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vendredi 8 mars 2013

Collaboration au Théâtre de la Madeleine

Magnifique, excellent, le public manifestait sa satisfaction d'avoir assisté à une très belle pièce de théâtre, parfaitement interprétée. 

Le sujet n'est pas facile et il est servi par de très bons comédiens. Je l'écris au masculin parce que même ce soir, en cette "journée" de la femme le masculin l'emporte toujours sur le féminin, du moins grammaticalement parlant. Certes, le duo Michel Aumont - Didier Sandre est parfait mais j'ai particulièrement remarqué Christiane Cohendy dont le rôle est essentiel sur la scène, comme il le fut dans la vie du compositeur Richard Strauss.

La pièce de Ronald Harwood a connu des rebondissements. A peine créée, au Théâtre des Variétés, à la rentrée 2011 Collaboration connait un succès immédiat. Hélas Didier Sandre déclare forfait suite à un accident. Le spectacle est suspendu.

Le revoici à l'affiche du Théâtre de la Madeleine. Avec "toujours" Michel Aumont, qui, ouf, était libre pour reprendre son rôle. Initialement c'était un autre comédien qui avait été pressenti et on ne peut que se réjouir que Richard Strauss soit interprété par Michel Aumont parce qu'il campe un compositeur très humain, à la fois fort et fragile.

On découvre l'homme qui n'a aucun lien de parenté avec Johann (Strauss) bien qu'il ait composé quelques valses. Si son nom est connu du grand public, c'est avant tout pour par le biais du poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra (1896), dont le Prologue, célèbre à travers le monde entier, fut utilisé dans le film 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick.

Les mélomanes apprécient trois de ses opéras, Salomé (drame en un acte d'après la pièce de Oscar Wilde), Elektra et Le Chevalier à la rose, dont le livret a été écrit par Hugo von Hofmannsthal.

Le couple qu'il forme sur scène avec Christiane Cohendy est savoureux. Son rôle est ténu mais elle lui donne malicieusement chair. Cette femme qu'on disait cinglante, mais sincère, fait tout autant preuve d'esprit que de sagesse et sa présence apporte de la respiration.

Avec elle on garde les pieds dans la vraie vie et le bon sens. Ses dialogues sont teintés d'humour sans nuire au sérieux du sujet. On se dit qu'elle a dû faire preuve de bon caractère pour supporter un mari, talentueux certes, mais dépressif, ayant toujours besoin d'encouragement. C'est elle qui a l'idée de contacter Stefan Zweig après la mort de Hugo von Hofmannsthal quand Richard se plaint qu'il va mourir à rester à ne rien faire. On est en 1931. L'Europe est en paix et Richard bouillonne.
L'homme excelle à se plaindre. Elle le secoue (vérifiant qu'il s'est essuyé les pieds sur ... chacun des trois paillassons ) et le conseille, allant jusqu'à décrocher elle-même le téléphone.
On pourrait la penser gaffeuse quand elle s'extasie de rencontrer l'homme qui l'a tant fait pleurer, ce qui désoriente l'écrivain.
Ou cinglante quand elle reproche à Lotte, la secrétaire de Stefan de lui avoir servi une tasse de thé après y avoir versé du lait, parce que dans la haute société on laisse l'invité ajouter la quantité de lait qui lui convient. Ce serait mal la juger. Elle est respectueuse de la tradition, et gourmande de surcroit. Il suffit de lui offrir une boite de Mozartkrüger pour lui faire un immense plaisir. Ces énormes boules de chocolat fourré sont une des spécialités de Salzbourg.
Richard appréciera davantage l'effroyable vulgarité d'une lettre autographe de Mozart malgré la générosité extravagante de son futur collaborateur. Pauline trouvera le bon mot pour détendre l'atmosphère : les grands artistes sont très rarement de grands hommes, et j'en ai connu quelques-uns de près.
Ils n'ont pas le même tempérament. Stefan est réservé, timide, névrosé aux dires d'un de ses amis. Richard est exubérant et démonstratif. L'association est originale. Les tempéraments des deux hommes auraient pu s'opposer. Il n'empêche qu'entre les deux l'entente est immédiate. Très vite une très forte amitié va se nouer sur la base d'une admiration mutuelle et d'un respect sincère.
Ils se rencontrent alors régulièrement, chez l'un ou chez l'autre. Stefan soumet ses idées. Richard donne son avis sans tergiverser, selon que cela lui plait ou non. Il ne tient pas aux récitatifs et voudrait des dialogues en prose.

