Depuis presque trente ans Marie Chouinard est une chorégraphe dont les œuvres comptent. La force visuelle et plastique de ses ballets est unanimement saluée. Assister à sa dernière création un soir de première était donc un privilège. Pourtant la violence était telle qu’il m’a été difficile d’apprécier totalement le spectacle. Je n’étais manifestement pas la seule à ressentir un malaise et j’ai remarqué le départ de spectateurs au cours de la soirée. Les applaudissements ont été nourris mais sans l’enthousiasme proche du délire qui salue d’habitude le travail de la troupe.
Le mythe d’Orphée et Eurydice est ultra connu. Marie Chouinard a cependant le mérite de faire comme si nous ne savions rien. Elle le dissèque en long, en large et en travers. Elle nous le donne à voir de toutes les manières possibles. En version courte, en version longue. Sur le mode de la comédie, sur celui de la tragédie. On nous le raconte, on nous le donne à lire, on nous le danse, on nous le mime, on nous le joue, et surtout on nous le crie.
J’ai apprécié que l’histoire soit décortiquée même si elle a été rongée jusqu’à l’os. Voyant un danseur faire rouler une grosse boule noire tel Sisyphe son rocher, j’ai noté qu’un mythe pouvait même en cacher un autre. J’ai appris le rôle des Tentatrices et des Bacchantes et je comprends mieux qu’Orphée n’ait pas pu résister. J’ai reconnu des extraits d’une symphonie de Beethoven, de la marche nuptiale de Mendelssohn, et de la chanson Ma Ce Ki de Massimo Gargia.
Je n’ai pas été particulièrement dérangée par la vision des prothèses sexuelles proéminentes, ni par la nudité des danseurs, ni même par la représentation des meilleures positions du kamasoutra. Cette animalité n’est pas si choquante. Pardonnons à Marie Chouinard qui dit avoir été marquée (traumatisée ?) dans son enfance par la vision de parades nuptiales et de scènes de rut animal.
La chorégraphie est bâtie autour d’un geste emblématique. Le pouce et l’index plongent dans la bouche pour tirer un fil imaginaire infini, en métaphore visuelle du verbe qu'Orphée, musicien et poète, arrache à ses entrailles. Descente aux enfers et création s’épousent inlassablement. Pas d’inspiration sans expiration. Au sens propre comme au sens figuré. Jusqu’à l’épuisement.
Quelques scènes sont particulièrement drôles. Comme la course de danseurs commentée façon Léon Zitrone. Ces traversées sur « platform shoes » qui provoquent un déhanchement de girafe. Ces toques de fourrure blanche incongrues dans la chaleur des enfers. S’il n’y avait pas autant d’humour et de beauté le spectacle serait d’ailleurs totalement insupportable pour nos oreilles et notre psychisme. Entendre des danseurs crier tout en évoluant, c’est étonnant. Qu’il s’agisse de hurlements, c’est dérangeant. Mais quand l’homme extirpe de ses entrailles un vagissement profond, entre grondement et barrissement ce déchirement est purement angoissant. N’étant pas spécialiste de danse contemporaine je ne peux pas juger au-delà de l'émotion que le spectacle suscite.
Quelques jours plus tard ma mémoire revit des instants très forts qui y resteront imprimés : un danseur vomit un cri étouffé dont l’accouchement lui tord visiblement l’estomac, une pluie de grelots distrait Orphée, Eurydice escalade les gradins, enjambant le public comme une araignée géante, une séance de bouche-à-bouche ressuscite un danseur, un massage cardiaque s’épuise à en faire revivre un autre, des tirs de mitraillette retentissent. Et puis l’apparition de Marie Chouinard, aux saluts qui, avec une grâce infinie joint les mains pour remercier ses danseurs épuisés.
J’ai compris à cet instant un message d’un autre ordre. Appartenant à l’initiation chamanique. Il serait vain de croire que la durée de notre passage sur terre puisse être négociée. Hadès est un fieffé menteur qui gagnera toujours, quel que soit la force de l’amour. Orphée n’est coupable de rien. La lutte était perdue d’avance. Et j’ai pensé soudain que les producteurs de l'émission de télévision l’Ile de la tentation s’étaient inspirés de cette histoire pour reconstituer un temps l’enfer sur terre. Orphée et Eurydice n'ont pas fini de revenir nous hanter et nous tenter.
