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lundi 30 juin 2014

Au fil d'Ariane de Robert Guédiguian

Au fil d’Ariane, le nouveau film de Robert Guédiguian, est en salles depuis le 18 juin, trois ans après les Neiges du Kilimandjaro. C'est une véritable ode à l'amour, bien plus qu'un "film d'amour" comme je l'ai lu quelque part.

Le réalisateur célèbre de multiples formes d'amour : l'amour filial, l'amour de son prochain, l'amour courtois, l'amour passion et j'en oublie sans doute.

Car ce n'est pas une démonstration comme l'aurait fait Rohmer. C'est un vrai film (je ne dis pas que Rohmer ne faisait pas de "vrais" films), avec un scénario bien ficelé. Et viendra le temps où on s'extasiera sur le cinéma de Robert Guédiguian comme on le fit sur celui d'Alain Resnais.

Derrière l'homme il faut, dit-on, chercher la femme  ... Sabine Azéma pour l'un, Ariane Ascaride pour l'autre. Actrices, muses, épouses ... encore et toujours de l'amour.

Le scénario est conçu comme un labyrinthe où s'engage Ariane, et nous avec. Faut suivre... Le verbe suivre est d'ailleurs l'occasion d'un subtile jeu de mots quand elle dira je "suis" personne, ne voulant  pas signifier qu'elle n'est personne. Et que plus tard elle répondra à la question Vous me suivez ? par "Je suis. Je suis de plus en plus".

Il est facile de se laisser porter par les images. Les cinéphiles apprécieront les références. Le réalisateur  emploie un autre terme, plus imagé :
Ce sont plutôt des révérences, ou pour dire autrement, je signe des "reconnaissances de dettes" ! On est pétri de toutes les choses qu’on a lues dans les livres et vues au cinéma, au théâtre, dans les musées, partout. Je rends hommage à tous ceux qui ont compté pour moi, depuis toujours : à Pier Paolo Pasolini avec le premier texte lu par Jack (Jacques Boudet) qui évoque la nécessité des mythes et des rites, à Anton Tchekhov avec le second texte qui parle de l’éternelle beauté du Monde qui existait bien avant nous et qui existera bien après nous. Je rends hommage à Brecht avec la chanson de Kurt Weil  Comme on fait son lit, on se couche. Je rends hommage à Aragon et Jean Ferrat. Que serais-je sans toi est une chanson qui m’a bouleversé, très jeune, à dix ans et me bouleverse toujours... Quand j’évoque les "morts sans sépulture", je pense forcément à Jean-Paul Sartre.

J’ai eu aussi envie de rendre hommage à tout un cinéma très libre et décalé : je pense à Drôle de drame de Carné-Prévert, par exemple... Et puis il y a des hommages à Vivre sa vie de Jean-Luc Godard, où Jean Ferrat chante Ma Môme, Cabaret de Bob Fosse à travers le costume d’Anaïs Demoustier lorsqu’elle répète au théâtre, bien sûr à Federico Fellini et La Dolce Vita avec la scène de la fontaine, à Pier Paolo Pasolini et L’Evangile selon Saint Mathieu avec ces "pèlerins" qui arrivent au Frioul et Des oiseaux, petits et gros où il y avait un corbeau qui parle, tandis que chez moi, c’est une tortue...
J'ai remarqué d'autres évocations. Les premiers plans m'ont fait penser à l'univers ultracontemporain de la maison de Mon Oncle de Jacques Tati, la scène de la danse sur le pont à West Side Story, la transformation d'Ariane en serveuse dans le petit restaurant de l'Olympique à Bagdad Café ...
Au-delà de l'analyse cinématographique il y a un film très sensible qui se présente dès le générique comme une "fantaisie". Les premiers plans sont en noir et bleu avant que n'apparaisse le vert, puis le rose au fur et à mesure que la caméra progresse dans un décor qui semble avoir trempé dans des flots de peinture blanche.

Ariane fait un gâteau au chocolat. Elle semble triste. Le gâteau d'anniversaire croule sous les bougies mais les invités s'excusent les uns après les autres, pensant chacun être le seul à le faire. Ariane prend son passeport, sa voiture et s'en va.

Elle fera de multiples rencontres. On lui proposera constamment des défis qui ne la dérouteront pas (c'est le cas de le dire) de la voie qu'elle a décidé de suivre : Si je suis chiche ? Je suis même que ça, lancera-t-elle au garçon qui l'invite à une balade en moto.

La voilà devant le restaurant de bord de mer qui était le lieu central d’A la vie, à la mort !, à Ponteau, où le patron, Gérard Meylan, toujours formidable, lui suggère de l'installer près d'un autre convive, parce qu'une femme qui mange toute seule au restaurant, ça ne se fait pas, c'est incompréhensible.

C'est ça, je suis une femme incompréhensible, approuvera-t-elle.

Ariane Ascaride est merveilleusement filmée, qu'elle soit en robe, en pantalon, en tenue de scène ou en pull troué.
Ce café, au nom Olympique, deviendra l'Olympe quelques plans plus tard. Et ce ne sera pas le seul glissement de scénario.

On entendra une tortue parler (avec la voix de Judith Magre) ... soulignant le dialogue intérieur du personnage principal. L'animal est surtout le symbole du cheminement personnel. On se déplace d'ailleurs beaucoup. A moto, en voiture, en bateau ... et on revient toujours au point de départ.

Jean-Pierre Darroussin campe un chauffeur de taxi mélomane qui met du Schubert pour calmer sa cliente (avec la Truite) avant de la conduire "vers les ports je sais pas". 

Si vous n'aimez pas Jean Ferrat passez votre chemin parce que ses chansons ponctuent une scène sur deux. On ne voit pas le temps passer, la Montagne, la Femme est l'avenir de l'homme, la Môme, et le magnifique Que serais-je sans toi ?
Le personnage de Martial, ancien gardien du Museum d'histoire naturelle, hanté par des cauchemars est une belle figure de l'altérité.

Ce film est un écrin avec de multiples joyaux. Beaucoup y verront un rêve, une utopie peut-être, mais  sans aucun doute une anthologie de toutes les expressions du sentiment amoureux.

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