J’ai lu quelques critiques sévères sur Jeanne du Barry, venant de personnes qui n’avaient pas toutes vu ce chef d’œuvre, car c’est le terme qui convient, et qui se permettaient de juger le casting.
Quelle chance pour Maiwenn, malgré les soucis que cela occasionna, que les deux stars françaises aient décliné le rôle de Louis XV, l’un par mépris, l’autre pour raison de santé (elle tait leur nom, et elle a bien raison, ce serait leur faire de la publicité). Ils doivent se sentir aujourd’hui stupides. Sans eux, le casting est de haute précision avec Johnny Depp (qui joue pour la première fois en français) et qui en impose par un simple regard, aux côtés de Benjamin Lavernhe (formidable premier valet de chambre du roi), Pierre Richard, Melvil Poupaud, Noémie Lvovsky, Pascal Greggory ou encore India Hair. Des acteurs qui portent de vrais rôles et qui ne font pas de la figuration. Et bien sûr Maiwen, absolument parfaite, capable de nous surprendre en nous faisant rire … ou pleurer.
Si pour certains plans elle porte des robes fantastiques (dont certaines ont été faites par les ateliers Chanel qui a largement aidé la production) et des coiffures inouïes, pour d’autres, elle est au naturel, comme sur cette photo que j’ai choisie pour illustrer l’article car elle résume toute la sensibilité qu’on découvre dans ce biopic très particulier.
Jeanne Vaubernier, fille du peuple avide de s’élever socialement, met à profit ses charmes pour sortir de sa condition.Son amant le comte Du Barry, qui s’enrichit largement grâce aux galanteries lucratives de Jeanne, souhaite la présenter au Roi. Il organise la rencontre via l’entremise de l’influent duc de Richelieu. Celle-ci dépasse ses attentes : entre Louis XV et Jeanne, c’est le coup de foudre…Avec la courtisane, le Roi retrouve le goût de vivre – à tel point qu’il ne peut plus se passer d’elle et décide d’en faire sa favorite officielle. Scandale : personne ne veut d’une fille des rues à la Cour. Il va donc d’abord falloir lui trouver un mari.
Je veux bien comprendre qu’on n’apprécie guère ce film si on a aimé Les trois mousquetaires. Ici, c’est tout le contraire. De longs plans séquence qui laissent au spectateur le temps de s’imprégner des lieux et des intrigues. Versailles apparaît comme on le voit rarement, dans un océan de verdure. L’emploi de la pellicule 35 mm (Kodak, toujours formidable en terme de rendu des couleurs) confère une dignité aux images. Les costumes, les coiffures et les maquillages sont exceptionnels.
Les décors sont majoritairement versaillais où l’on ne peut tourner que le lundi, en extérieur, dans la Chapelle Royale, la Galerie des Glaces et le salon Hercule. Si bien que certaines scènes ont été enregistrées à Vaux-le-Vicomte, dans le Grand Salon, la bibliothèque, la salle des buffets et le Salon des muses, ainsi que quelques jardins et la forêt. Bien entendu les banquets, éclairés à la bougie ont dû être reconstitués en studio. Et de très belles campagnes évoquent la Lorraine natale de Jeanne.
Maiwenn explique que son intérêt pour Jeanne est né en 2006 de la projection du film de Sofia Coppola, Marie-Antoinette où Asia Argento interprétait Madame du Barry. Elle découvre alors la trajectoire d’une héroïne qu’elle n’hésite pas à qualifier de " looseuse magnifique qui court à sa perte." Elle se sent probablement des points communs avec son personnage principal, dont elle ne pourrait confier le rôle à personne d’autre qu’elle. Elle n’a pas de mal à mettre dans Jeanne toute la sensibilité qui la caractérise, autant que sa témérité, et son aversion pour les conventions superficielles. Il faut voir avec quelle malice elle nous rappellera plusieurs fois l’usage imposant de ne jamais tourner le dos au roi.
Elle n’a alors de cesse de se documenter et d’écrire elle-même un scénario. Elle va mettre des années à concrétiser son rêve. Cinq longs-métrages plus tard, après Pardonnez-moi (2006), Le Bal des actrices (2009), Polisse (2011), Mon roi (2015) et ADN (2020) elle sort de sa zone habituelle, abandonnant les tournages nerveux se nourrissant d’improvisations. Cette fois tout est prévu d’avance, même si elle acceptera plusieurs suggestions faites par Johnny Depp, car si elle est sérieuse, elle n’est jamais rigide.
Avec le courage, le sérieux et la volonté qui la caractérisent, elle va nous raconter l’histoire incroyable et pourtant exacte (à quelques détails près) d’une héroïne en but à la misogynie exercée surtout par d’autres femmes, quoique le comte du Barry ne soit pas en reste question violences conjugales (et sur ce point Maiwenn nous a déjà démontré avec Mon roi que le sujet lui tenait à coeur). C’est un peu Cendrillon harcelée par les filles du roi caricaturées en Anastasie et Javotte. Les références à l’univers du conte, mais du conte qui se termine mal, sont subtiles et justifient le recours à une voix off pour lier les séquences qui s’organisent selon un classicisme revendiqué.
Plusieurs sont marquantes, par leur violence (la scène la montrant lire dans sa baignoire, ou l’examen gynécologique préalable à sa validation comme candidate à devenir la maîtresse du roi), par leur humour (le lever du roi, le patinage dans la Galerie des glaces), par leur force sociale (l’arrivée de Zamor), par leur fougue (la montée des marches comme s’il s’agissait d’escalader une pyramide), par la force des émotions (la mort d’Adolphe ou celle du roi où Maiwenn est déchirante), par leur lyrisme aussi …
Le geste artistique est toujours justifié. C’est peu dire que je trouve l’ensemble cohérent et réussi. Aussi fort que Polisse, dans un tout autre registre.
Voilà un film historique tourné comme si c’était une histoire contemporaine. Qui, de plus réhabilite une personnalité qui, jusque là n’avait été vue que comme la favorite d’un roi et non une femme audacieuse et sincère dans un monde où la vanité est la valeur dominante, de grande éducation, capable de respecter des usages qu’elle ne comprend pas, érudite, lectrice assidue, artiste, esthète, mécène, capable de lancer des modes, libre et authentique.
Jeanne du Barry, un film réalisé par Maiwen
Avec Maiwen (Jeanne), Johnny Depp (Louis XV), Benjamin Lavernhe (La Borde, valet du roi), Pierre Richard (Duc de Richelieu), Melvil Poupaud (Comte du Barry), Noémie Lvovsky (Comtesse de Noailles), Pascal Greggory (Duc d’Aiguillon), India Hair (Adélaïde de France), Robin Renucci (Monsieur Dumousseaux), Diego Le Fur (le Dauphin), Ibrahim Yaffa (Zamor) …
Scénaristes : Maiwenn, Teddy Lussi-Modeste, Nicolas Livecchi
Directeur de la photo Laurent Dailland (qui avait fait le si réussi Aline)
Scripte Marion Pin - Montage Laure Gardette
Décors Angelots Zamparutti - Costumes Jürgen Doering - Coiffures John Nollet
Narration Stanislas Stanic
(Photo Stéphanie Branchu pour Le Pacte)
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