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jeudi 11 mai 2023

Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur, de Géraldine Lefebvre

Habituellement, je vais voir une exposition et ce n’est qu’ensuite que le catalogue me fait envie, pour conserver une trace du beau moment passé dans le musée. Cette fois j’ai pratiqué à l’inverse.

J’ai d’abord feuilleté le livre de Géraldine Lefebvre en regrettant de ne pas voir les oeuvres grandeur nature. Je suis ensuite allée au Musée du Luxembourg pour me régaler en pleine conscience, car je savais à l’avance devant lesquelles j’avais particulièrement envie de m’attarder.

La renommée de Claude Monet et son rôle en tant que chef de file de l'impressionnisme sont aujourd'hui parfaitement établis, mais la personnalité de son frère Léon, chimiste en couleurs, industriel rouennais et collectionneur, reste encore à découvrir, et c’est le propos de l’exposition organisée par la Rmn-Grand Palais avec le soutien exceptionnel du musée d'Orsay depuis le 15 mars dernier, et jusqu’au 16 juillet 2023 au Musée du Luxembourg

Le catalogue, intitulé Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur, met en lumière d'une part la relation, très soudée, entre les deux frères et de l'autre le rôle que Léon joua en tant que promoteur des peintres impressionnistes à l'aube de leur carrière.

Il réunit une iconographie foisonnante et inédite, donnant à voir l'intégralité des œuvres de la collection de Léon, y compris une large sélection de pages du premier cahier de dessins de Claude Monet. On peut aussi y voir des photographies jusqu'ici conservées dans des albums de famille, à côté de documents d'archives rares et de nuanciers de tissus colorés aux éclats synthétiques, témoignages de l'activité industrielle de Léon.

Reconnu pour son « intelligence vive et prompte » et son caractère « cordial et franc », Léon Monet retrouve ici, grâce aux recherches menées sous la direction de Géraldine Lefebvre, la place qui lui appartient dans l'histoire de l'impressionnisme (p. 97).

C’est un gros plan du Bassin aux nymphéas (1818-19) qui a été choisi pour la couverture du catalogue. Si l’effet est élégant et établit une sorte de pont entre les deux frères, liés par l’amour de la couleur, il est étonnant, car cette toile n’appartenait pas à Léon.

On apprendra (p. 49) la différence entre teinte et pigment.

Et c’est l’unique portrait que son frère fit de Léon en 1874 qui est l’affiche de l’exposition. Là encore on comprend la symbolique mais il faut tout de même savoir que Léon le détestait au point de le cacher. Qu’aurait-il pensé de ce choix ? 

Cette exposition va surprendre celles et ceux qui sont allés voir Monet-Mitchell à la fondation Vuitton et qui ont pris l’habitude de contempler ses oeuvres monumentales. Cette fois, rien de très grand, hormis quelques photos noir et blanc représentant l’usine où travailla Léon.

C’est une surprise. Les tableaux sont tous de taille modeste. J’avais oublié que Monet pouvait travailler dans de telles dimensions. Et pourtant, dans la dernière salle, on retrouve trois oeuvres qui avaient surpris chez Vuitton, modestes en terme de taille, dans une palette de couleurs à laquelle nous sommes peu habitués avec Monet, dans des tonalités d’orange et de rouge, que le peintre utilisait dans ses dernières années parce que la cataracte avait modifié sa perception. D’où le choix pour la couverture du catalogue.

