d'intelligence) lui soit resté coincé en travers de la gorge. Ayant enfreint la loi divine le couple sera puni. L'homme aura comme punition de décrocher un job (voilà pourquoi il est moins touché que la femme par le chômage). Elle sera condamnée à souffrir ... Ça commence mal. Très mal, dès le début. Plus tard cela continuera et elle nous fera rire à se tenir les côtes en commentant la création de la femme. Caroline le raconte à merveille. C’est un des grands moments de ce spectacle qui en a beaucoup.

Pour comble de malchance toutes les religions sont d'accord. Celui qu'on appelle Dieu est un homme blanc, hétérosexuel, et ne parle qu’à des mecs (ses apôtres) sauf celle qui a brûlé ... on aura deviné qui s’agit de Jeanne d’Arc. Caroline Vigneault ne la cite pas et nous la fait deviner mais peu de choses resteront en suspends au cours du spectacle. En général elle explique, elle justifie, elle argumente ... bref elle plaide.

Elle appuie là où franchement ça dérange et elle a (hélas) raison : toutes les religions sont d’accord pour inférioriser la gente féminine. Quelle malchance ! À ce stade, la jeune femme prévient son public : armez-vous d’un peu de second degré sinon la soirée va être longue.

C'est sans surprise que Caroline Vigneaux confie qui sont ses modèles. Par exemple Gisèle Halimi qui fut son mentor. Elle revient sur son adolescence, racontant qu'elle a fait trois jours de grève de la faim parce qu’elle était obligée de faire le lit de son frère. Elle rassure les hommes : le frère avait d’autres sœurs.

Ce que dit Caroline est parfois flippant. J'ai été bouleversée d'apprendre que la cliente de Gisèle Halimi a été dénoncée par le violeur pour obtenir une réduction de peine. Car en 1972 le viol n'était qu'un délit (il est devenu un crime) et l'avortement un crime (donc plus condamnable que le viol, d'où la remise de peine en remerciement de la dénonciation).

Elle raconte ses débuts d'avocat commis d'office, redonne l'essentiel du contexte de la loi de 1975 autorisant l'avortement et provoque d'énormes applaudissements mais quand elle lance le nom d'Olympe de Gouges la salle répond par un grand silence. Elle réalise que le niveau va être très bas ce soir mais ne baisse pas les bras.

On ne peut pas mettre en doute sa connaissance du Code Civil (que Napoléon offrit et imposa aux Français en 1804). Et là encore ce qu'elle nous rappelle fait rager. Ce code dit clairement que la femme est donnée à l’homme pour qu’elle lui fasse des enfants. L’article 1124 de ce monument de misogynie recense les personnes privées de droits juridiques qui sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux.

Vous avez bien lu. En conséquence, il n’y a que les veuves qui puissent être libres à condition qu’elles n’aient ni frère, ni père, ni cousin, ni fils ... et je repense à l'interdiction faite aux femmes au Moyen-Age d'exercer le métier de tricoteuse, sauf à reprendre le travail de leur mari décédé.

Caroline a raison de le souligner, on gagnera l'égalité droit par droit. Et elle en donne des exemples majeurs. Le grand art de l'humoriste est de provoquer le rire. Pas celui qui libère de la gêne, mais un vrai rire joyeux parce qu'elle dégoupille tous les complexes et pointe les progrès aussi.

On apprend avec soulagement qu'en 1907 le salaire de la femme n’est plus directement versé au mari. Qu'elle peut espérer passer le Baccalauréat à partir de 1924. On applaudit à l'annonce du droit de vote en 1934. Il était temps ! Mais on déchante en apprenant qu'il est accordé aux Turques qui l'ont donc gagné dix ans avant les Françaises.

