C’est un nouveau festival et il se nomme Impatience. On le doit à l’initiative d’Olivier Py, directeur du Théâtre national de l’Odéon, qui a voulu présenter le meilleur aperçu possible du jeune théâtre en France autour de sept « vrais » spectacles. Impossible de tout voir malgré l’intérêt. Alors il faut bien choisir. Dans ce cas je penche toujours pour ce que je crois être les extrêmes.
Ce fut pour Toâ et Henri VI.
Ce fut pour Toâ et Henri VI.
Toâ inaugurait le festival. Le texte est de Sacha Guitry, formidable écrivain de théâtre à l’humour corrosif. Terriblement misogyne mais formidablement drôle. Le titre de la pièce est une réponse à ceux qui reprochaient la diction de Guitry, prononçant Moâ avec emphase.
J’avoue pourtant que j’ai douté, au début, parce que le dispositif scénique m’a semblé un peu clinquant et le jeu des comédiens plutôt mécanique. Tout est déroutant. Jusqu’à ce qu’on comprenne que les accessoires sont vrais quand l’action se situe au théâtre. Ils sont faux quand on est censé être dans la réalité. Cela n’aurait pas déplu à Sacha Guitry qui s’amusait à faire de sa vie elle-même est du théâtre, quand il n’en faisait pas tout un cinéma. On lui doit le très populaire Si Versailles m’était conté, film qui pour le coup n’a rien à voir avec sa propre histoire mais qui est une œuvre d’anthologie.
Le décor rouge et or aurait enchanté maître Guitry qui se plaisait à estimer que rien n’est trop beau pour le théâtre. Les cadres s’emboîtent et glissent dans une mécanique sophistiquée plaçant le théâtre en abîme comme ces boites de camembert qui représentent des boites de camembert qui elles-mêmes … Cela tient du cadre de scène, de la rampe lumineuse et des néons qui cernent les miroirs des loges. Le plateau pourrait aussi bien être la table d’un banquet. Les comédiens jouent face au public, toujours, sans se regarder, sauf si le partenaire est parmi les spectateurs, comme s’il était un des leurs.
Il y a des trouvailles toutes simples comme cette chaussure rouge au talon pointu qui fait office de téléphone. On se croirait dans une parodie d’un sketch d’Omar et Fred. C’est particulièrement juste aussi quand on se souvient du mot de Guitry à propos de cet objet qu’il jugeait intrusif : Comment ! On vous sonne et vous accourrez !
Et puis il y a la voix de Sacha Guitry qui donne la réplique aux jeunes comédiens. C’est mieux que théâtral, c’est du théâtre. Thomas Jolly, metteur en scène et comédien, est parvenu à mixer deux pièces, à signer une mise personnelle tout en respectant le propos de l’auteur, laissant le mot de la fin à Sacha Guitry : Adore ton métier. C’est le plus beau du monde. Fais rire le public. On oublie toujours ceux qui nous ont fait du bien.
J’applaudis des deux mains mais pour ce qui est d‘oublier, je m’inscris en faux. Et les spectateurs avec moi puisque la pièce a reçu le Prix du public.
Voici un petit montage qui illustre bien le tempérament de ce jeune collectif :
J’avais aussi choisi Henri VI. Avec Shakespeare c’est quitte ou double. Parce que 12 000 vers, 120 personnages, des histoires de famille auxquelles on a du mal à croire alors que c’est la vraie vérité puisque c’est notre Histoire …
L’Histoire avec un grand H est prétexte à démontrer la nature belliqueuse de tous les êtres humains. Si la bonté du roi Henri VI l’avait emporté sur l‘orgueil de sa cour, je parie que l’Angleterre aurait continué à parler français ou que la France serait restée anglaise. Peu importe mais nous aurions évité le bain de sang de part et d’autre. Nous serions restés amis … et nos enfants n’auraient pas autant de mal à apprendre la langue de Shakespeare à l’école. Et les USA, eux-mêmes … Mais brisons là mes divagations et revenons sur scène.
La compagnie a décidé de ne pas représenter la première partie qui se passe en France, appauvrie par la guerre de cent ans, où Jeanne d'Arc mène les troupes du futur Charles VII contre une armée anglaise affaiblie par les divisions de ses chefs. La pièce commence donc en Angleterre, dans le dépouillement : une bande de potes étourdis par la chaleur d’un sauna s’échauffe, se divise et prend partie pour l’un ou l’autre chef. La guerre des Deux-Roses est enclenchée alors même que le roi s’apprête à épouser la française Marguerite d'Anjou, dont la nature passionnée se satisfera mal d’un époux chaste et pieux.
