Vous avez jusqu'au 26 juillet pour découvrir à la Maison des Arts d'Antony (92) les toiles qu'Herman Braun-Vega présente derrière l'intitulé Mémoires. Un travail très étonnant de mosaïque picturale où les références se télescopent pour mieux entrer en résonance.
Après Sabine Weiss, photographe qui excelle à témoigner de son époque, le public est invité à faire connaissance avec un peintre qui, lui, rend hommage à ceux qui lui ont précédé, essayant d'intégrer quatre siècles d'histoire de la peinture. Et toujours gratuitement, il n'est peut-être pas inutile de le souligner.
La visite de l'exposition est très pédagogique car l'artiste joue "tableaux sur table" en livrant toutes ses sources. Il aime par dessus tout réfléchir à partir des questions que l'assistance lui pose et auxquelles il répond, les yeux pétillants et le sourire malicieux. Le soir de l'inauguration officielle il prenait beaucoup de plaisir à donner les clés qui allaient nous permettre de mieux comprendre ses oeuvres.
Pour ne pas lasser les lecteurs je vais me concentrer aujourd'hui sur trois œuvres. Les autres feront l'objet de billets ultérieurs. Voici donc le Géographe à Lima choisissant du poisson frais après la visite de Bush (acrylique sur toile de 105 x 130 cm, réalisée en 2004)
L'homme est ici en train de faire ses courses. La situation est agréable. Mais le peintre nous rappelle qu'à quelques milliers de kilomètres des bombes explosent. En témoin critique de son temps il insère dans sa peinture des coupures de journaux internationaux en utilisant la technique du transfert.
On peut voir sur la gauche un article d'Il Commercio, l'équivalent du journal le Monde, qui met en avant une publicité de fabricant de bonbons nord-américains : soyez comme chez vous monsieur le président Bush, peut-on lire. Sa visite est intervenue 3 mois après l'explosion des Tours jumelles, mais juste avant un attentat où périrent neuf péruviens. Cela signifie que même les situations les plus tragiques n'arrêtent pas le cours de la vie. On a toujours continué à fêter les anniversaires ... Et Braun-Vega regrette qu'on vive dans un monde qui, en quelque sorte, n'a pas de mémoire. Alors il fait ce qu'il peut pour nous aider à la recouvrer.
La femme rehaussée de peinture bleue (toujours en haut à gauche) vivait dans un bidonville de Lima. C'est elle qui a organisé la distribution de verres de lait dans les écoles, cherchant à prouver qu'on pouvait imaginer des solutions simples pour aider les gens. Son énergie a déplu au "Sentier lumineux" qui a tué ses enfants et explosé ses biens à la dynamite. Une autre coupure fait référence à dix-neuf terroristes kamikazes. Un autre encore concerne l'intervention de Bush en Irak. Souvent le peintre utilise aussi le cadre pour poursuivre le travail narratif, troubler le regard et pousser à voir plus loin. Ainsi, sur la droite cette fois, il a transféré des gravures de Goya (1606-1669) sur la folie du monde.
Au début il opérait par collage. Mais le papier de journal n'est pas conçu pour durer au delà d'une journée. C'est pourquoi il est fait à partir de bois et non pas de chiffon. Cette fragilité limite son utilisation sur une toile. C'est consécutivement à un accident, en 1971, que le peintre découvre que l'encre peut s'inscruster dans le tableau, mais à l'envers. L'astuce a été de trouver comment le retourner pour le rendre lisible sans devoir recourir à un miroir. L'informatique facilite les choses en faisant une photocopie inversée. On colle sur le tableau préalablement peint en acrylique. On lave le papier. L'encre seule reste. On ajoute une couche d'acrylique mat transparent. On passe un rouleau pour enlever l'air. On laisse sécher. Cela a l'air simple quand il nous le raconte mais il dit lui-même que le résultat n'est pas toujours satisfaisant.
On remarque aussi le visage de la Bohémienne peinte entre 1628 et 1630 par Fras Hals (1581-85? - 1666) et la reprise de Démocrite ou le Géographe, peint entre 1625 et 1640 par Vélasquez (1599-1660).