Le droit de passer le concours d’entrée dans une grande école ne signifie pas le réussir. Elles sont tout de même sept à entrer à l'École polytechnique, en 1972. Et l'orgueil masculin a dû en prendre un sacré coup quelques mois plus tard car c'est l'une d'entre elles, Anne Chopinet, née le 12 septembre 1953 à Paris, ingénieure, qui sera major de l'école, ce qui lui vaudra, cela ne pouvait pas être un homme qui le porte, de défiler en tête du cortège des diplômés sur les Champs Elysées le 14 juillet 1973.

L'Ecole navale n'ouvrira ses portes aux femmes qu'en 1992. Je ne vous dis pas à quoi correspond le pompon rouge du béret ... je laisse Caroline vous le révéler.

1975 : les hommes perdent le droit d’ouvrir le courrier des femmes ... et je me souviens de ma négociation (comment le dire autrement) avec la banque pour qu'ils inscrivent Madame devant mon nom au lieu d'un mademoiselle infériorisant. L'argument décisif a été la menace de changer de banque, et pas la loi.

1980 Jean d'Ormesson pistonne l'entrée de Marguerite Yourcenar à l'Académie Française. La même année (sans qu'il y ait de rapprochement à faire) le viol passe de statut de délit à celui de crime. Et l'avocate donne des exemples de ce qu’est un crime pour ceux qui n'auraient pas bien compris.

1990 fin du devoir conjugal, ce qui signifie que le mari n’a plus le droit de violer "sa" femme.

1991 Édith Cresson devient la première (et unique) femme Premier Ministre. Elle restera en poste moins d’un an et 18 ans plus tard nous n’avons toujours ni femme premier ministre ni femme présidente de la république.

2013 la loi interdisant le port du pantalon est abrogée. Nous étions jusque là dans l'illégalité, sauf celles qui le portaient pour faire du cheval. Un simple oubli diront les hommes de loi qui, eux ... portent la robe. Évidemment, elle ne pouvait pas se dispenser de nous amuser avec la tenue obligatoire de tout avocat pour plaider, une robe, non pas rouge comme son smoking, mais noire parce que à l’origine les avocats étaient des ecclésiastiques qui portaient donc une soutane. Elle réactive mes souvenirs de la prestation de serment de mon fils il y a quelques mois au Palais de justice de Paris. Et je m’amuse qu’elle demande à son éclairagiste de faire la lumière dans la salle afin de voir le visage des avocats qui se sont déplacés pour le spectacle. Elle s’étonne qu’ils soient si nombreux à choisir Droit social. Tout comme moi.

J'espère vous avoir convaincu d'aller la voir. Elle raconte et mime les rallyes versaillais avec une ironie cinglante qui sent le vécu. Elle semble avoir aussi une jolie expérience de la compagnie d'animaux domestiques. Elle termine le spectacle en allant encore plus loin dans les tabous en commentant la couleur bleu outremer des règles (sans doute parce que nous les filles on a le sang royal, donc bleu ... ça c'est moi qui l'ajoute), en donnant le (bon) usage du sex-toy et pour finir le parcours d’un GPS pour point G.

Elle ne pouvait pas non plus se dispenser de saluer ses rivales et parfois amies. Jusqu’au 13 mai elle se déclare l’heureuse bénéficiaire de sa nomination aux Molières et son plaisir est partageable. Elle a sans doute remporté de nouveaux suffrages le soir de ma venue car j'ai entendu un irréductible (qui cessa brutalement de l'être) hurler Caroline je vote pour toi !

Caroline croque la pomme décline le féminisme sous tous ses aspects avec une férocité acide et comique du plus grand effet. Le public n'aura pas attendu la fin du spectacle pour lui faire une standing ovation.

Caroline Vigneaux croque la pomme
De et avec Caroline Vigneaux,
Mise en scène de Caroline Vigneaux
Musique de Maxime Desprez et Michaël Tordjman
Au Grand Point Virgule
8 bis rue de l'arrivée - 75015 Paris
Du mercredi au samedi à 19 h 30 ou 20 heures
Prolongations jusqu'au 8 juin, et ensuite dans une autre salle (Bobino)

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)