La mise en scène de Nicolas Oton (jeune comédien originaire de la banlieue sud, soit dit en passant) est très réussie, très moderne mais respectueuse du texte, facilitant la compréhension des imbroglios de l’histoire d’Angleterre. Peut-être faut-il l’avoir vu pour le croire mais tout est clair. Ce qui n’était pas gagné d’avance sur trois heures de spectacle. On sent l’influence des jeux vidéo, des films gore, des comédies musicales, du grand opéra et de la danse contemporaine mais rien n’est gratuit. Des traits d’humour allègent les scènes les plus violentes, pour autoriser un regard au second degré et supporter les flots d’hémoglobine.
Le parti pris des costumes contemporains, en décalage, libère les comédiens d’un jeu étriqué, alternant la projection, l’identification, le recul. Et permet au spectateur d’oublier un instant que tous ces meurtres appartiennent à la réalité des évènements. On tue presque comme on respire, par vengeance, par soif du pouvoir ou pour la gloire sans même s’abriter derrière la religion ou une idéologie. La sauvagerie est à son comble. On instaure de nouvelles lois misogynes, comme le droit de cuissage (point de départ, soit dit en passant du Mariage de Figaro dont j'ai fait la critique le dimanche 3 mai dernier)
Comme quoi aucun siècle n’a l’apanage du bon ou du mal … ce qui n’est guère rassurant au demeurant.
Rendez-vous l’an prochain en mai pour de nouvelles découvertes !
Impatience, festival de jeunes compagnies, du 5 au 16 mai, Théâtre de l’Odéon, 75006 Paris et Ateliers Berthier, 75017, 01 44 85 40 00
Toâ, de Sacha Guitry, production La Piccola Familia, 02 33 88 55 50 et le Trident, scène nationale de Cherbourg
Henri VI, de William Shakespeare
Compagnie Machine Théâtre , 04 67 06 57 34
Photo d’Eva Tissot, photographe à Midi Libre, qui a fait une cinquantaine de superbes clichés de la pièce
L’Histoire avec un grand H est prétexte à démontrer la nature belliqueuse de tous les êtres humains. Si la bonté du roi Henri VI l’avait emporté sur l‘orgueil de sa cour, je parie que l’Angleterre aurait continué à parler français ou que la France serait restée anglaise. Peu importe mais nous aurions évité le bain de sang de part et d’autre. Nous serions restés amis … et nos enfants n’auraient pas autant de mal à apprendre la langue de Shakespeare à l’école. Et les USA, eux-mêmes … Mais brisons là mes divagations et revenons sur scène.
La compagnie a décidé de ne pas représenter la première partie qui se passe en France, appauvrie par la guerre de cent ans, où Jeanne d'Arc mène les troupes du futur Charles VII contre une armée anglaise affaiblie par les divisions de ses chefs. La pièce commence donc en Angleterre, dans le dépouillement : une bande de potes étourdis par la chaleur d’un sauna s’échauffe, se divise et prend partie pour l’un ou l’autre chef. La guerre des Deux-Roses est enclenchée alors même que le roi s’apprête à épouser la française Marguerite d'Anjou, dont la nature passionnée se satisfera mal d’un époux chaste et pieux.
La mise en scène de Nicolas Oton (jeune comédien originaire de la banlieue sud, soit dit en passant) est très réussie, très moderne mais respectueuse du texte, facilitant la compréhension des imbroglios de l’histoire d’Angleterre. Peut-être faut-il l’avoir vu pour le croire mais tout est clair. Ce qui n’était pas gagné d’avance sur trois heures de spectacle. On sent l’influence des jeux vidéo, des films gore, des comédies musicales, du grand opéra et de la danse contemporaine mais rien n’est gratuit. Des traits d’humour allègent les scènes les plus violentes, pour autoriser un regard au second degré et supporter les flots d’hémoglobine.
Le parti pris des costumes contemporains, en décalage, libère les comédiens d’un jeu étriqué, alternant la projection, l’identification, le recul. Et permet au spectateur d’oublier un instant que tous ces meurtres appartiennent à la réalité des évènements. On tue presque comme on respire, par vengeance, par soif du pouvoir ou pour la gloire sans même s’abriter derrière la religion ou une idéologie. La sauvagerie est à son comble. On instaure de nouvelles lois misogynes, comme le droit de cuissage (point de départ, soit dit en passant du Mariage de Figaro dont j'ai fait la critique le dimanche 3 mai dernier)
Comme quoi aucun siècle n’a l’apanage du bon ou du mal … ce qui n’est guère rassurant au demeurant.
Rendez-vous l’an prochain en mai pour de nouvelles découvertes !
Impatience, festival de jeunes compagnies, du 5 au 16 mai, Théâtre de l’Odéon, 75006 Paris et Ateliers Berthier, 75017, 01 44 85 40 00
Toâ, de Sacha Guitry, production La Piccola Familia, 02 33 88 55 50 et le Trident, scène nationale de Cherbourg
Henri VI, de William Shakespeare
Compagnie Machine Théâtre , 04 67 06 57 34
Photo d’Eva Tissot, photographe à Midi Libre, qui a fait une cinquantaine de superbes clichés de la pièce
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