Des fruits, des poissons, des quartiers de viande, Braun-Vega les met en scène bien volontiers. Si on lui avoue que les quartiers de viande nous dérangent il s'étonne qu'on puisse en supporter la vue chez notre boucher. Il nous rappelle que l'odeur un peu sucrée des cadavres que l'on peut respirer sur les marchés ferait saliver davantage, nous confrontant ainsi avec notre coté cannibale. Sur cet autre tableau il représente Rembrandt en boucher. On le disait très intéressé par la condition sociale. Mais il se peignait sous les traits d'un homme élégant parce qu'il voulait être reconnu par la bonne société. D'où l'ajout d'un petit chien sur le tableau, de la même race que ceux qu'on promène pour se donner un style bourgeois.
Braun-Vega s'attache à déclencher des réactions dans le vécu quotidien du spectateur. Chacun peut en faire sa propre lecture, mais l'idéal est de le décrypter à plusieurs niveaux.
Au premier étage, Naturaleza Muerta (acrylique sur toile de 162 x 130 cm, réalisée en 2001) reprend de nombreuses références visibles aussi dans El poder se nutre de dogmas comme le lapin écorché (mais inversé) et le portrait du pape Innocent X réalisé en 1650 par Velasquez (1599-1660). Au centre du tableau se trouve la représentation de Marat assassiné, peint en 1793 par Jacques-Louis David (1748-1825). Ainsi ce sont au moins trois inférences qui se répondent d'une œuvre à l'autre, composant une sorte de jeu de pistes.
L'intitulé de l'exposition, Mémoires, est on ne peut plus juste. L'observation permet de découvrir des personnages et des situations qui caractérisent autant l'histoire de la peinture (ce que Braun-Vega appelle "mémoire historique"), que des faits décisifs de l'histoire du monde (la "mémoire sociale") ou de la biographie du peintre lui-même (la "mémoire quotidienne").
Après Sabine Weiss, photographe qui excelle à témoigner de son époque, le public est invité à faire connaissance avec un peintre qui, lui, rend hommage à ceux qui lui ont précédé, essayant d'intégrer quatre siècles d'histoire de la peinture. Et toujours gratuitement, il n'est peut-être pas inutile de le souligner.
La visite de l'exposition est très pédagogique car l'artiste joue "tableaux sur table" en livrant toutes ses sources. Il aime par dessus tout réfléchir à partir des questions que l'assistance lui pose et auxquelles il répond, les yeux pétillants et le sourire malicieux. Le soir de l'inauguration officielle il prenait beaucoup de plaisir à donner les clés qui allaient nous permettre de mieux comprendre ses oeuvres.
Pour ne pas lasser les lecteurs je vais me concentrer aujourd'hui sur trois œuvres. Les autres feront l'objet de billets ultérieurs. Voici donc le Géographe à Lima choisissant du poisson frais après la visite de Bush (acrylique sur toile de 105 x 130 cm, réalisée en 2004)
L'homme est ici en train de faire ses courses. La situation est agréable. Mais le peintre nous rappelle qu'à quelques milliers de kilomètres des bombes explosent. En témoin critique de son temps il insère dans sa peinture des coupures de journaux internationaux en utilisant la technique du transfert.
On peut voir sur la gauche un article d'Il Commercio, l'équivalent du journal le Monde, qui met en avant une publicité de fabricant de bonbons nord-américains : soyez comme chez vous monsieur le président Bush, peut-on lire. Sa visite est intervenue 3 mois après l'explosion des Tours jumelles, mais juste avant un attentat où périrent neuf péruviens. Cela signifie que même les situations les plus tragiques n'arrêtent pas le cours de la vie. On a toujours continué à fêter les anniversaires ... Et Braun-Vega regrette qu'on vive dans un monde qui, en quelque sorte, n'a pas de mémoire. Alors il fait ce qu'il peut pour nous aider à la recouvrer.