J’ai apprécié que l’histoire soit décortiquée même si elle a été rongée jusqu’à l’os. Voyant un danseur faire rouler une grosse boule noire tel Sisyphe son rocher, j’ai noté qu’un mythe pouvait même en cacher un autre. J’ai appris le rôle des Tentatrices et des Bacchantes et je comprends mieux qu’Orphée n’ait pas pu résister. J’ai reconnu des extraits d’une symphonie de Beethoven, de la marche nuptiale de Mendelssohn, et de la chanson Ma Ce Ki de Massimo Gargia.
Je n’ai pas été particulièrement dérangée par la vision des prothèses sexuelles proéminentes, ni par la nudité des danseurs, ni même par la représentation des meilleures positions du kamasoutra. Cette animalité n’est pas si choquante. Pardonnons à Marie Chouinard qui dit avoir été marquée (traumatisée ?) dans son enfance par la vision de parades nuptiales et de scènes de rut animal.
La chorégraphie est bâtie autour d’un geste emblématique. Le pouce et l’index plongent dans la bouche pour tirer un fil imaginaire infini, en métaphore visuelle du verbe qu'Orphée, musicien et poète, arrache à ses entrailles. Descente aux enfers et création s’épousent inlassablement. Pas d’inspiration sans expiration. Au sens propre comme au sens figuré. Jusqu’à l’épuisement.
Quelques scènes sont particulièrement drôles. Comme la course de danseurs commentée façon Léon Zitrone. Ces traversées sur « platform shoes » qui provoquent un déhanchement de girafe. Ces toques de fourrure blanche incongrues dans la chaleur des enfers. S’il n’y avait pas autant d’humour et de beauté le spectacle serait d’ailleurs totalement insupportable pour nos oreilles et notre psychisme. Entendre des danseurs crier tout en évoluant, c’est étonnant. Qu’il s’agisse de hurlements, c’est dérangeant. Mais quand l’homme extirpe de ses entrailles un vagissement profond, entre grondement et barrissement ce déchirement est purement angoissant. N’étant pas spécialiste de danse contemporaine je ne peux pas juger au-delà de l'émotion que le spectacle suscite.
Quelques jours plus tard ma mémoire revit des instants très forts qui y resteront imprimés : un danseur vomit un cri étouffé dont l’accouchement lui tord visiblement l’estomac, une pluie de grelots distrait Orphée, Eurydice escalade les gradins, enjambant le public comme une araignée géante, une séance de bouche-à-bouche ressuscite un danseur, un massage cardiaque s’épuise à en faire revivre un autre, des tirs de mitraillette retentissent. Et puis l’apparition de Marie Chouinard, aux saluts qui, avec une grâce infinie joint les mains pour remercier ses danseurs épuisés.
J’ai compris à cet instant un message d’un autre ordre. Appartenant à l’initiation chamanique. Il serait vain de croire que la durée de notre passage sur terre puisse être négociée. Hadès est un fieffé menteur qui gagnera toujours, quel que soit la force de l’amour. Orphée n’est coupable de rien. La lutte était perdue d’avance. Et j’ai pensé soudain que les producteurs de l'émission de télévision l’Ile de la tentation s’étaient inspirés de cette histoire pour reconstituer un temps l’enfer sur terre. Orphée et Eurydice n'ont pas fini de revenir nous hanter et nous tenter.
Au Théâtre de la Ville, 2 place du Chatelet, 75004 Paris, 01 42 74 22 77
Photos : Orphée et Eurydice / Orpheus and Eurydice
Chorégraphie / Choreography : Marie Chouinard
photo numéro 1 : Interprète / Dancer : Dorotea Saykaly - Photographe : Sylvie-Ann Paré
photo numéro 2 : Interprètes / Dancers : James Viveiros, Carla Maruca, Dorotea Saykaly, Carol Prieur, Manuel Roque - Photographe : Marie Chouinard
photo numéro 3 : Interprète / Dancer : Carol Prieur - Photographe : Michael Slobodian
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