Stefan a quelques difficultés à entrer dans le moule. Son sens de l'humour est mis à l'épreuve. Pensant faire rire son ami il lui raconte combien l'expression "et après" lui rappelle une suite de répliques dans une mauvaise pièce. Anne Boleyn souhaitant savoir ce qui l'attend interroge un de ses proches. Ils viendront vous chercher ... Et après ? Vous irez pas à pas ... Et après ? L'homme s'arrête au moment fatidique de l'exécution. Courageusement, Anne Boleyn conclut : et après, quand la hache sera retombée, je serai  plus sage que vous monseigneur.

Le public rit sans se douter que cette réplique reviendra ultérieurement dans un contexte non moins grave. Pour le moment Stefan a du mal à écrire et négocie un sursis d'un mois.
En 1933 alors qu'il est en plein travail Lotte revient ensanglantée, victime d'une agression antisémite. Lors de sa prochaine entrevue avec Richard il s'énerve contre les dirigeants allemands : vous avez un gouvernement de gangsters. (...) ils brûlent les livres, mes livres. Tout est empoisonné. Je sens la violence qui menace, ses yeux posés sur moi. (...) Cela concerne tout le monde, vous ne comprenez pas !
Richard lui fait une promesse solennelle: je ne collaborerai jamais avec les nazis et je ne vous lâcherai jamais !

Un peu plus tard, éclate l'affaire Arnold Zweig, une méprise par rapport à Stefan. Tous deux attendent les excuses de Goebels. Mais bientôt les théâtres d'Allemagne reçoivent l'ordre de ne plus travailler avec aucun juif. Richard a cette parole qui pourrait faire sourire : J'adore infiniment Adof Hitler mais il n'est pas question de me mettre au pas.

L'officier nazi le marché en mains. Je vais être parfaitement franc : nous avons besoin de vous. Vous êtes nommé Président de la Chambre de musique du Reich, mais laissez tomber cette affaire des juifs Zweig !

Richard est effrayé. Il demande encore une fois conseil à Pauline. Pourquoi obéir ? proteste-t-elle. C'est que le cas est particulier ... leur belle-fille est juive et par conséquent ...
Dans un premier temps Richard obtient gain de cause auprès du Führer qui à l'entendre ... aurait eu trop peur que sa femme vienne le trouver. La première du nouvel opéra, La femme silencieuse est programmée le 24 juin 1934 à Dresde et il voudrait que Zweig assiste à la représentation. Sa sécurité est déjà peu assurée en Autriche, alors aller à Dresde serait une folie.

Avec Hitler dans la loge d'honneur, c'est impensable : je n'ai franchement pas envie d'aller en Allemagne en ce moment. Richard consent à reconnaitre qu'ils vivent une triste époque, mais ne peut masquer son triomphe : nous les avons battus !

Il pense que leur collaboration va se poursuivre comme par le passé. Stefan tente de le convaincre que le monde a irrémédiablement changé mais son ami est inflexible. Si je n'écris pas de musique je meurs. Certains peuvent prendre leur retraite et être heureux de faire entrer des voiliers dans une bouteille, moi pas. Ne n'enterrez pas dans le sable. Je veux avoir le droit de composer !

Stefan ne parvient pas à lui faire voir la réalité en face. il doit donc se résoudre à continuer, un peu gêné de travailler avec un allemand, même un ami, et même s'il avoue n'avoir jamais été un "très bon "juif.

Richard invoque Shakespeare. Sachons faire face au défi de l'oeuvre. Je n'ai pas d'autre choix que d'être ce que je suis.

La réplique provoque une salve d'applaudissements dans le public.