La femme rehaussée de peinture bleue (toujours en haut à gauche) vivait dans un bidonville de Lima. C'est elle qui a organisé la distribution de verres de lait dans les écoles, cherchant à prouver qu'on pouvait imaginer des solutions simples pour aider les gens. Son énergie a déplu au "Sentier lumineux" qui a tué ses enfants et explosé ses biens à la dynamite. Une autre coupure fait référence à dix-neuf terroristes kamikazes. Un autre encore concerne l'intervention de Bush en Irak. Souvent le peintre utilise aussi le cadre pour poursuivre le travail narratif, troubler le regard et pousser à voir plus loin. Ainsi, sur la droite cette fois, il a transféré des gravures de Goya (1606-1669) sur la folie du monde.
Au début il opérait par collage. Mais le papier de journal n'est pas conçu pour durer au delà d'une journée. C'est pourquoi il est fait à partir de bois et non pas de chiffon. Cette fragilité limite son utilisation sur une toile. C'est consécutivement à un accident, en 1971, que le peintre découvre que l'encre peut s'inscruster dans le tableau, mais à l'envers. L'astuce a été de trouver comment le retourner pour le rendre lisible sans devoir recourir à un miroir. L'informatique facilite les choses en faisant une photocopie inversée. On colle sur le tableau préalablement peint en acrylique. On lave le papier. L'encre seule reste. On ajoute une couche d'acrylique mat transparent. On passe un rouleau pour enlever l'air. On laisse sécher. Cela a l'air simple quand il nous le raconte mais il dit lui-même que le résultat n'est pas toujours satisfaisant.
On remarque aussi le visage de la Bohémienne peinte entre 1628 et 1630 par Fras Hals (1581-85? - 1666) et la reprise de Démocrite ou le Géographe, peint entre 1625 et 1640 par Vélasquez (1599-1660).
Des fruits, des poissons, des quartiers de viande, Braun-Vega les met en scène bien volontiers. Si on lui avoue que les quartiers de viande nous dérangent il s'étonne qu'on puisse en supporter la vue chez notre boucher. Il nous rappelle que l'odeur un peu sucrée des cadavres que l'on peut respirer sur les marchés ferait saliver davantage, nous confrontant ainsi avec notre coté cannibale. Sur cet autre tableau il représente Rembrandt en boucher. On le disait très intéressé par la condition sociale. Mais il se peignait sous les traits d'un homme élégant parce qu'il voulait être reconnu par la bonne société. D'où l'ajout d'un petit chien sur le tableau, de la même race que ceux qu'on promène pour se donner un style bourgeois.
Braun-Vega s'attache à déclencher des réactions dans le vécu quotidien du spectateur. Chacun peut en faire sa propre lecture, mais l'idéal est de le décrypter à plusieurs niveaux.
Au premier étage, Naturaleza Muerta (acrylique sur toile de 162 x 130 cm, réalisée en 2001) reprend de nombreuses références visibles aussi dans El poder se nutre de dogmas comme le lapin écorché (mais inversé) et le portrait du pape Innocent X réalisé en 1650 par Velasquez (1599-1660). Au centre du tableau se trouve la représentation de Marat assassiné, peint en 1793 par Jacques-Louis David (1748-1825). Ainsi ce sont au moins trois inférences qui se répondent d'une œuvre à l'autre, composant une sorte de jeu de pistes.
L'intitulé de l'exposition, Mémoires, est on ne peut plus juste. L'observation permet de découvrir des personnages et des situations qui caractérisent autant l'histoire de la peinture (ce que Braun-Vega appelle "mémoire historique"), que des faits décisifs de l'histoire du monde (la "mémoire sociale") ou de la biographie du peintre lui-même (la "mémoire quotidienne").
La Maison des Arts, 20 rue Velpeau à Antony, 01 40 96 31 50 est ouverte les mardi, jeudi et vendredi de 12 h à 19 h, le mercredi de 10h à 19 h, le samedi de 11h à 19 h et le dimanche de 14h à 19 h. Elle est fermée le lundi.
Les franciliens pourront y accéder par le RER B, station Antony. Ils n'auront qu'à traverser la rue pour accéder ensuite à l'exposition.
Les franciliens pourront y accéder par le RER B, station Antony. Ils n'auront qu'à traverser la rue pour accéder ensuite à l'exposition.
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