A l’époque où les magasins soldent les produits sous le label « dates courtes » le titre du nouvel ouvrage de Jean-Pierre Brouillaud fait figure d’expression à contre-courant bien que la grande tendance soit (aussi) au recyclage. Le principe de « je garde au cas où » est donc d’une certaine manière d’actualité. J’ai d’ailleurs entendu dire que la papesse du rangement (lequel doit être consécutif à un tri drastique) Marie Kondo est elle-même revenue sur ses principes.
Longue conservation commence sobrement par une phrase. On ne peut pas dire que le premier chapitre soit encombré de mots. C’est le vide avant le trop-plein. Il m’a fait rire. J’avais tort. Et vous comprendrez pourquoi à la toute dernière page du roman.
Longue conservation aurait pu s’intituler Longue conversation tant le texte se déroule comme un soliloque.
Octave est entièrement sous la coupe du au cas où en étant persuadé que tout garder est garant de son bonheur. La fin le contredira, mais d’une façon plutôt humoristique si on apprécie l’humour noir dont l’auteur est spécialiste.
Car il en est persuadé : il faut tout garder pour être un homme heureux ( p 51) mais je ferai observer qu’il n’a su garder ni sa femme, ni son fils, ni sa mère. De cette perte, il ne peut être tenu responsable (sa maman est décédée) mais force est de constater que c’est là que sa manie a commencé. Elle a un nom, la syllogomanie, et elle apparaît souvent après la mort d’un être cher.
Cette pathologie ne s’accompagne en général pas de trouble mental. Le héros analyse d’ailleurs correctement le phénomène en ayant conscience qu’il accumule parce que tous ces objets lui procure un cocon protecteur (p 41).
L’essentiel de sa journée consiste à déplacer pour mieux ranger (au sens propre, car il met en rang, à défaut de trier comme souvent on attribue ce sens au verbe ranger). Il est hypersensible et s’offusque du ça ne compte pas, et qui parfois pèse lourd, comme les tickets de caisse au bout de plusieurs années. Il est d’ailleurs amusant de signaler à cet égard que la volonté des grandes surfaces de supprimer les tickets de caisse par souci écologique est contestée par la clientèle qui semble « tenir » à cet objet pourtant quasi inutile.
Mais ceci, manifestement, le pauvre homme l’ignore, car il se sent de plus en plus isolé : le déficit de compréhension de mes compatriotes me paraît abyssal (p. 105).
Alors à défaut de retenir les sentiments (les gens) je retiens les objets nous confie Octave … avec lucidité (p. 121) pensant qu’il conserve l’âme de ceux qui l’ont rendue. Cette problématique était également au coeur du second roman de Christophe Perruchas, revenir fils.
Jean-Pierre Brouillaud me fait penser à ma grand-mère qui, lorsqu’on lui disait qu’elle n’avait aps le droit (de faire quelque chose) répliquait qu’elle prendrait le gauche. A l’instar des Petites rébellions, où il faisait l’apologie de la resquille, il traite l’accumulation à sa manière, avec son sens particulier de la dérision et du sérieux, en prenant le contrepied de la logique qui voudrait que pour vivre heureux il ne faut pas s’encombrer. Octave fait tout l’inverse et clame sa félicité. A la bonne heure !
Jean-Pierre Brouillaud est également un auteur de théâtre. Hélène Zidi mettra en scène (et interprétera) une de ses pièces, Quand on sera grand, avec Benjamin Carette, au Théâtre du roi René, à 15h30 du 7 au 29 juillet 2023.
Longue Conservation de Jean-Pierre Brouillaud, Chum éditions en librairie depuis le 10 mars 2023
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