Je n'avais pas vu l'été dernier au festival d'Avignon Gainsbourg forever, sous-titré Gueule d'amour, annoncé comme la restitution du parcours d’un Dom Juan pas comme les autres à travers le regard de sa sœur jumelle.
Le spectacle, dont la première a eu lieu le 2 avril 2017, "tourne" depuis deux ans et rencontre un succès mérité par l'intelligence de l'hommage.
Myriam Grélard, qui en est l'auteure et l'interprète, a voulu démontrer ce que Serge Gainsbourg doit aux femmes, faisant de lui un personnage mythique.
On l'entend sans surprise sur l'entrée du public, Bonnie & Clyde, Dieu est un fumeur de havanes ... Nous sommes dans l'ambiance malgré un décor très simple, deux chaises dont le dossier est peint de touches de piano en trompe l'oeil et un porte-manteau où pend le costume dont on se souvient le plus et que la comédienne détaillera plus tard.
Comme tous les mythes, subsistent des zones d'ombre comme la naissance de ses deux premiers enfants Natacha et Paul ... dont il n'est pas question dans le spectacle qui se concentre sur une période plus lumineuse, à partir de l'arrivée de Jane Birkin dans la vie de l'artiste.
Le spectacle commence par l'entrée en scène de sa soeur jumelle Liliane (si peu connue qu'on croirait qu'elle est imaginaire) aujourd'hui très âgée qui évoquera les mains de leur père, Joseph Ginsburg, né à Constantinople (Turquie) le 27 mars 1896 (décédé le 22 avril 1971), qui bien que d'abord intéressé par la peinture, entrera au Conservatoire de Petrograd, puis à celui de Moscou pour étudier la musique où il choisira le piano.
La comédienne devient Olga avec un simple fichu sur la tête. Elle raconte la naissance de leur petit Marcel qui mourra à seize mois d'une pneumonie, puis celle de Jacqueline en 1926.
Très vite enceinte de nouveau elle confie vouloir avorter. Elle est enceinte d'une nouvelle fille Liliane ... et d'un garçon, Lucien, lequel changera de prénom pour Serge, parce que ça fait plus russe.
Il aurait aimé être peintre, mais il sera musicien comme son père. La révélation se produira en écoutant Boris Vian (qui écrit et interprète des textes provocateurs, drôles, cyniques) au cabaret Milord l'Arsouille, où Serge est engagé comme pianiste d'ambiance pour accompagner les vedettes de l'époque, comme Michèle Arnaud qui le poussera à interpréter son propre répertoire. Le succès du Poinçonneur des Lilas est immense. Jacques Canetti, (alors directeur du Théâtre des Trois Baudets et directeur artistique des Disques Philips), le prend en main.
Son charme fait des ravages auprès des femmes. L'époque des yéyés arrive, il débute avec Juliette Gréco, une collaboration dont le point d'orgue sera La Javanaise à l'automne 1962. La magie se pursuit avec le Grand Prix du Concours Eurovision de la chanson le 20 mars 1965 gagné avec Poupée de cire, poupée de son chanté par France Gall.
Il avait enregistré Je t'aime moi non plus en duo avec Brigitte Bardot. Mais celle ci soudain affolée de la réaction probable de son mari supplie Serge de ne pas sortir le disque et celui ci, parfait gentleman fera bloquer la production. Le secret ne sera révélé que vingt ans plus tard (avec l'accord de Brigitte). Il rencontre Jane Birkin séparée du compositeur John Barry dont elle vient d'avoir une fille, Kate Barry, sur le tournage du film Slogan, en 1968. Elle le trouve hideux et macho. Le réalisateur organise pour eux seuls un dîner chez Maxim's. L'amour les enflamme. Serge offrira Je t'aime moi non plus à Jane. Ce sera le plus grand succès de chanson érotique à ce jour.
La comédienne poursuit le récit en devenant quelques instants Jane, dont elle joue le personnage en provoquant le trouble : mêmes mimiques, même accent, même timidité. C'est bluffant.
Alors qu'il se voit comme l'homme à la tête de chou c'est Jane qui lui fabrique le look que l'on connait : cheveux un peu longs dans la nuque, barbe de deux jours, chemise, blanche, jean, et lui offre sa première paire de Repetto.
Charlotte nait le 21 juillet 1971. Serge sera un papa gâteux pour les deux filles qui vivent avec lui et Jane. Mais le couple mythique ne durera pas éternellement. Jane a pris peur à la première crise cardiaque (1973) et l'escalade dans la provocation va l'effrayer de plus en plus.
Myriam Grélard devient Charlotte qui, pour expliquer le caractère de son père avait cette jolie formule : un ciel bleu, il ne savait pas quoi en dire.
Des femmes il disait les prendre pour ce qu'elles ne sont et les laisser pour ce qu'elles sont. Plusieurs des confidences qui suivent sont connues. Le personnage de Gainsbarre est à peine esquissé. Elle est persuadée que derrière la désinvolture et le désenchantement se cachaient tendresse, sensibilité et gueule d'amour. Voilà l'explication du sous-titre.
La suite va vite. Serge tombe (encore) amoureux. Bambou est gravement toxicomane. Il l'oblige à arrêter pour lui donner un dernier enfant, Lulu, qui naitra le 5 janvier 1986. Il pourra être fier de clamer : en donnant la vie j'ai sauvé une vie (celle de Bambou). Mais lui ne s'économise pas. il mourra d'une cinquième crise cardiaque le 2 mars 1991 à son domicile parisien de la rue Verneuil.
Une plaque sera dévoilée le 10 mars 2016 devant l’immeuble du 11 bis, rue Chaptal — à deux pas du musée de la vie romantique —, où vécut Serge Gainsbourg entre ses 4 ans et ses 19 ans. L’artiste fréquenta les bancs de l’école élémentaire de la rue Blanche avant d’entrer au prestigieux lycée Condorcet et de prendre des cours à l’académie de dessin de Montmartre
C’est aussi dans cet arrondissement qu'il monta sur scène pour la première fois de sa vie, rue des Martyrs, au cabaret Madame Arthur. C'est cette cérémonie, à laquelle participait la soeur de serge qui donna à la comédienne l'idée de faire ce spectacle.
Les feuilles mortes retentissent alors qu'elle esquisse quelques pas de danse en serrant dans ses bras le costume de son frère, car c'est de nouveau la soeur qui salue la mémoire de Serge. La boucle est bouclée.
Le portrait du chanteur s'imprime sur le mur de la salle sur la musique de Requiem pour un con. Le public applaudit ... et reste ... un peu secoué, et c'est normal à la fois par la puissance de l'évocation et sans doute les propres souvenirs qu'ils ont de la forte personnalité de serge Gainsbourg. Il est temps d'entendre un ultime message : je suis venu te dire que je m'en vais. Il aura trouvé l’inspiration en ces femmes qui ont fait de lui un personnage éternel.
De et avec de Myriam Grélard
Mise en scène Francois Cracosky, Myriam Grélard
Création lumière Yves Monnier
Montage son, vidéo Philippe Fleury
Tous les mercredis du 17 avril au 26 juin 2019 à 21h30
Théâtre de l'Essaion
6, rue Pierre au Lard - 75004 Paris
La tombe de Serge Gainsbourg, enterré avec ses parents Olga et Joseph au Cimetière Montparnasse, à quelques mètres de celle de Kate Barry
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