Mais commençons par le début du parcours de visite, comme si nous pénétrions dans une maison du XIX°, aux murs peint vert céladon ou recouverts d’un papier peint gris d’où s’envolent des fleurs sauvages. C’est le magnifique Jardin en fleur de la maison familiale de Sainte-Adresse, peint en 1865, qu’on découvre, et qu’on confondrait facilement avec celui de Giverny (mais le doute n’est pas permis comme en atteste une grande photographie de la propriété en noir et blanc sur le mur opposé). On peut penser que Claude Monet aura cherché à le reconstituer plus tard.
La galerie de portraits était inévitable. C’est Renoir qui a peint chacun des deux frères, sous le titre Monet lisant, 1873 (à gauche) et simplement Claude Monet, 1875 (à droite).
Ensuite on est surpris par l’album de dessins du jeune Monet. Il n’a que 15 ans et nous sommes en 1856. Et il a fait des caricatures fort réussies et d’une drôlerie facétieuse.
L’arbre généalogique est utile. Il est d’ailleurs très détaillé dans le livre (p. 230). Dans un décrochement voici la petite nièce de l’artiste, Françoise Cauvin dont on présente quelques oeuvres (ci-dessous La patineuse). Attardez-vous sur le diaporama qui nous montre des dessins très lumineux.
Le portrait de Mme Léon Monet par Joseph Delattre vers 1865 (non photographié) apparait plus lumineux que dans le livre. ll faut bien reconnaitre que malgré tous les efforts de l'éditeur rien ne vaut le face à face avec les oeuvres originales, y compris lorsqu'elles sont protégées par une glace.

J'attendais beaucoup de la Vue de Rouen au bouquet de dahlias, 1907 de Marcel Delaunay, dont je n'avais jamais entendu parler jusque là. Dans la description qui en est faite (p. 190) les fleurs deviennent des chrysanthèmes. Le doute est effectivement permis.
J'avais remarqué dans le catalogue deux tableaux de Georges Bradberry et de Charles Frechon (magnifique reproduction p. 108) que j'aurais à tort attribués à Pissaro.
Georges Bradberry, La plaine en septembre, vers 1908
Charles Frechon, Fenaison, Rouen depuis la rive gauche, 1891-1895 
Le catalogue consacre un chapitre à l'invention du motif des Petites Dalles, une commune très agréable de la côte normande. Le turquoise domine largement et saute aux yeux. On peut s'émouvoir de penser que les falaises seront rongées par l'érosion marine dans quelques années … et que ces paysages marins appartiendront à l'histoire. 
Le chapitre consacré au japonisme donne lieu à un mur particulier (à moins que ce ne soit l'inverse), page 164 et on apprendra que le papier japonais, dit crépon, est très proche d'une étoffe. Il se caractérise par ses couleurs éclatantes à base d'aniline. Il a plus d'un siècle et demi et est demeuré d'une beauté sans pareille.

Et le tableau de Claude Monet, Intérieur ou méditation, Madame Monet au canapé, vers 1871 lui répond en écho avec un sofa au tissu qui évoque l'extrême-orient. Il est amusant d'y constater que le peintre n'a pas songé à supprimer le bas du cadre qui se trouve dans la partie supérieure et qui, aujourd'hui, serait "retouché" sans remords par un logiciel de traitement photographique.
Le répertoire de la collection (p. 186 et suivantes) donne des détails sur les oeuvres. Il est fort intéressant, mais frustrant. En effet c'est l'occasion de remarquer que l’intégralité de la collection n’était pas exposée. 
Claude Monet, La cathédrale de Rouen, le portail et la tour Saint-Romain, plein soleil, 1894
A l’inverse, il y a des tableaux qui sont accrochés et qui n’en font pas partie comme la cathédrale de Rouen ou les trois derniers, peints à Giverny et qui sont habituellement à Marmottan.
Claude Monet, La maison de l’artiste vue du jardin aux roses, vers 1922-24
Claude Monet, Le jardin de Giverny, vers 1922-26
Claude Monet, Le bassin aux nymphéas, vers 1918-19

Un film en noir et blanc montre Monet, peignant, cigarette à la bouche, sous une toile pour se protéger du soleil, en compagnie de son petit chien. Une très jolie citation de l'artiste se découvre à la toute fin de l’ouvrage : Je me sers de blanc d’argent, jaune cadmium, vermillon, garance foncée, bleu de cobalt, vert émeraude, et c’est tout.

On quitte le musée avec une interrogation. Il est difficile d'affirmer que Claude utilisa les couleurs mises au point par son frère et on attendra l'analyse pigmentaire de sa palette. En tout cas on sait que les impressionnistes ont tous employé des pigments synthétiques.

Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur, de Géraldine Lefebvre, Réunion des Musées Nationaux, publié le 15 mars 2023
Exposition au Musée du Luxembourg du 15 mars au 16 juillet 2023 organisée par la Rmn-Grand Palais avec le soutien exceptionnel du musée d'Orsay

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