La générale a lieu le 24 juin 1935. Le führer se décommande pour la première, pour cause d'avion ne pouvant voler à cause de l'annonce d'un orage. Le prétexte est grossier. Richard Strauss remarque vite que le nom du librettiste a disparu de l'affiche comme du programme. Il s'énerve. La représentation aura lieu sans lui.
Le directeur du théâtre s'incline. Le nom de Stefan Zweig sera rétabli sur toues les supports de communication, et figurera de la même que le sien.

Pauline trouve son époux admirable mais s'inquiète : je prie pour que nous soyons les seuls que tu aies mis en danger.
Le succès est énorme. Public debout. Critiques formidables. Toutes les places ont été vendues. Richard annonce par téléphone les bonnes nouvelles à son ami sans se douter qu'il a déjà fait ses valises pour Londres. Stefan Zweig a d'autres préoccupations qui le situe à des années lumières de Richard : Il se réjouit pour des choses tellement éloignées de la réalité ! (...) Très bien, alors que l'errance commence !

Nous sommes maintenant en 1935. La Gestapo a intercepté une lettre et Richard est bombardé d questions. Lotte serait-elle une espionne ? les explications de Richard ne convainquent pas l'officier et cette fois Pauline n'a pas voix au chapitre.

Le moins qu'on puisse dire est que le compositeur énerve en hauts lieux. Il est sommé de composer l'hymne olympique des Jeux de Berlin qui auront lieu l'année suivante.

On retrouve le couple à Munich, en 1948. Dix-sept années se sont écoulées depuis le début du spectacle. Zweig s'est suicidé avec sa nouvelle épouse en 1942. La guerre est finie mais pas les ennuis. Ce sont "deux petits vieux" qui comparaissent devant la commission de dénazification.

Richard a écrit un texte pour ne pas oublier de dire l'essentiel. Il n'est pas trop inquiet. Il n'a jamais adhéré à aucun parti politique. Il reconnait avoir accueilli Hitler avec de grands espoirs. Il pensait pouvoir se servir d'eux ... et soudain s'effondre en admettant avoir été réduit à composer des airs kitsch.

Alice, leur belle-fille a survécu, comme ses petits enfants. Mes motivations n'étaient pas pures, mais elles était humaines. Je suis toujours compositeur. J'écris encore des lieders pour soprano et orchestre.

Pauline lui souffle les mots pour qu'il attire l'attention sur sa longue et fructueuse collaboration avec son collègue juif, Stefan Zweig. On est au bord des larmes. Il semble devenir fou. Il mourra le 8 septembre 1949 et Pauline le rejoindra quelques mois plus tard.

Peut-il être accusé réellement d'avoir été collaborateur, dans le second sens du terme ? La seule question à laquelle nous devrions tenter de répondre, c'est qu'aurions-nous fait à leur place ?
Ronald Harwood excelle à traiter dans ses écrits de la période de la seconde guerre mondiale et n'hésite pas à prendre pour "héros" des personnalités ayant existé. C'est le cas ici comme avec une autre pièce, actuellement aussi à l'affiche au Théâtre Rive Gauche, et dont je vous parlerai très bientôt, "A tort et à raison", également dans le domaine musical.

Son écriture est solide et documentée. Ses dialogues sont très vivants et il a l'art de faire revivre l'Histoire avec humanité et sans parti pris, ce qui n'est pas facile avec un tel sujet. L'auteur du Pianiste sait comment toucher le public et opérer des retournements  de situation. Les applaudissements furent triomphants.

Collaboration au Théâtre de la Madeleine depuis le 25 janvier
Une pièce de Ronald Harwood, Texte français de Dominique Hollier
A 20 heures 30 du mardi au samedi
A 17 heures, le samedi et le dimanche
Mise en scène Georges Werler
Avec Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Eric Verdin, Armand Eloi.
Décors Agostino Pace. Lumières Jacques Puisais. Costumes Pascale Bordet. Conception sonore Jean-Pierre Prevost.

J'avais vu Michel Aumont, il y a deux ans pour la pièce Aller chercher demain.
A signaler aussi que Didier Sandre est au cinéma en ce moment le père d'Agathe Bonitzer dans Au bout du conte, le film d'Agnès Jaoui où il interprète Guillaume Casseul.

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